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savoir que ses tendances sont de celles qui honorent l'esprit de l'homme. M. Pfau fait à l'art une large part dans la grandeur de l'humanité. Il lui reconnaît un but utile et pour ainsi dire civilisateur. Bien que nous ne soyons pas d'accord avec lui sur les points principaux de son esthétique, il nous répugnerait de de ne pas dire combien ses convictions nous ont paru dignes de l'examen le plus attentif. Dans les questions de sentiment, on peut applaudir aux pensées de l'adversaire; ici, se tromper, ce n'est pas un crime, comme en politique. D'ailleurs, la philosophie de M. Pfau est surtout généreuse et élevée : elle tend au vrai et au bien. Et l'on ne saurait mieux conclure en faveur de ses Études sur l'art, qu'en citant tout entière la dernière page livre, qui résume la pensée qui l'a fait écrire.

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« Quand je pense à tout ce que la force a fondé, aux vastes empires, aux villes à cent portes, aux temples gigantesques, dont à peine quelques tessons craquent sous le pied du voyageur, je me dis: Ce qui a été bâti par la force, périt par l'esprit; ce qui a été élevé dans l'espace, tombe dans le temps. Quand je contemple tout ce que l'esprit a créé, les arts, les sciences, les lois de justice, saints héritages, que les peuples ont transmis aux peuples, les générations aux générations je me dis Troie la magnifique est tombée, mais Homère est debout; la Grèce hellénique a disparu, mais la Vénus de Milo est ressuscitée; Rome la glorieuse n'est plus qu'un amas de ruines, disputé par le dogme à la liberté, le pape lui-même s'en mais Virgile reste; et cette cité tourmentée est bien la Ville éternelle, car le souffle du grand peuple patriote planera éternellement sur ses sept collines; elle ne périra pas, parce qu'elle a plus qu'un monceau de pierres à nous léguer c'est son esprit qui fera vivre sa mémoire. Ah! c'est alors qu'une joie splendide me remplit le cœur, qu'une fière allégresse me relève le front; et j'honore le ciseau; ce modeste emblème de l'artiste, qui me semble plus superbe que le sceptre de Charlemagne; et je bénfs la plume, ce pauvre outil du penseur, qui me paraît plus puissant que le glaive de César. »

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E L.

Les Magots de Teniers, par Émile Greyson.

Jacques le Charron.
In-12. Bruxelles, Ve Parent et fils.

Fin contre fin

Les Magots de Teniers, titre charmant et caractéristique, que M. Émile Greyson a rencontré avec bonheur pour désigner ses petits tableaux littéraires des mœurs et des types flamands. Si toute l'éducation, comme l'a dit un grand moraliste, consiste à ramener l'homme à la nature, l'éducation des Belges est bien loin d'être terminée. Grâce à nos écrivains on y arrivera sans doute, nous l'espérons du moins; grâce à ces œuvres que nous signalons toujours avec empressement, on finira par s'affranchir de l'imitation française et du joug classique, et l'on reconnaîtra que notre pays même, notre peuple même, nos goûts, nos passions et jusqu'à nos préjugés, offrent ample matière aux romanciers de tout genre.

Est-ce là du réalisme? Peut-être, mais à coup sûr le mot appliqué de cette façon n'a rien qui puisse effaroucher. Il s'agit seulement de mettre habilement en œuvre les trésors que nous présente l'observation intelligente; il s'agit d'être artiste... qualité qui ne se donne guère, mais qui ne se perd pas non plus, tant chez les individus que chez les peuples, et qui se révèle aux moindres choses.

On connaît le talent de M. Greyson, son style simple, gracieux, entraînant, sa verve toute spontanée, joyeuse ou piquante, avec ses élans de sentiment vrai, d'expansive tendresse, de franche et bonne nature. Dans Jacques le Charron, nous sommes en plein village, et en plein pays flamand des environs de Bruxelles. Le site est pittoresque, et l'écrivain en profite avec goût sans abuser des descriptions; les mœurs locales ont des côtés pleins d'originalité que l'auteur relève spirituellement; enfin la donnée du récit est attachante et prête à des développements où l'auteur a peint les paysans dans leurs allures à la fois naïves et malignes, en plaçant parmi eux quelques types de citadins qui forment le contraste le plus heureux.

Des critiques ont pu être faites du langage que M. Greyson prête à ses paysans; ce langage, a-t-on dit, est trop relevé, trop correct même, et nous l'admettons aussi; mais il faudrait observer toutefois qu'il y a là une sorte de convention indis

pensable, un juste milieu pour lequel personne n'oserait donner des règles fixes. Entre le pastiche trivial et le style classique, que de nuances sur lesquelles nul şans doute ne s'aviserait de juger sans appel.

Jacques le Charron a paru en feuilleton dans l'Étoile belge; Fin contre fin a eu également une première édition dans la Revue trimestrielle. C'est une suite de plus en plus remarquable à ces œuvres déjà nombreuses par lesquelles M. Greyson a conquis l'estime des lecteurs belges.

E. V. B.

La Duchesse d'Alcamo; Le Chevreuil, par Émile Leclercq. Bruxelles, collection de romans nouveaux, Ve Parent et fils, éditeurs

Ces deux romans n'ajouteront rien à la réputation si légitimement acquise de l'auteur de Séraphin et de Virginie. Si nous avions une critique littéraire en Belgique, elle n'eût pas manqué de relever dans ces ouvrages certains défauts, certaines imperfections, contre lesquels M. Leclercq doit se mettre en garde. Mais, dira-t-on, cette critique est impossible; des littérateurs qui se connaissent, qui se parlent, ont mauvaise grâce à communiquer au public des observations qu'ils peuvent faire tous les jours à l'auteur même. La Belgique n'offrant qu'un champ restreint où les écrivains se trouvent forcément en présence et en relations, il ne faut songer ni au blâme, ni à l'éloge par voie de la presse l'un est une perfidie, l'autre est de la cama

raderie.

Nous ne pouvons être de cet avis, et une simple objection en démontrera l'erreur. La critique littéraire ne s'adresse-t-elle qu'à l'auteur? Ne renferme-t-elle pas un enseignement général plus précieux que les arguments ad hominem? Ce serait se faire de la critique une idée bien mesquine que d'y voir une simple personnalité, et l'on pourrait d'ailleurs, en ce cas, la remplacer avantageusement par une lettre particulière. Si l'on se sert de la presse, c'est qu'apparemment on consulte plutôt l'intérêt du public, et, à ce point de vue, toute intention de camaraderie ou de perfidie disparaît aussitôt. On comprendra même, sans beaucoup d'effort, que c'est surtout dans notre pays, et pour une littérature qui se développe, qui se forme, que la critique est vraiment indispensable.

Prenons donc les choses de haut, et tant pour M. Leclercq que pour plusieurs écrivains obéissant à de semblables tendances, montrons ce que certains procédés de composition ont de faux, de brutal, de contraire à l'art du roman ou du drame.

Il s'agit de l'intervention de la mort, comme moyen ou comme dénouement. Laissons aux romanciers médiocres la faculté de se débarrasser d'un personnage dont ils ne savent plus que faire en le laissant mourir à propos; laissons aux dramaturges inhabiles les effets qui naissent d'une mort terrible et imprévue. Dans une véritable œuvre d'art, la mort violente n'est pas un nœud de l'intrigue : c'est une expiation.

M. Leclercq a péché contre ce principe, et plusieurs fois de suite, dans les deux romans que nous avons sous les yeux. La mort comme accident ou comme crime y joue le principal rôle : c'est assez commode pour l'auteur, mais cela n'explique rien du tout, et cela ne satisfait ni l'instinct de moralité, ni le sentiment d'art. Nous pourrions en écrire long sur ce chapitre; il y aurait là sans doute une théorie à formuler, car nos paroles auront l'air d'être bien absolues pour les personnes qui n'ont jamais eu soupçon de ces idées; mais nous aimons à nous imaginer que les écrivains qui, comme M. Leclercq, ont conscience de leur œuvre, de leur art, de leur rôle, réfléchiront un instant à la portée de notre observation.

La Duchesse d'Alcamo a encore un autre défaut à nos yeux. Le roman est trop court pour la série des événements qui y prennent place; il ne faut pas confondre les développements avec les longueurs, et éviter les détails pour être plus rapide. Le Chevreuil est une conception beaucoup plus parfaite sous ce rapport, et nous y voyons un des bons ouvrages de M. Leclercq, sauf ce que nous disions plus haut.

E V. B.

Mademoiselle Vallantin, roman de mœurs, par Paul Reider. In-12.

Bruxelles, Ve Parent et fils.

Ceci n'est point une œuvre ordinaire, l'auteur n'est pas non plus un homme médiocre, et pourtant on se sent plus tenté de blâmer que de louer, de relever les défauts que d'apprécier les qualités. Le ton et les allures du livre semblent provoquer la critique ce ne sont pas des encouragements qu'il sollicite;

c'est un jugement qu'il réclame, acquittement ou condamnation, avec des considérants bien formulés. Pas de préface, pas d'explications. Lisez vous prononcerez ensuite.

Cette mise en demeure ne laisse pas de nous embarrasser quelque peu. Ne connaissant pas d'autres œuvres de M. Reider, force nous est de considérer ce roman en lui-même et d'y découvrir toutes les idées, toutes les tendances de l'auteur; d'y chercher son principe, ses intentions, son but; d'y reconnaître sa façon de comprendre l'art et de l'appliquer. Et l'entreprise est malaisée, précisément parce que nous ne pouvons voir en Mademoiselle Vallantin qu'un essai, une esquisse, un embryon, le produit spontané mais informe d'un talent vigoureux qui ne se possède pas encore, et qui, néanmoins, s'affirme et se pose, attendant de la critique une explication qu'il eût dû se donner à lui-même.

De fortes pensées et des niaiseries; des sensations vraies et des sentiments faux; des trivialités choquantes et des traits d'un naturel exquis; trop de longueur ou plutôt d'étendue dans l'ensemble du sujet, et pas assez de développements aux faits principaux; quelque chose de constamment heurté, écourté, brisé; un véritable chaos traversé de rayons splendides qui révèlent aux yeux les plus merveilleux trésors: voilà l'impression première que nous laisse ce livre.

Il y a là, on le comprend, de quoi devenir un grand romancier, un excellent écrivain; il y a aussi de quoi tomber dans la platitude et la grossièreté. Mais si nous avons un conseil à donner à M. Reider, c'est de ne pas abandonner au hasard le soin de choisir entre ces deux voies, de ne pas se laisser porter, au gré du vent, au port ou à l'écueil. Qu'un talent au début s'ignore le mal n'est pas grand; mais qu'il se complaise dans cette ignorance, voilà le danger.

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Le roman de Mademoiselle Vallantin est intéressant, le style est aisé et rapide, la mise en scène se peint aux yeux, l'imagination abonde... Pourquoi faut-il qu'à ces éminentes qualités se mêle du faux goût, du parti pris, de la vulgarité, et qui pis est, ce quelque chose de dur, de brutal, de cassant qui dépare certains bons ouvrages contemporains sous prétexte de réalisme?

E. V. B.

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