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d'une manière naturelle, dans la défaillance, le sommeil, les maladies nerveuses, la perte ou l'affaiblissement des sens, etc.; d'autre part, il prend de l'extension dans certaines maladies, dans le magnétisme, l'hypnotisme, etc. L'union de l'esprit et du corps est encore réciproque, l'esprit agit sur le corps et le corps sur l'esprit; elle est complète, ces deux substances formant des organismes semblables ou homologues, constitués en harmonie l'un avec l'autre et se correspondant dans leur ensemble et dans toutes leurs parties, comme, par exemple, la volonté et les mouvements, la pensée et le cerveau, le sentiment et le cœur; de cette correspondance résulte le développement parallèle de l'âme et du corps. Enfin, l'union est permanente, exclusive et involontaire dans la vie présente.

Ces deux questions capitales de la distinction et des rapports de l'âme et du corps fournissent à l'auteur l'occasion d'examiner certaines théories, telles que celle des causes occasionnelles de l'Anversois Geulinx et de Malebranche, de l'harmonie préétablie de Leibnitz, la phrénologie, etc., mais surtout de faire ressortir ce qu'il y a d'exclusif, d'une part, dans le matérialisme, qui veut tout ramener à l'unité factice de la matière et tout expliquer par la combinaison des forces physiques ou des atomes corporels, et, d'autre part, dans le spiritualisme ou l'idéalisme, qui lui aussi, part d'une unité factice d'un autre genre et aboutit à envisager le corps comme une guenille.

Guenille, si l'on veut, ma guenille m'est chère,

comme dit le bonhomme Chrysale.

Ce tableau général de la nature humaine tracé, permet d'aborder la psychologie proprement dite, ou l'étude de l'âme, qui n'est qu'un chapitre de l'anthropologie, ou de la science de l'homme, comme l'anthropologie est une partie de la cosmologie. Cependant avant de scruter l'âme en elle-même, il faut d'abord se rendre compte de ses relations avec tout ce qui est. L'homme est un microcosme; il reflète le monde; l'esprit est en rapport intime avec lui-même, en rapport intime avec le corps ou plutôt avec une partie du corps, en rapport indirect avec tout le corps et les autres corps par l'intermédiaire des sens, en rapport indirect avec les esprits, avec ses semblables,

par l'intermédiaire des sens également et au moyen du langage, enfin en rapport direct avec Dieu par la raison. Toutes ces relations fournissent un ensemble de connaissances, pour l'acquisition systématique desquelles il faut un point de départ, le moi, un principe, Dieu, et un lien du point de départ ou principe, la méthode. La méthode se divise en analyse et synthèse, fondées la première sur l'intuition ou la connaissance des choses considérées en elles-mêmes, telles qu'elles sont pour nous ou telles qu'elles nous apparaissent, la seconde sur la déduction ou la connaissance des choses considérées dans leur cause ou leur principe, telles qu'elles doivent être. Nous connaissons les choses, en elles-mêmes, abstraction faite de leur cause, soit par le sens intime, soit par les sens externes, soit par la raison; les choses, par déduction, en les tirant d'une vérité supérieure ou d'une prémisse, sans autre secours que les procédés logiques du raisonnement. Une connaissance complète exige le concours de l'analyse et de la déduction. La science de l'âme, pour être complète, doit être puisée, comme les autres, dans l'observation et la raison, doit se baser sur l'analyse et la synthèse. De là la psychologie expérimentale et la psychologie rationnelle. La psychologie expérimentale n'est donc pas toute la psychologie, puisqu'elle ne repose que sur l'observation. L'observation est externe ou interne, selon qu'elle a pour objet les phénomènes de la vie corporelle qui se produisent à la fois dans le temps et dans l'espace, ou les phénomènes de la vie spirituelle qui ne se manifestent que dans le temps. L'observation externe a pour organes les cinq sens; l'observation interne, le sens intime ou mieux la conscience. L'observation interne ou psychologie ne doit pas exclure l'emploi de l'observation externe en psychologie; celle-ci doit être autorisée quand il s'agit d'actes spirituels posés par nos semblables, dans des états où ils ne peuvent s'observer euxmêmes. L'observation psychologique porte non-seulement sur les phénomènes de l'âme, mais sur l'âme considérée en ellemême, sur son essence et ses propriétés, bien entendu dans les limites de la vie actuelle. La psychologie expérimentale, qui fait spécialement l'objet du livre de M. Tiberghien, il la divise en trois parties: 1o analyse de l'esprit ou de l'âme dans son tout, dans son essence une et entière, ou dans ses pro

priétés fondamentales; 2° des divers aspects de la

exposition des parties de l'âme, vie spirituelle, pensée, sentiment, volonté; 3o examen des rapports et des combinaisons qui existent entre les facultés, les forces, les tendances et les diverses manifestations de l'activité spirituelle.

La première partie traite donc de l'essence de l'âme. Elle débute par le sens intime, c'est-à-dire par cette propriété essentielle que possède l'âme de se replier sur elle-même. Le sens intime se présente sous deux faces ou il se rapporte à la connaissance, à l'intuition que l'esprit a de lui-même comme être intelligent, c'est alors la conscience de soi; ou il se rapporte au sentiment que l'esprit a de lui-même comme être affectif, c'est alors le sentiment de soi. Tout homme, dans les limites de l'observation, possède le sens intime, qui a pour objet le moi considéré en lui-même abstraction faite de toute détermination, et aussi toutes les déterminations, propriétés, parties, relations, actes du moi, par conséquent le sens intime lui-même. De la conscience et du sentiment complets que nous avons de nous-mêmes découlent tous les attributs distinctifs de l'homme, tels que la personnalité (qu'il ne faut pas confondre avec l'individualité), le sentiment moral, la liberté, la responsabilité, la perfectibilité, le langage et toute la vie rationnelle; attributs qui distinguent l'homme des animaux, chez lesquels l'auteur admet bien le sens intime, mais sans qu'ils en aient conscience. Les questions de la permanence, de l'indépendance, du développement du sens intime donnent encore lieu à des considérations très intéressantes sur la sexualité, l'éducation, la veille et le sommeil, l'aliénation mentale, que nous ne pouvons qu'indiquer. Au sens intime en outre se rattache la question fondamentale du point de départ de la science, qui consiste dans le fait primitif de la conscience, la pensée ou l'intuition moi, et qu'il faut se garder d'exprimer sous forme de jugement ou de raisonnement, le point de départ devant précéder les opérations complexes de la pensée. Le sens intime reconnu, le point de départ admis, restent à déterminer les propriétés fondamentales de l'âme, dont M. Tiberghien présente une analyse remarquable par l'ordre et l'enchaînement des idées, et qui aboutit à cette conclusion que l'âme humaine est une substance spirituelle, personnelle et

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individuelle, un être qui se distingue de ses semblables et qui existe en lui-même et pour lui-même, comme essence une, simple et identique.

La deuxième partie traite de la vie de l'âme, c'est-à-dire non plus seulement de l'âme dans son essence, sous sa face éternelle, abstraction faite du temps, mais de l'âme vivante, manifestant son essence par une série d'actes opérés successivement dans le temps. Ici l'auteur aborde toute une nouvelle catégorie de questions, le changement ou passage d'un état déterminé à un autre état déterminé, le devenir, le temps ou la forme du changement, l'immortalité de l'âme pour autant que l'observation peut la résoudre, les rapports de cause et de raison appliquées à l'âme, de la faculté et de l'activité, la tendance et ses manifestations, les facultés fondamentales de l'âme et leurs rapports, la spontanéité et la réceptivité, la vie ou cette propriété d'un être qui est la cause intime de son devenir et de son développement, la distinction de la vie du corps et de la vie de l'âme, le bien et le mal, la distinction de l'esprit, etc. Après ces considérations générales viennent la théorie de la pensée, qui comprend la mémoire, l'imagination, la raison et la réflexion, les fonctions et les opérations de la 'pensée, la théorie du sentiment, qui traite de ses fonctions et de ses opérations, de la division des sentiments et de la passion, enfin la théorie de la volonté, qui traite également de ses fonctions et de ses opérations, et de sa division, puis de la liberté.

La troisième et dernière partie roule sur les combinaisons de l'âme ou plutôt sur les combinaisons des facultés; car, comme le dit l'auteur, «< il importe de constater comment la pensée, le sentiment et la volonté se modifient ou se déter-minent réciproquement en s'unissant, comment les facultés del'âme s'équilibrent et quels sont les résultats de leur concours: pour l'ensemble de la vie spirituelle. » Nous pourrions à cette occasion soumettre à M. Tiberghien une observation sur l'emploi qu'il a cru devoir faire des termes de combinaison binaire et ternaire, empruntés à la chimie, et dont l'application ne nous paraît pas heureuse; mais c'est là un petit détail qui n'ôte rien à la valeur du livre en général, même à celle de la troisième partie. Il y a dans cette troisième partie des consi

dérations d'une haute portée sur l'influence réciproque des diverses facultés et sur leur équilibre, ainsi que sur l'esthétique de l'âme; certes, l'éducation pourrait en tirer le plus grand profit. Mais l'équilibre des facultés n'est pas la seule expression des combinaisons de l'âme. Il existe encore d'autres combinaisons, les unes fugitives qui échappent à l'analyse par leur multiplicité, les autres habituelles ou permanentes, qui peuvent être fixées dans la science. Ces dernières « se divisent en deux groupes, selon que l'ensemble de la vie spirituelle, dans la diversité de ses facultés, de ses activités, de ses forces et de ses tendances, est apprécié au point de vue prédominant de la qualité ou de la quantité, de la perfection ou de la mesure, du mode ou de la pondération. Les déterminations qualitatives. de l'âme sont inhérentes à l'essence, par conséquent permanentes dans la vie terrestre, ou seulement habituelles, partant volontaires et modifiables; les premières constituent les sexes; les secondes, les caractères. Les déterminations quantitatives se résument dans les tempéraments. Ces différences fondamentales de la vie spirituelle, d'après la qualité et la quantité, se mélangent dans chaque âme individuelle et la montrent à tout moment dans une situation complétement déterminée. Cette situation résulte des états précédents et annonce les états nouveaux qui vont se réaliser. Or, la possibilité actuelle d'agir se nomme aptitude ou disposition naturelle. Le caractère et le tempérament, en exprimant la plénitude de la vie dans sa plus complète détermination, donnent en même temps les dispositions individuelles, qui se rapportent à l'ensemble des facultés de l'âme. » La sexualité, le caractère, le tempérament, les aptitudes, l'individualité de l'âme, forment ainsi le complément des études psychologiques.

Tel est donc à peu près le cadre du livre. Il suffit pour saisir l'importance des questions traitées et l'esprit méthodique qui a présidé à leur exposition, pour apprécier en outre les tendances de l'auteur. Nous savons que sans méconnaître le rôle que la déduction ou la synthèse est appelée à jouer dans la science, il regarde l'analyse et l'observation comme des moyens indispensables pour asseoir la science sur une base certaine. Sous ce rapport, il est aussi peu de l'école des Spinosa, des Hegel et de tous les constructeurs des grandes synthèses phi

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