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femblable à la lumiere fombre qui éclaire les yeux des miférables mortels, & qui n'eft que ténebres; c'eft plutôt une gloire céleite qu'une lumiere; elle pénetre plus fubtilement les corps les plus épais, que les rayons du foleil ne pénetrent le plus pur cryftal; elle n'éblouit jamais; au contraire, elle fortifie les yeux, & porte dans le fond de l'ame je ne fais quelle férénité. C'eft d'elle feule que les hommes bienheureux font nourris; elle fort d'eux, & elle y entre; elle les pénetre, & s'incorpore à eux, comme les alimens s'incorporent à nous. Ils la voient, ils la fentent, ils la refpirent; elle fait naître en eux une fource intariffable de paix & de joie. Ils font plongés dans cet abyme de délices, comme les poiffons dans la mer. Ils ne veulent plus rien ils ont tout fans rien avoir; car le goût de cette Lumiere pure appaise la faim de leur cœur. Tous leurs defirs font raffafiés, & leur plénitude les éleve au-deffus de tout ce que les hommes vuides & affamés cherchent fur la terre. Toutes les délices qui les environnent ne leur font rien, parce que le comble de leur félicité, qui vient du dedans, ne leur laiffe aucun fentiment pour tout ce qu'ils voient de délicieux au dehors. Ils font tels que les Dieux, qui, raffafiés de nectar & d'ambroifie, ne daigneroient pas fe nourrir de viandes groffieres qu'on leur présenteroit à la table la plus exquife des hommes mortels. Tous les maux s'enfuient loin de ces lieux tranquilles : la mort, la maladie, la pauvreté, la douleur, les regrets, les remords, les craintes, les espérances mêmes, qui coûtent fouvent autant de peines que les craintes, les divifions, les dégoûts, les dépits, n'y peuvent avoir aucune entrée.

Les hautes montagnes de Thrace, qui, de leurs fronts couverts de neige & de glace depuis l'origine du monde, fendent les nues, feroient renversées de leurs fondemens pofés au centre de la terre, que les cœurs de ces hommes juftes ne pourroient pas même être émus. Seulement ils ont pitié des miferes qui accablent les hommes vivans dans le monde; mais c'est une pitié douce & pailible, qui n'altere en rien leur immuable félicité. Une jeuneffe éternelle, une fé .licité fans fin, une gloire toute divine eft peinte fur

leurs

ble the glimmering light, which enlightens the eyes of wretched mortals, and is nothing but darkness it is rather a celeftial glory than a light. It more thoroughly penetrates the groffeft bodies than the rays of the fun penetrate the pureft cryftal. It never dazzles on the contrary, it ftrengthens the eyes, and conveys an inexpreffible ferenity through all the receffes of the foul. This is the only food of the bleffed. It proceeds from and enters into them; it penetrates and is incorporated with them. as ali ments are incorporated with us. They fee it, they feel it, they breathe it; it caufes an inexhaustible fountain of tranquility and joy to fpring up in them. They are immerfed in this abyfs of delight as fishes in the fea. They covet nothing more; they have all things without having any thing, for the taste of this pure light appeafes the hunger of their hearts. All their defires are fatisfied and their plenitude raifes them above every thing that empty greedy mortals purfue on the earth. All the furrounding delights are nothing to them, becaufe the confummate happinefs which comes from within leaves them no cravings for any thing they fee of delightful without. They are like the Gods, who, replenished, with nectar and ambrofia, would not deign to feed on any grofs aliments which might be fet before them at the most fumptuous tables of mortals. All evils fly far from these ferene abodes: Death, ficknefs, want, pain, forrow, remorfe, fear, hope itself which often gives us as much trouble as fear, divifions, hatred, quarrels, can have no admiffion here.

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Should the lofty mountains of Thrace, whofe brows, covered with ice and fnow from the beginning of the - world, cleave the clouds, should they I fay be thrown from their foundations that are fixed in the center of.. the earth, the fouls of thefe righteous men would not even be moved: They only pity the miferies which deprefs thofe who live in the world; but it is a sweet and peaceful pity that does not in the leaft leffen their unchangeable felicity. Eternal youth, endless happiness, a glory wholly divine, is painted on their TOM. II.

faces;

leurs vifages; mais leur joie n'a rien de folâtre ni d'indécent. C'est une joie douce, noble pleine de majesté; c'est un goût fublime de la vérité & de la vertu qui les tranfporte. Ils font fans interruption, à chaque moment, dans le même faififfement de cœur où est une mere qui revoit fon cher fils, qu'elle avoit cru mort; & cette joie, qui échappe bientôt à la mere, ne s'enfuit jamais du cœur de ces hommes; jamais elle ne languit un inftant; elle est toujours nouvelle pour eux; ils ont le tranfport de l'ivreffe, fans en avoir le trouble & l'aveuglement. Ils s'entretiennent enfemble de ce qu'ils voient & de ce qu'ils goûtent. Ils foulent à leurs pieds les molles délices, & les vaines grandeurs de leurs anciennes conditions qu'ils déplorent; ils repaffent avec plaifir ces triftes courtes années, où ils ont eu befoin de combattre contre eux-mêmes, & contre le torrent des hommes corrompus pour devenir bons; ils admirent le fecours des Dieux qui les ont conduits, comme par la main, a la vertu, au milieu de tant de périls. Je ne fais quoi de divin coule fans ceffe au travers de leurs comme un torrent de la Divinité même qui s'unit à eux. Ils voient, ils goûtent qu'ils font heu reux, & fentent qu'ils le feront toujours. Ils chantent les louanges des Dieux, & ils ne font tous enfemble qu'une feule voix, une feule pensée, un feul cœur. Une même félicité fait comme un flux & reflux dans ces ames unies,

Cœurs

mais

Dans ce raviffement divin, les fiecles coulent plus rapidement que les heures parmi les mortels; & cer pendant mille & mille fiecles écoulés n'ôtent rien à leur félicité toujours nouvelle, & toujours entiere. Ils regnent tous ensemble, non fur des trônes que la main des hommes peut renverler, mais en eux-mêmes avec une puiffance immuable; car ils n'ont plus befoin d'être redoutables par une puiffance empruntée d'un peuple vil & miférable. Ils ne portent plus ces vains diadêmes dont l'éclat cache tant de craintes & de noirs foucis, Les Dieux mêmes les ont couronnés de leurs propres mains, avec des couronnes que rien ne peut flétrir.

Télémaque, qui cherchoit fon pere, & qui avoit espéré

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faces; but their joy has nothing of wanton or indecent. It is a fweet, a noble, a majestic joy; it is a fublime, a ravishing taste of truth and virtue. They every moment experience withour interruption that extacy of foul which a mother feels at the fight of a beloved fon whom she thought dead; but the rapture which quickly for fakes the mother never flies from their fouls. It never languishes a moment; it is always new! they tafte the transports of inebriating joys without their diforder and itupefaction. They difcourfe together of what they fee and of what they tafte. They defpife and deplore the foft pleafures, and the vain grandeur of their former condition; they review with pleasure the few but forrowful years, in which they were under a neceffity of combating against themselves, and against a torrent of corrupt men, in order to be virtuous; they admire the affiftance of the Gods who led them, as it were by the hand, through innumerous dangers to virtue. Something inconceivably divine flows inceffantly through their fouls, like a flood of the Divine Nature itfelf which is united to them. They fee, they taste that they are happy, and are confcious that they shall always be fo; they fing the praises of the Gods, and make all together but one voice, one mind, one heart: The fame tide of felicity ebbs and flows as it were in their united fouls.

In thefe heavenly raptures ages roll away more fwiftly than hours among mortals; and yet a thoufand and a thousand ages fubtract nothing from their happiness, which is always new and always perfect. They all reign together, not on thrones which the hand of man can fubvert, but in themselves and with an unalterable power; for they no longer need to make themselves formidable by a power borrowed of a vile and wretched people. They no longer wear thofe vain diadems, whofe luftre conceals numberless fears and anxions cares; the Gods themselves having crowned them, with their own hands, with crowns which nothing can tarnish.

Telemachus, who was fecking his father, and exI a

pected

2

de le trouver dans ces beaux lieux, fut si saifi de ce goût de paix & de félicité, qu'il eût voulu y trouverUlyffe, & qu'il s'affligeoit d'être contraint lui-même de retourner enfuite dans la fociété des mortels. C'est ici, difoit-il, que la véritable vie fe trouve, & la nôtre n'eft qu'une mort. Mais ce qui l'étonnoit c'étoit d'avoir vu tant de rois punis dans le Tartare 2 & d'en voir fi peu dans les champs Elysées; il comprit qu'il y a peu de rois affez fermes & affez courageux pour réfifter à leur propre puiffance, & pour rejetter la flatterie de tant de gens qui excitent toutes leurs paffions. Ainfi les bons rois font très-rares; & la plupart font fi méchans, que les Dieux ne feroient pas juftes, fi, après avoir fouffert qu'ils aient abufé de leur puiffance pendant la vie, ils ne les puniffoient après leur mort.

Télémaque ne voyant point fon pere Ulyffe parmi tous ces rois, chercha du moins des yeux le divin Laërte fon grand-pere. Pendant qu'il le cherchoit inu tilement, un vieillard vénérable, & plein de majesté, s'avança vers lui. Sa vieilleffe ne reffembloit point à celle des hommes que le poids des années accable fur la terre on voyoit feulement qu'il avoit été vieux avant fa mort; c'étoit un mêlange de tout ce que la vieilleffe a de grave, avec toutes les graces de la jeuneffe car les graces renaiffent même dans les vieillards les plus caducs au moment où ils font introduits dans les champs Elysées. Cet homme s'a vançoit avec empreffement, & regardoit Télémaque avec complaifance, comme une perfonne qui lui étoit fort chere. Télémaque, qui ne le reconnoiffoit point, étoit en peine & en fufpens.

Je te pardonne, ô mon cher fils, lui dit ce vieillard, de ne me point reconnoître; je fuis Arcéfius, pere de Laërte. J'avois fini mes jours un peu avant qu'Ulyffe, mon petit-fils, partît pour aller au fiege de Troye. Alors tu étois encore un petit enfant entre les bras de ta nourrice; dès-lors j'avois conçu de toi de grandes efpérances; elles n'ont point été trompeufes, puifque je te vois defcendu dans le royaume de Pluton pour chercher ton pere, & que les Dieux

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