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Gratien, et

que leur renom ne faisait pas grand bruit,

Fructus exilis, tenuisque sermo.

Il ne faut attribuer cette chétive existence sans doute qu'au peu d'éclat du talent de ces maîtres. On n'en saurait conclure que les études grecques fussent méprisées à Bordeaux quand on y trouve un pareil nombre d'hellénistes, et qu'on voit d'ailleurs Citarius faire dans cette ville un brillant mariage.

Urbe satus Sicula, nostram peregrinus adisti;
Excultam studiis quam prope reddideras,
Conjugium nactus cito nobilis et locupletis....

Ces vers disent beaucoup. Il y avait à Bordeaux des auditeurs qui profitaient du savoir de Citarius et se formaient à l'élégance attique; celui-ci avait eu assez d'éloquence, de bonne grâce et d'adresse pour entrer dans une riche famille par une alliance qu'il ne devait qu'à sa réputation et à son mérite.

Il est inutile de nous arrêter aux noms des professeurs latins qu'Ausone rappelle avec éloges. Tout ce que nous en dirons c'est qu'ils forment un groupe de maîtres nombreux et instruits. Bordeaux était alors le foyer des lumières. On y venait enseigner de tous côtés. Ce n'est pas une des moindres surprises du lecteur que d'y trouver, à côté de Siciliens et de Grecs, un Baiocasse, c'est-à-dire un gaulois de Bayeux, nommé Patera. Il était issu de la race des Druides, son père avait été prêtre du temple de Belenus: c'était ce que désignait son nom celtique de Patera, prêtre d'Apollon. Les Delphidius, les Axius, les Jucundus, les Phœbitius, les Concordius, ne s'enfermaient certainement pas dans l'unique cercle des études latines. Le grec avait une bonne part de leurs soins, et la société de Bordeaux devait offrir, dans plus d'une maison, un échange actif

d'idées littéraires, puisque nous savons par Ausone que les femmes à certains jours étaient admises aux leçons publiques des professeurs (1).

Tiberius Victor Minervius, dont parle notre poète, parmi les grammairiens latins, donna des leçons publiques de rhétorique à Constantinople, et alla, vers 353, suivant Saint Jérôme (2) et Ausone encore (3), continuer la même profession dans Rome (4).

Ne laissons pas passer inaperçus d'autres noms de gaulois célèbres alors par leur savoir: Emilius Magnus Arborius fut aussi appelé à Constantinople par l'empereur Constantin, pour instruire les princes ses enfants (5). A Rome, on voit, dans ce même siècle, une chaire d'éloquence remplie par Scaia ou Hieve, homme très-éloquent en grec et en latin, et fils de Théodore, secrétaire d'Etat, illustre gaulois (6). Pallade, qui professait à Lerida, était gaulois de naissance (7).

Ammien Marcellin cite Phronème et Euphrase, tous deux Gaulois, très-recommandables pour la grande connaissance des sciences et des beaux-arts, institutis bonarum artium spectatissimi. Il nous apprend que Phronème, après l'invasion de Procope, fut élevé à la dignité de préfet du prétoire de Constantinople, à la place de Césaire, et qu'Euphrase fut établi maître des offices (8)..

XI.

On ne s'étonnera pas de ne trouver nulle part le nom de Paris sur la liste des villes gauloises où les études

(1) Hist. litt. de la France. t. II. p. 13.

(2) Hier, Chr. 1. II. p. 184.

(3) Aus. Ep. 15. c. 1.

(4) Hist. litt. de la France. ibid. p. 15.

(5) Aus. Par. c. 3. p. 114.

(6) Aug. Conf. lib. 4. c. 14, note 2. — Liv. 6, 2, note 1.

(7) Hist. litt. t. II. p. 15.

(8) Hist. litt. t. II. p. 19.

grecques ont fleuri. C'était alors une cité de trop peu d'importance. Julien qui y a vécu, qui y a laissé un monument de son passage, qui a décrit cette petite ville, ne pouvait pas trouver parmi les habitants indigènes de Lutèce, beaucoup d'admirateurs pour l'élégance de son style grec. On ne se refuse pas à croire avec Tillemont (1), avec les auteurs de l'Histoire littéraire de la France (2), qu'il n'eût fait de Paris comme un théâtre de savants, et que tous ceux qui faisaient profession de science y accourussent de toutes parts autour d'un prince qui s'appliquait à la philosophie d'une manière particulière. Il est certain qu'il y attira le médecin Oribase, qui s'y fit connaître par l'abrégé des ouvrages de Galien, et par une grande compilation médicale, dont nous avons neuf livres en grec sur un grand nombre d'autres en latin. Nous ne pouvons pas oublier pourtant que Julien reproche aux Parisiens leur mauvais goût εἰ μὴ τὴν τῶν Γαλατῶν ἀμουσίαν διευλαβηθείης (3). Au moins aimait-il leur esprit sérieux, leur aversion pour la folie des théâtres et la gravité qui leur faisait regarder comme des fous et des furieux ceux qui s'amusaient à danser (*). Il devait encore leur savoir gré de lui épargner les reproches que lui attirait ailleurs son hellénisme. Les courtisans, en effet, ne se gênaient pas pour l'appeler taupe bavarde, loquax talpa, guenon dans la pourpre, simia purpurata, méchant littérateur grec, græcus litterio (5).

Le philosophe Eunape n'estimait pas davantage le goût et les lumières des Gaulois, et il se fondait sur le peu de succès qu'avait eu dans leur pays un très-célèbre

(1) Hist. des Empereurs et des autres princes qui ont régné dans les six premiers siècles de l'Eglise. t. VI. p. 499.

(2) T. II. p. 7.

(3) Lettre à Priscus 72, citée par M. Egger. Hell. en France. t. I. p. 38. (4) Misopogon. p. 359.

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sophiste d'Athènes, nommé Proërèse. Constant, qui habitait et gouvernait les Gaules depuis la mort de son frère Constantin, avait appelé auprès de lui cet homme illustre par son éloquence en même temps que par ses vertus chrétiennes. Peut-être, comme son frère, Constant avait-il sa cour à Arles ou à Trèves, plutôt à Trèves. Or, s'il faut en croire Eunape, le disciple de Proërèse, les Gaulois ne furent point capables d'apprécier l'éloquence de ce sophiste; ils se contentèrent d'admirer sa haute taille, sa bonne mine, et sa patience à endurer les grands froids de leur pays (').

Dans ce jugement d'Eunape, aussi bien que dans celui de Julien, il faut prendre soin de restreindre le sens de ce mot Faλatov. Il y aurait de l'injustice à envelopper tous les Gaulois dans cette accusation d'ignorance et de grossièreté; nous venons de montrer en combien d'endroits les études et même les études grecques étaient florissantes chez eux. Nous avons vu les soins de Gratien pour l'instruction de la jeunesse. S'il fit en particulier des décrets en faveur de la ville de Trèves (2), afin d'y attirer les plus habiles rhéteurs et professeurs de belleslettres, tant en grec qu'en latin, il avait la même sollicitude pour les autres parties de la Gaule. Sa loi s'étendait à toutes les villes les plus peuplées de nos provinces, il devait y avoir d'habiles professeurs de rhétorique et de belles-lettres en grec et en latin, car voici les termes du rescrit: Optimi quique erudiendæ præsideant juventuti, rhetores loquimur et grammaticos Atticæ Romanæque doctrinæ (3).

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Un détail intéressant nous manque y avait-il des bibliothèques dans chacune de ces villes, et pour ainsi dire de ces petites universités ? Nous savons bien que

(1) Hist. litt. de la France. t. II. p. 6.
(2) Code Théod. liv. II. Р 39-40.
(3) Code Théod. liv. II. p. 39-40.

les livres n'étaient pas rares dans les contrées de la Gaule, qu'à Lyon il s'en faisait un grand commerce, que les ouvrages de Pline le jeune s'y vendaient fort bien et trouvaient de la faveur auprès de tous les âges. Saint Jérôme recueillit dans les Gaules et jusque dans la Germanie, un grand nombre des livres qui composaient sa précieuse bibliothèque. Mais nous voudrions savoir, par des textes précis, s'il y avait dans quelqu'une de nos grandes villes, à Trèves, à Bordeaux, une bibliothèque entretenue aux frais des empereurs ou des cités comme à Constantinople. Là il est bien établi qu'outre le bibliothécaire, on y maintenait sept scribes ou copistes; quatre pour le grec et trois pour le latin, afin de transcrire les livres nouveaux qui paraissaient et pour renouveler les anciens. Il en était ainsi du moins au temps de Valens (1).

S'il y eut quelque institution pareille dans les Gaules, le nombre des copistes latins y dut être supérieur à celui des copistes grecs, comme les appointements des professeurs de latin étaient plus élevés du double que ceux des maîtres grecs. Car, quelque favorable que soit à l'hellénisme le tableau que nous venons de tracer pour les Gaules, il faut bien se ranger à l'avis judicieux de M. Egger. Il pense, en effet, qu'entre le cinquième et le neuvième siècle, le grec n'était plus guère parlé parmi le peuple et l'était moins de jour en jour, dans ce qu'on pouvait appeler encore la société cultivée. Il fonde son jugement sur un fait digne d'être mentionné, c'est que : « les inscriptions latines de la Gaule au seizième siècle sont au nombre de cinq ou six mille; les inscriptions grecques retrouvées jusqu'ici ne vont pas beaucoup audelà de cinquante. Cela ne peut être l'effet du hasard (2). »

Hist. litt. de la France. t. II. p. 2.

(1) Code Théod. 14. liv. II. p. 202. (2) Hellén. en France. t. 1. p. 40. Le savant que je cite ajoute en note: Corpus inscript. Græc., no 6,7646,801, 8,696, 8,710, 8,728, 8,735, 8,761, 8,763, 8,792, 8,609, 8,910, 9,886,

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