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de lui, & qu'il avoit véritablement méritées. Son coeur n'etoit pas infenfible à celles-là; il fentoit ce plaifir fi doux & fi pur, que les Dieux ont attaché à la feule vertu, & que les méchans, faute de l'avoir éprouvé, ne peuvent ni concevoir ni croire : mais il ne s'abandonnoit point à ce plaifir. Auffi-tôt revenoient en foule dans fon efprit toutes les fautes qu'il avoit faites; il n'oublioit point fa hauteur na◄ turelle & fon indifférence pour les hommes; il avoit ne honte fecrette d'être né fi dur, & de paroître fi inhumain; il renvoyoit à la fage Minerve toute la gloire qu'on lui donnoit, & qu'il ne croyoit pas mériter.

C'est vous, difoit-il, ô grande Déeffe, qui m'avez donné Mentor pour m'inftruire " & pour corriger mon mauvais naturel. C'elt vous qui me donnez la fageffe de profiter de mes fautes pour me défier de moi-même; c'est vous qui retenez mes paffions impétueufes; c'est vous qui me faites fentir le plaifir de foulager les malheureux; fans vous je ferois haï, & digne de l'être; fans vous je ferois des fautes irréparables; je ferois comme un enfant, qui ne fentant pas fa foibleffe, quitte fa mere, & tombe dès le premier

pas.

Neftor & Philoctete étoient étonnés de voir Télémaque devenu fi doux, fi attentif à obliger les hommes, fi officieux, fi fecourable, fi ingénieux pour prévenir tous les befoins; ils ne favoient que croire ils ne reconnoiffoient plus en lui le même homme. Ce qui les furprit davantage, fut le foin qu'il prit des funérailles d'Hippias. Il alla lui-même retirer fon corps fanglant & défiguré de l'endroit où il étoit caché fous un monceau de corps morts; il versa fur lui des larmes pieufes; il dit: O grande ombre ! tu le fais maintenant, combien j'ai eftimé ta valeur. Il est vrai que ta fierté m'avoit irrité; mais tes défauts venoient d'une jeunele ardente. Je fais combien cet âge a befoin qu'on lui pardonne. Nous euffions dans la fuite été fincérement unis. J'avois tort de mon côté. O Dieux ! pourquoi me le ravir, avant que j'aie pu le forcer de m'aimer ? Enfuite

infenfible, he felt that fweet that pure delight which the Gods have annexed to virtue only, and which ill men, for want of having experienced it, can nei➡ ther comprehend nor believe; but he did not indulge himself in this pleasure. All the faults he had committed would prefently crowd into his mind ; he forgot not his natural haughtiness and indifference for mankind; he was fecretly ashamed of being born with fo hard a heart, and of appearing fo inhu man; he referred to the wife Minerva all the glory which was given him, thinking that he himself did not deferve it.

It was you, great Goddefs, faid he who gave me Mentor to inftru&t me, and to rectify my evil difpofition; it is you who give me the wisdom to improve by my faults, and to be diffident of myfelf; it is you who check my impetuous paffions it is you who make my fenfible of the pleasure of relieving the diftreft; bur for you I should be hated, and deferve to be fo; but for you, I should commit irreparable errors, and be like a child, that, uncon◄ fcious of its weakness, quits its mother, and falls the very first step it takes.

Neftor and Philoctetes were furprised to see Telemachus become fo humane, fo careful to oblige, fo officious, fo ready to relieve the wants of all, and fo skilful and induftrious to prevent them; they per ceived him to be quite another man, but knew not how to account for it. What furprised them yet more, was the care he took of Hippias's funeral. He went himself to fetch his bloody and disfigured body from the place where it was buried under an heap of dead; he shed pious tears over it, and faid, O mighty shade, thou now knoweft how much I efteem thy valour. Thy haughtinefs indeed provoked me, but thy failings proceeded only from the warmth of youth. I wellknow how much need that age has of pardon. We should hereafter have been fincere friends.. I alfo was in the wrong. Why, ye Gods! have you ravished him from me, before it was in my power to force him to love me?

G 2

Telemachys

Enfuite Télémaque fit laver le corps dans les lis queurs odoriférantes: puis on prépara, par fon ordre un bûcher. Les grands pins gémiffant fous les coups des haches, tombent en roulant du haut des montagnes. Les chênes, ces vieux enfans de la terre, qui fembloient menacer le ciel, les hauts peupliers, les ormeaux, dont les têtes font fi vertes & fi or nées d'un épais feuillage, les hêtres, qui font l'honneur des forêts, viennent tomber fur le bord du fleuve Galefe. Là s'éleve avec ordre un bûcher qui reffemble à un bâtiment régulier, la flamme com mence à paroître, un tourbillon de fumée monte. jufqu'au ciel. Les Lacédémoniens s'avancent d'un pas lent & lugubre, tenant leurs piques renversées & leurs yeux baiffés: la douleur amere eft peinte fur ces vifages farouches, & les larmes coulent abondamvieillard ment. Puis on voyoit venir Phérécide, moins abattu par le nombre des années, que par la douleur de furvivre à Hippias, qu'il avoit élevé depuis fon enfance. Il levoit vers le ciel fes mains, & les yeux noyés de larmes. Depuis la mort d'Hippias, il refufoit toute nourriture; le doux fommeil n'avoit pu appefantir fes paupieres, ni fufpendre un moment fa cuifante peine: il marchoit d'un pas tremblant, fuivant la foule, & ne fachant où il alloit. Nulle parole ne fortoit de fa bouche, car fon cœur étoit trop ferré; c'étoit un filence de défefpoir & d'abattement. Mais -à-coup quand il vit le bûcher allumé, il parut tout furieux, & il s'écria:

O Hippias, Hippias! je ne te verrai plus; Hippias n'eft plus, & je vis encore ! O mon cher Hippias! C'eft moi cruel, moi impitoyable, qui t'ai appris à méprifer la mort. Je croyois que tes mains fermeroient mes yeux, & que tu recueillerois mon dernier foupir. O Dieux cruels! vous prolongez ma vie, pour me faire voir celle d'Hippias! O cher enfant que j'ai nourri', & qui m'a coûté tant de foins, je ne te verrai plus; mais je verrai ta mere . qui mourra de trifteffe en me reprochant ta mort; je verrai ta jeune époufe frappant fa poitrine, arrashant fes cheveux, & j'en ferai caufe, chere om

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bre!

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Telemachus afterwards caufed his body to be washed with odorous liquors, and then ordered a funeral pyre to be prepared. Lofty pines groaning beneath the ftrokes of the axe, roll from the tops of the mountains. Oaks thofe aged fons of earth, that feemed to menace heaven, tall poplars, elms with verdant heads and thick leaved branches, and beeches, the honour of the woods, are brought and laid upon the banks of the river Galefus. There a pile refembling a regular building, is erected; the flame begins to appear, and curling clouds of smoke afcend to the skies. The Lacedæmonians advanced with flow and mournful fteps, with downcaft eyes and pikes inverted; the deepest fadnefs is imprinted on their wild faces, and floods of tears stream from their eyes. Next them came the aged Pherecides, lefs bowed down by his numerous years than by the grief of furviving Hippias, whom he had brought up from his infancy. He lifted up his hands and his tearful eyes to heaven. Since Hippias's death he had refufed all manner of faftenance; gentle fleep had not been able to weigh down his eye-lids, nor to fufpend his anguish a moment: he walked with tottering fteps behind the crowd

un

knowing whither he went. Not a fingle word proceeded from his mouth, for his heart was too much oppreit; he was fpeechlefs through grief and defpair. But when he faw the kindling pyre, he was inftantly. tranfported, and cried out.

O Hippias, Hippias ! I shall never fee thee more! Hippias is no more, and yet I still live! O my dearest Hippias! It was I, a cruel a mercilefs wretch ! it was I taught thee to defpife death. I hoped thy hands would have clofed my eyes, and that thou wouldeft have catched my latest breath. Ye cruet Gods! to lengthen out my life that I might fee the death of Hippias! O my dear child! whofe education has coft me fo many cares, I shall fee thee no more; but I shall fee thy mother die of grief, reproaching me with thy death; I shall fee thy youthful wife beat her bofom and tear off her hair, and I

G 3

shall

bre! appelle-moi fur les rives du Styx; la lumiere m'eft odieufe; c'est toi feul, mon cher Hippias, que je veux revoir. Hippias! Hippias mon cher Hippias! je ne vis encore que pour rendre à tes cendres le dernier devoir.

Cependant on voyoit le corps du jeune Hippias etendu qu'on portoit dans un cercueil orné de pourpre, d'or & d'argent. La mort, qui avoit éteint fes yeux, n'avoit pu effacer toute fa beauté, & les graces étoient encore à demi peintes fur fon visage pâle. On voyoit flotter autour de fon cou plus blanc que la neige, mais penché fur l'épaule fes longs cheveux noirs, plus beaux que ceux d'Atys ou de Ganiméde, qui alloient être réduits en cendre. On remarquoit dans le côté la bleffure profonde par où tout fon fang s'étoit écoulé & qui l'avoit fait defcendre dans le royaume fombre de Pluton.

Télémaque, trifte & abattu, fuivoit de près le corps lui jettoit des fleurs. Quand on fut arrivé au bûcher, le fils d'Ulyffe ne put voir la flamme pénétrer les étoffes qui enveloppoient le corps, fans répandre de nouvelles larmes. Adieu, dit-il, ô magnanime, Hippias! car je n'ofe te nommer mon ami appaife-toi

ombre, qui as mérité tant de gloire! Si je ne t'aimois, j'envierois ton bonheur; tu es délivré des miferes où nous fommes encore, & tu en es forti par le chemin le plus glorieux. Hélas! que je ferois heu reux de finir de même! Que le Styx n'arrête point ton ombre que les champs Elysées lui foient ouverts! que la renommée conferve ton nom dans tous les fiecles, & que tes cendres reposent en paix.

A peine eut-il dit ces paroles entremêlées de fou pirs, que toute l'armée pouffa un cri; on s'atten driffoit fur Hippias, dont on racontoit les grandes actions, & la douleur de fa mort rappellant tous fes bonnes qualités, faifoit oublier les défauts qu'une jeuneffe impétueufe & une mauvaise éducation lui avoient donnés mais on étoit encore plus touché des fentimens tendres de Télémaque. Eft-ce donc là, difoiton, ce jeune Grec fi fier, fi hautain, fi dédaigneux,

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