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Léopold Schefer n'est pas assez philosophe pour tenir aux dernières conséquences de sa doctrine, et il serait facile de le mettre en contradiction avec lui-même. Quoiqu'il refuse à l'homme toute individualité, il lui recommande de « s'associer, par la parole et << par l'action, à tout ce qui se fait de bien autour de lui », et il ajoute même : « Songe aux autres, songe à ta patrie!» Il veut «< qu'on veille sur l'enfant, qu'on le vénère, car il est de nature « divine; qu'on éloigne de lui tout ce qui pourrait ternir son <«< imagination et son cœur ». Enfin il est simplement spiritualiste quand il dit : « Celui qui n'a jamais fait le bien, cherché le vrai, « contemplé le beau, celui-là seul est sans Dieu. >>

Le Bréviaire est écrit en vers ïambiques de cinq pieds; la phrase est simple; elle suit son cours limpide, uniforme; elle donne une impression de calme et de paix. Les Vigiles, le Prêtre laïque, les Discours domestiques reprennent le même thème, avec moins d'originalité, quelquefois avec des images bizarres 1. Dans ses derniers recueils, Schefer essaya de concilier l'orientalisme avec l'hellénisme; il mit aux mains de Hafiz la lyre et la coupe d'Anacréon. L'Apothéose d'Homère, qu'il laissa inachevée, est une sorte d'Iliade romantique 3. En somme, Léopold Schefer ne sut jamais faire l'unité dans son esprit. Ses nouvelles, qui tiennent à la fois de Jean-Paul et de Hoffmann, sont pour la plupart des études décousues de situations anormales et d'accidents pathologiques; le lecteur, dérouté, se demande s'il n'y a pas, à côté de la simple vérité qu'on lui expose, une vérité occulte et plus haute, et s'il n'est pas dupe d'une illusion, comme ce ventriloque qui prend sa seconde voix pour celle d'un esprit. La prose de Schefer est rythmée comme des vers; mais, n'ayant plus le frein de la mesure, elle se répand comme une nappe d'eau sans bords et sans profondeur, sur laquelle un soleil passager fait scintiller quelques étoiles".

«Zu deiner Seele spricht - dann ruhst auch du,
Vollbringst das Gute und erschaffst das Schöne
Und gehst so still auf deinem Erdenwege,

« Als wäre deine Seel' aus Mondenlicht,

« Als wärst du Eins mit jenem stillen Geist. »

1. Vigilien, Guben, 1813. Der Weltpriester, Nuremberg, 1846. Dessau, 1854.

2. Hafis in Hellas, Hambourg, 1853 (anonyme).

3. Homers Apotheose, erster Band, in zwölf Gesängen, Lahr, 1858.

4. Der Bauchredner, 1829.

Hausreden,

5. Sallet. Un jeune poète silésien, Frédéric de Sallet, employa le procédé

Frédéric Daumer est une nature moins contemplative que Léopold Schefer. Il est sorti de la théologie, et il a toujours gardé, même en poésie, des allures de dialecticien et de polémiste. Né à Nuremberg en 1800, il entra au gymnase de cette ville, qui était alors dirigé par Hegel; puis il entendit, à Erlangen, les cours de Schelling. Revenu à Nuremberg, en 1821, il devint professeur à l'École préparatoire, et ensuite au gymnase où il avait été élevé. Mais sa santé débile le fit renoncer, à partir de 1833, à toute fonction. Jusque-là, il avait flotté entre le mysticisme et la philosophie de la nature. Les poètes orientaux, qu'il se mit à étudier et à traduire, lui apprirent que la suprême sagesse était dans la jouissance, « que le renoncement n'était qu'une hypocrisie, » et, de ces divers éléments singulièrement assortis, il composa une religion, « la religion de l'amour et de la paix », dont la sainte Vierge devint le symbole. Il passa plus tard au catholicisme. Pour le moment, il chanta, sous le pseudonyme d'Eusebius Emmeran, la Gloire de la sainte vierge Marie: c'était un recueil d'hymnes et de légendes, empruntées aux différentes langues de l'Europe. Puis, tout à coup, il partit en guerre contre le christianisme, qu'il poursuivit jusque dans ses racines judaïques. Il crut découvrir que le culte de Jéhovah n'était autre que le culte sanglant de Moloch, qu'il s'était épuré peu à peu en passant par les écoles juives, mais que le fondateur du christianisme l'avait rétabli dans sa barbarie primitive 3. Il recueillit dans les poètes et dans

opposé à celui de Léopold Schefer, en écrivant son Évangile laïque (Laienevangelium, 1840). Schefer avait emprunté la philosophie mystique de l'Orient; Sallet transporta dans l'Orient la philosophie occidentale et spécialement celle de Hegel. Il suit pas à pas le récit de l'Évangile, et l'accompagne d'un commentaire perpétuel, dont le sens général serait assez bien défini par l'une des dernières paroles do Faust Le globe terrestre m'est assez connu; une barrière couvre à mes yeux a la vue de l'au-delà. Insensé qui dirige vers là-haut ses yeux clignotants, et se figure au-dessus des nuages des êtres semblables à lui! Qu'il se tienne « ferme, et se fasse sa place ici-bas! Le monde n'est pas muet pour l'homme << vaillant. » C'est la morale de l'action énergique, opiniâtre, et qui vise au but immédiat. Sallet était né à Neisso, en 1812; il fut élevé à l'École des cadets de Potsdam, et devint officier prussien; il quitta le service en 1838, et mourut en 1843, à l'âge de trente et un ans. Il avait fait de fortes études, et il connaissait plusieurs langues modernes. C'était, de plus, un noble caractère. Il n'eut pas le temps de múrir son talent. Son vers est quelquefois trop plein, et devient alors pénible et dur; le moule se brise sous l'effort de la pensée. Sämmtliche Werke, 5 vol.,

Breslau, 1845-1846.

1. Glorie der heiligen Jungfrau Maria, Nuremberg, 1841. Nouvelle éd. augmentée, sous le titre de Marianische Legenden und Gedichte, Nuremberg, 1850.

2. Der Feuer- und Molochdienst der Hebräer, Brunswick, 1842.

3. Die Geheimnisse des christlichen Alterthums, 2 vol., Hambourg, 1847.

les philosophes allemands les antécédents de la religion nouvelle qu'il annonçait, mettant surtout à contribution Goethe et Bettina1. C'était là, dans son œuvre, la part du théologien, la plus importante à ses yeux. La part du poète, la seule dont il reste quelque chose, consiste dans des traductions de Hafiz d'un rythme simple et gracieux, dans une suite de chansons en l'honneur de Mahomet, dans des portraits de femmes, les saintes de la religion de l'amour, enfin dans un recueil de chants populaires de toutes les nations 2 Daumer mourut à Wurzbourg en 1875. Il a voulu être un apôtre; il n'avait en lui que l'étoffe d'un poète anacréontique et d'un bon traducteur. Même son anacréontisme n'est pas toujours aimable; il ne peut vider sa coupe ni couronner de roses sa bien-aimée sans jeter un regard de mépris sur le pauvre moine qui préfère d'autres extases".

Avec Bodenstedt, nous rentrons dans la simple et franche nature; il a cet avantage sur ses prédécesseurs, de n'avoir pas cherché ses inspirations dans les livres, mais dans la vue même des lieux qu'il a chantés. Il eut la bonne fortune de trouver, dans le vaste Orient, une région encore inexplorée : c'est ce coin pittoresque « où le Caucase, hérissé de cimes et « déchiré de ravins, dresse dans le ciel sa tête raidie et blanchie << par les neiges, lorsqu'il soulève son turban de nuages; serré « dans sa cuirasse de glaces, à laquelle est suspendue, comme la << traine d'un manteau royal, la steppe fleurie qu'arrose le Don. »

1. Religion des neuen Weltalters, 3 vol., Hambourg, 1850. Daumer avait déjà mis en vers prosaïques la prose poétique de Bettina: Bettina, Gedichte aus Goethe's Briefwechsel mit einem Kinde, Nuremberg, 1837.

2. Hafis, deux recueils, Hambourg, 1816-1851.

Mohammed, Hambourg, 1848. Frauenbilder und Huldigungen, 3 vol., Leipzig, 1853. Polydora, ein weltpoetisches Liederbuch, 2 vol., Francfort, 1855.

3. Daumer a eu quelque temps dans sa maison l'enfant mystérieux Gaspard Hauser, recueilli dans les rues de Nuremberg, en 1828, lorsqu'il avait déjà seize ans, et qui a longtemps occupé les publicistes. Il a lui-même publié sur lui quelques écrits.

4.

Wo vielgegipfelt, wildzerklüftet
«Der Kaukasus zum Himmel steigt,
Das Haupt erstarrt und schneegebleicht,

« Wenn er den Wolkenturban lüftet;

« In eis'gem Panzer eingezwängt,

a Daran die blumenreiche Steppe

« Des Dones, gleichwie eine Schleppe

An einem Königsmantel, hängt.

(Die Lieder des Mirza-Schaffy, 100 éd.,
Berlin, 1881; Prologue.)

Frédéric-Martin Bodenstedt est né à Peine, dans le Hanovre, en 1819. Il était d'abord destiné au commerce, et, après avoir passé par une école spéciale, il commença son apprentissage à Brunswick. Ayant repris sa liberté, il étudia les langues et l'histoire. Il fut pendant trois ans précepteur dans la maison du prince Galitzin, à Moscou. En 1844, il se rendit à Tiflis, pour prendre la direction d'un institut pédagogique, et il enseigna le latin et le français au gymnase de cette ville. Ne voulant pas devenir sujet russe, il revint, après avoir parcouru la région du Caucase, par la mer Noire, la Turquie et les îles Ioniennes. Il s'occupa ensuite d'économie politique, jusqu'au jour où le roi Maximilien II l'appela à Munich comme professeur de langues et littératures slaves (1854). Il dirigea, de 1866 à 1870, la troupe de Meiningen. Il fit encore, en 1879, un séjour de trois ans aux États-Unis; il mourut à Wiesbaden, en 1892. Ce furent ses voyages qui donnèrent l'essor à sa poésie. A son retour de la Géorgie, il fit paraître les Mille et un Jours en Orient, où étaient insérées les Chansons de MirzaSchaffy, qu'il donnait modestement pour des traductions 1. Ces chansons, pour la plupart très courtes et d'une facture très simple, avaient, sous leur costume oriental, une grâce naturelle qui plaît en tout pays. Bodenstedt revenait, en somme, à part la richesse et le croisement de certaines rimes, au procédé qu'avait employé Goethe dans le Divan oriental-occidental. Il n'apportait pas beaucoup de sujets nouveaux, mais il corrigeait çà et là d'une main heureuse les audaces de ses prédécesseurs. Quand ses prétendues traductions parurent, le savant Hammer éleva des doutes sur l'authenticité du texte original, et Bodenstedt déclara, en 1874, lorsqu'il publia ce qu'il appelait les œuvres posthumes de Mirza-Schaffy 2, que celui-ci avait vécu, en effet, à Tiflis, lui avait appris le tartare et le persan, et avait été ainsi la première occasion des poésies qui avaient porté son nom dans l'Occident. Bodenstedt, après avoir dépensé le feu de sa jeunesse pour « l'in<«< comparable Suleika, qui lui avait ouvert dès ici-bas les portes « du paradis », célébra encore, sur un ton plus calme, mais non sans charme, la beauté allemande et le printemps allemand 3. Il

1. Tausend und ein Tag im Orient, 2 vol., Berlin, 1850. Les Lieder des MirzaSchaffy parurent séparément l'année suivante.

2. Aus dem Nachlass des Mirza-Schaffy, Berlin, 1874.

3. Bodenstedt a fait lui-même un choix de ses poésies postérieures aux Chansons de Mirza-Schaffy: Ausgewählte Dichtungen, Berlin, 1861.

s'est essayé avec moins de succès dans le drame et dans l'épopée. Il a repris, lui aussi, le Démétrius de Schiller; il s'est appliqué à reproduire la couleur locale du sujet, même dans l'orthographe des noms propres; mais en même temps il a prêté à son héros des idées de réforme qui étaient un pur anachronisme. Le poème où il a chanté la guerre de Schamyl contient de belles descriptions 1. Bodenstedt, sans être un génie créateur, avait un vif sentiment de la poésie, et il savait l'apprécier sous les formes les plus diverses. Il ne s'est pas renfermé dans l'imitation de l'Orient, il a contribué aussi, par des études critiques et par d'excellentes traductions, à faire mieux connaître le drame anglais et la littérature russe 2.

Le lyrisme allemand, après s'être imprégné d'orientalisme, rentra peu à peu dans ses voies propres; on se remit à faire des lieds, des ballades, des sonnets, et de temps en temps une ode klopstockienne. Mais la poésie sentencieuse était trop dans le goût de la nation pour ne pas durer, et la Sagesse du brahmane trouva toujours des adhérents. Si l'on veut goûter ces imitateurs de Rückert, on est souvent obligé de leur tenir compte de l'intention. La pensée, chez eux, est sérieuse et noble, la forme est ordinairement prosaïque et plate. L'un des moins imparfaits, dans le nombre, est le poète saxon Jules Hammer, mort à Pilnitz en 1862. Son principal ouvrage a pour titre : Regarde en toi et regarde autour de toi 3. L'idée générale est que, pour connaître les autres, il faut s'étudier soi-même, et que, pour se connaître soimême, il faut considérer le monde.

1. Ada die Lesghierin, Berlin, 1853.

2. Bodenstedt, après avoir traduit les sonnets de Shakespeare et le Roi Lear (Berlin, 1861-1865), collabora à une traduction des œuvres dramatiques de Shakespeare (9 vol., Leipzig, 1868-1873). Il a publié en outre: Shakespeare's Zeitgenossen und ihre Werke, 3 vol., Berlin, 1858-1860; Shakespeare's Tagebuch, 2 vol., Berlin, 1866-1867; Shakespeare's Frauencharaktere, Berlin, 1874. Sur la Russsie: Kaslow, Puschkin, Lermontow, eine Sammlung aus ihren Gedichten, Leipzig, 1843; Die poetische Ukraine, Stuttgart, 1845; Lermontows Poetischer Nachlass, 2 vol., Berlin, 1852; Puschkins Poetische Werke, 3 vol., Berlin, 1854-1855; Turgenjews Erzählungen, 2 vol., Munich, 1861-1865. Bodenstedt a publié un recueil de ses propres œuvres en 12 vol. (Berlin, 1865-1869), et deux volumes de Souvenirs (Erinnerungen aus meinem Leben, Berlin, 1888-1890). A consulter: G. Schenck, Friedrich von Bodenstedt, ein Dichterleben in seinen Briefen 1850-1892, Berlin, 1893.

3. Schan in dich und Schau um dich, Leipzig, 1851. Les autres ouvrages poétiques de Hammer sont: Zu allen guten Stunden, Leipzig, 1854; Fester Grund, Leipzig, 1859; Auf stillen Wegen, Leipzig, 1859; Lerne, liebe, lebe, Leipzig, 1862; Unter dem Halbmond, osmanisches Liederbuch, Leipzig, 1860. Hammer a traduit les Psaumes en vers, et il a écrit des nouvelles estimables.

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