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Notules de Théâtre

M. Alfred Alhys ne pouvant reprendre encore ses articles de critique dramatique, il faut que La revue blanche s'excuse près de ses lecteurs et des écrivains d'avoir du morceler en notules les études qu'ils avaient accoutumé de trouver ici.

Vaudeville Georgette Lemeunier, pièce en quatre actes de M. MAURICE DONNAY.

M. Donnay n'a pas failli à sa réputation et l'on sait si depuis Amants, la Douloureuse et l'Affranchie elle est lourde à porter.

Il n'est pas cette fois moins spirituel. Il y a dans sa Georgette Lemeunier infiniment d'esprit. Même, quand on l'écoute, il semble qu'il y en ait dans cette pièce plus que dans les autres; mais, oublicrait-on que c'est impossible, qu'il faudrait remarquer que ce n'est là qu'une illusion, parente de celle grâce à quoi jamais une femme ne nous paraît plus jolie que quand elle nous regarde. On objecte que quelques traits parmi les plus brillants pourraient indifféremment trouver place dans n'importe quelle comédie et qu'elles ne s'appliquent exactement ni au sujet ni à l'action. Combien il est facile de répondre qu'ils donnent du moins infiniment d'agrément au dialogue, que par là ils sont utiles, que ce superflu d'un prodigue ne l'épuise pas et que, quand bien même il serait ôté, il resterait encore dans ces quatre actes plus de mots de situation, plus de formules heureuses où s'imprime en relief un caractère, plus de fantaisie, d'entrain, de gaîté, de belle humeur qu'on n'en pourrait recueillir dans toutes les pièces que nous vaut une saison. C'est un régal. La délicate denrée n'est pas si commune. Il s'en faut.

M. Donnay n'a pas que prodigieusement d'esprit et de fantaisie heureuse, il a cette chose plus rare encore et qui ne peut pas davantage se définir sans une pédanterie dont il nous ferait rougir, il le don. Il est aimable, il nous charme. Combien d'autres se travaillent dont il peut se contenter de louer les intentions! qu'il ait à indiquer une scène, ou seulement un geste, qu'il écrive une de ces scènes âpres comme la conversation de Lemeunier et de sa belle Madame Sourette au deux, qu'il en aborde une aussi scabreuse que la discussion d'argent du trois, qu'il s'abandonne au plaisir de ces instants voluptueux avec quoi il excelle à nous émouvoir, ou qu'enfin il élargisse sa manière jusqu'à nous faire songer, dans la scène de l'irascible général ou de la restitution des bagues, aux plus jolies comédies du dix-huitième, même à Molière, c'est toujours, dans les détails ou pour l'essentiel, on dirait sans effort, qu'il réussit admirablement à nous présenter de petits tableaux charmants. Son aisance est prodigieuse. Si quelqu'un observe que parfois il y a des défaillances de métier, c'est sans aucun doute le métier qui a tort. Les objets où

aboutit l'art de M. Donnay sont parfaits. Il réussit à nous attendrir, il sait nous faire rire. Que vcut-on de plus?

Prenez garde d'ailleurs qu'il ne s'y trouve point. Il prétend nous faire réfléchir et il y parvient. Sans doute, tant qu'il nous charme il ne nous en laisse pas le loisir. Mais nous gardons le souvenir de l'aimable et peu scrupuleuse Sourette, de la qualité d'honnêteté qui fait le charme et parfois la dureté de sa Georgette. On n'oublie facilement ni l'ardeur et l'adresse de la belle Madame Sourette, ni les embarras où sa puérilité amène le savant Lemcunier, ni ce que vaut l'inquiétante sagesse de Me Journay. On ne sait pas bien pour qui l'auteur prend au demeurant parti, mais ingénieusement, il ne s'en met pas plus en peine que l'existence même, où nous nous débattons. Il ne tire pas de moralité; c'est affaire au jugement dernier. Il regarde vivre ses contemporains et nous fournit le plaisir de nous attribuer ses observations. La matière est assez ample.

On aperçoit déjà qu'il ne lui suffit point d'être le plus mordant, le plus voluptueux, le plus âpre, le plus aigu des observateurs et des écrivains, le plus troublant en même temps que le plus aimable. Tout cela lui paraît trop aisé, et à le lire ou l'écouter on comprend qu'il soit devenu difficile. Je ne serais pas étonné que sous peu il a commencé déjà il ne donne fort à faire aux moralistes et aux sociologues.

Ce ne sont plus des interprètes, ce sont véritablement des collaborateurs qu'il rencontre avec des protagonistes comme Mme Réjane, M. Huguenet ou le délicieux Guitry. A les regarder vivre, car ils nous font oublier qu'ils jouent, on se demande si c'est eux qui se félicitent davantage de ce que l'auteur leur donne à faire ou lui de ce qu'ils en font. M. Nertann est un acteur de tout premier ordre et sur le talent de qui il y a plaisir à compter; Mlle Migard ferait excuser toutes les folies commises pour lui plaire, Mlle Avril est toute gracieuse, mais tous sont excellents. A. B.

Renaissance: Otello, interprété par M. Novelli.

Les malheureux à qui le ciel n'a pas donné de parler italien peuvent cependant aller regarder M. Novelli : c'est un mime bien plus expressif encore que le gros Séverin, pas une de ses phrases n'est perdue; vous les lisez toutes sur son visage et vous les voyez dans ses gestes. Les heureux qui comprennent un peu cette belle langue de poètes, l'entendront, magnifique et impérieuse : la voix assez sourde de Novelli n'a pas d'écho, elle est parfaitement nette. Enfin ceux qui aiment la vanité des discussions se perdront en commentaires sur cette façon de concevoir la vie : car Novelli ne joue pas « en beauté ». Il avait à interpréter, il est vrai, le More de Venise: or, Otello doit être aussi laid qu'il est bête. Si Mounet-Sully, cependant, ou tout autre français moins célèbre, devait nous rendre ce personnage, vous le verriez faire d'amples gestes, moduler des cris ingénieusement

Б

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terribles, porter sa tête, disposer ses jambes. Novelli ne fait rien de tout cela c'est un effrayant cinématographe du doute et de la jalousie la plus bestiale. On voit que le cœur lui fait mal, et à la fin, il se coupe la gorge d'une manière vraiment hideuse. Mais pour parler à Desdémone, que de carresses, que de câlineries : une mère ! Enfin, il a le génie positif et charmant des méridionaux, qui sont de grands poètes puisqu'ils croient toujours que c'est arrivé, et nous le font croire.

Mais les acteurs devraient bien apprendre à manier leurs épées. Se rappelle-t-on comme Coquelin faisait peine dans le duel de Cyrano? Novelli, dans la dernière scène, donne un coup de sabre à Iago, et c'est triste à voir. C. D.

Nouveau-Théâtre : La Briguedondaine, comédie M. HENRI PAGAT.

en quatre actes de

Tous ceux qui savent choisir leurs lectures connaissent les romans de M. Henri Pagat: la bonne en or, le baron Pangorju, Pangorju au pouvoir, etc... L'écrivain distingué de ces livres curieux a réuni les plus piquantes des observations, éparses en ses ouvrages divers, sur les ruraux et la politique au village, dans une comédie jouée au Nouveau-Théâtre sous le titre énigmatique de : La Briguedondaine. Hésitante entre la grosse joie du vaudeville et la plaisante amertume de la satire, cette pièce aurait plu parmi tant d'autres de même genre, aux habitués de l'ancien Théâtre-Libre. Elle n'a réussi que par fragments, l'autre soir.

L'élection de M. de Sombacour, propriétaire foncier et gentleman raffiné, dépend de la Merlin, une commère haute en couleurs, légère, de mœurs seulement, qui est amoureuse du candidat et ne lui apportera les votes dont elle dispose que s'il consent à satisfaire sa passion. Nous avons vu maintes fois, aux Variétés ou au Palais-Royal, Mme Mathilde dans un rôle semblable à celui de la Merlin. M. Pagat est trop un homme de lettres et pas assez un vaudevilliste pour avoir tiré de la situation tout le comique violent qu'y aurait trouvé M. Bisson par exemple. Il a voulu maintenir sa pièce dans un ton d'études de mœurs et de recherche psychologique, et certains couplets de littérature, destinés à compenser d'autres effets plus gros, sans rétablir l'équilibre, parviennent à refroidir l'action.

L'interprétation est bonne. M. Bour est bon dans le rôle du candidat-gentilhommme. Mlle Basset est bonne dans le rôle de la Merlin. Incarnant le personnage élégant de Mme de Sombacour, Mlle Demongey est tout à fait charmante de grâce vive et de spirituelle finesse. E. F.

Odéon : La Reine Fiammette, de M. CATULLE MENDES. L'Odéon a été heureusement inspiré de reprendre cette Reine Fiammette de Mendès, où le signor Capoul avait laissé transparaitre ses dons de haute cocasserie. Elle est délicieuse, cette féerie lyrique,

et jamais conte bleu ne fut conté par un poète à l'âme plus rose, plus éprise des chairs roses et de la douceur d'aimer. Peut-être pourraiton regretter qu'à la fin sa musc, plus sévère, ait cru devoir froncer ses fins sourcils et se courroucer et punir. Le tragique appareil du dénouement nous trouve un peu incrédules, nous qui avions cru suivre un Shakespeare paradoxal, dans une Bologne d'irréalité. C'était donc sérieux ! Elle existait done cette Fiammette, cette petite flamme capricieuse, reine artificielle et menue et enfant et femme! Elle vivait donc d'une vraie vie puisqu'un déplorable Sforza peut l'atteindre en plein petit cœur et offrir au bourreau la plus jolic fragilité d'âme qui se puisse rêver! Non! non! la petite flamme ne saurait périr et nous la retrouverons, follet encore amoureux, sur la tombe chérie de l'amant.

Les trois premiers actes de ce poème dramatique sont exquis, d'une joliesse et d'une grâce lyriques à quoi rien d'actuel n'est comparable. Depuis Banville, personne n'eût à même degré le don de ravir un public françois par la musique du rythme et de la rime. Et que de trouvailles, que de bonheur, que de rencontres inouïes d'expression ! J'aime moins les deux derniers actes, où le rève tourne au cauchemar et la comédie légère au drame ténébreux. Mais qu'importe ! On a dû à cette Fiammetta des joies d'exception! On sait qu'elle est le caprice même! Peut-on lui en vouloir de nous décevoir un peu avant de nous fausser compagnie ?

Mlle Léonie Yahne a été fort applaudie, jolie dans le joli rôle, peutêtre plus petite maîtresse du XVIIe siècle que reine de féerie shakespearienne, ou, s'il vous plaît, piquante plus que lyrique. Cependant exquise et menue et fragile, très Saxe et figurine.

Mais les grands bravos sont allés à l'ardente et grave Segond-Weber qui, quoique travestie, c'est-à-dire toujours un peu déguisée, nous sut profondément émouvoir. Ah! l'admirable artiste et qu'elle nous doit d'autres neuves et belles créations!

Des hommes, je dirai peu de chose; plus, serait trop. Marquet a de la prestance et de la voix au besoin; son rôle est ¡eu reluisant; n'insistons pas. Mais déclarons décidément Rameau des plus fâcheux. Cet artiste a de la bonne volonté, j'en suis assuré; il a de l'élan et de l'enthousiasme; mais il déclame de la façon la plus intolérable et il est très difficile de suivre son articulation défectueuse et peu distincte. Je regrette d'être si sévère; c'est sans doute qu'au fond j'ai une grande sympathie pour lui.

Theatre Antoine: Britannicus.

Le Théâtre Antoine nous a donné une très intéressante représentation de Britannicus. Sans doute nous attendons d'Antoine tout autre chose et je crois que le Tout-Paris des trois centièmes, le bon public d'amateurs et de lettrés fidèles au vicil art classique, lui fera fète lorsqu'il nous donnera (prochainement, je crois) Bérénice ou l'Ecole des Femmes, longuement préparés, travaillés et renouvelés quant à

la mise en scène, au décor, au costume. Mais cette fois nous savions que Britannicus avait été hâtivement répété entre deux répétitions de Résultat des courses, parce qu'Antoine, ravi d'avoir réunis Mme Marie Laurent, Mlle Mellot et M. de Max, n'avait pas pu résister à l'attrait d'une telle interprétation que peut-être il ne retrouverait plus de longtemps.

La représentation fut intéressante. Mme Laurent retrouva dans ce rôle d'Agrippine quelques-uns de ces accents impérieux qui lui donnèrent autrefois tant d'autorité sur les masses. Mlle Mellot fut une Junie délicieuse dont la grâce penchée et la voix enveloppante expliquèrent et justifièrent la crise passionnelle de Néron. Ce dernier a été merveilleusement évoqué par de Max qui est certes le tragédien le mieux doué de ce temps. Quant au rôle de Narcisse, il y aurait peutêtre quelques réserves à faire sur la façon dont il a été interprété par l'excellent Gémier; malheureusement la place nous est mesurée et nous aurons occasion de revenir sur ce sujet.

La représentation était précédée d'une conférence de Vanor, qui fut un modèle d'érudition, d'esprit et de paradoxe. Mais, mon cher maître, discréditer Racine n'est pas nécessairement réhabiliter Néron. Ah! si vous n'aviez pas tant d'esprit, que d'objections! Mais voilà ! on n'a pas le courage d'avoir raison contre vous.

Théâtre de l'Euvre Mesure pour mesure, M. MÉNARD.

traduit en vers par

Je ne voulais pas clore ces quelques notes hâtives et évidemment improvisées sans remercier l'Euvre en la personne de M. Lugné-Poë de la curieuse tentative d'art à laquelle il nous convia au Cirque-d'Eté. La représentation de Mesure pour mesure sur une estrade, selon les traditions de la société élisabéthaine, nous a prouvé, eneffet, que le drame peut fort bien se passer de cartonnages et que l'illusion scénique n'est pas indispensable à l'œuvre d'un poète. Le vers se suffit, il évoque et à soi-même se crée son décor. Soit! Mais quand le poète ne sera plus Shakespeare? Et ici même, ce n'était pas souvent Shakespeare! Car cette comédie, longue et d'intérêt assez mince, n'est pas de ses meilleures et il était traduit (en vers, chose regrettable!) c'est-à-dire toujours un peu trahi. Malgré ces réserves, félicitons M. Lugné-Poë de cet essai de reuouveau artistique et signalons à l'admiration populaire les noms bien méritants de MM. Sarter, Mitrecey et Philipon. G. H,

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