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«Augustinum haud ita mediocriter Græce scivisse (1). » Bossuet, sans croire, comme il dit lui-même, que Saint Augustin fût un grand grec, ne pensait pas se hasarder trop en affirmant qu'il savait le grec. C'était une erreur. Un des derniers écrivains qui se soit occupé des sources d'où Saint Augustin pouvait avoir tiré sa philosophie, M. Nourrisson, reconnaît que ce docteur, tout en empruntant beaucoup à Platon, à la Grèce, à l'Orient, n'a jamais été en communication directe avec les philosophes dont il fait un si bon usage. Il ne fait aucune difficulté d'avouer que Saint Augustin n'a lu que des traductions de Platon (2). Cicéron, Apulée et Victorin lui en ont exposé la doctrine; il n'a lu que des parties de quelques dialogues; le Timée est peut-être la seule composition qu'il ait lue d'un bout à l'autre (3).

Né à Tagaste, en Afrique, dans une contrée où l'éducation était toute romaine, il donna peu d'attention au grec. Il n'éprouva jamais de goût bien vif pour ce genre d'instruction, nous avons là-dessus ses propres aveux. Il déclare qu'Homère, dans son enfance, ne lui a jamais fait éprouver que des ennuis. Il dit formellement qu'il détestait la grammaire grecque. Le passage mérite d'être cité: « Cur ego græcam etiam grammaticam oderam talia cantantem? Nam et Homerus, peritus texere tales fabulas, et dulcissime vanus est, et mihi tamen amarus erat puero. Credo etiam græcis pueris Virgilius ita sit, cum eum sic discere coguntur ut ego illum. Videlicet difficultas omnino ediscendæ peregrinæ linguæ, quasi felle aspergebat omnes suavitates græcas fabulosarum narrationum (1).

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() Vit. Sancti Aurelii Augustini. lib. 1, chap. 11, 5; Oper. omn. t. I, p. 69. (2) I lisait entre autres traductions, celle de Victorin, professeur de rhétorique à Rome. Aug. confess. VII, 9; VIII, 2 et passim. Petil. II, 18.Trin, II, præfat.

(3) La Philosophie de Saint Augustin, par M. Nourrisson, ouvrage couronné par l'Académie française, 2 vol. t. 1. p. 105.

(4) Confess. lib. I, c. XIII et c. XIV.

N'est-il pas surprenant qu'on ait pu conserver encore quelque doute sur ce point, et que des biographes trop bienveillants aient pu dire : « Il fit de grands progrès dans l'étude du grec et du latin... (')

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Erasme paraissait croire que Saint Augustin revint au grec dans sa vieillesse. L'abrégé que nous venons de citer nous dit aussi qu'il avait étudié le grec depuis son épiscopat, afin de mieux entendre le Nouveau Testament (2). Mais Tillemont, dans les Mémoires pour servir à l'Histoire ecclésiastique des six premiers siècles (3), affirme que Saint Augustin ne lut Eusèbe que dans la traduction latine de Rufin. On le voit d'ailleurs assez embarrassé dans sa lutte contre les Pélagiens, quand ils allèguent les pères grecs en leur faveur. Sans aborder directement la discussion des textes mis en avant, le docteur de l'église latine, fait observer à son adversaire Julien « qu'il n'a pas raison d'en appeler aux évêques d'Orient, parce qu'ils étaient aussi eux-mêmes chrétiens, et que l'une et l'autre partie de la terre n'avait qu'une même foi. » Julien rapportait des passages de Saint Chrysostôme et des autres pères grecs, mais Saint Augustin, en avouant que ces textes auraient pu être plus clairs, disait que ces saints docteurs parlaient sans garder toutes les précautions qu'ils auraient gardées s'ils eussent eu connaissance des disputes des Pélagiens « vobis nondum litigantibus, securius loquebantur. Les pères grecs étaient environnés d'hérétiques qui niaient le libre arbitre, et ils ne pensaient pas qu'il dût s'élever après leur mort une hérésie qui, sous prétexte de soutenir la liberté de l'homme, détruirait la grâce de Jésus-Christ et renverserait le premier article du symbole. Cependant, ajoute Saint Augustin, ces saints doc

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(1) Abrégé de l'Hist. ecclés. t. II. p. 247. Utrecht, 1748.

(2) T. II. p. 308.

(3) T. XIII. Vie de Saint Augustin, p. 142.

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teurs montraient assez combien ils croyaient la grâce nécessaire, par le soin qu'ils avaient de la demander sans cesse. Ce n'est pas manquer de respect à la mémoire de Saint Augustin que de remarquer ici, que son argumentation est dépourvue de ce qui fait la force d'une discussion: la connaissance exacte des textes et la critique immédiate des mots et des phrases.

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Cette ignorance du grec mit dans un plus grand embarras encore Orose, le disciple de Saint Augustin, lorsqu'il se trouva dans Jérusalem, opposé à Pélage lui-même au milieu d'une conférence de prêtres orientaux, présidée par l'évêque Jean. Le célèbre hérésiarque parlait grec, et Orose n'avait pour interprètes officieux qu'un prêtre ou deux du nom de Vitalis, d'Avitus et de Passérius, il était difficile de s'entendre. La malveillance des orientaux augmentait encore la difficulté. Aussi la conférence se passa-t-elle dans le plus grand désordre. « Les interruptions se croisaient, les déclarations se combattaient, les unes en grec, les autres en latin. Orose eut des doutes sur l'interprétation d'une de ses pensées, doutes justifiés par le témoignage de Passérius et du prêtre Avitus, qui taxaient l'interprète d'inexactitude et d'erreur. On réclama le procèsverbal, mais il n'y en avait pas. Jean n'avait appelé à la conférence qu'un interprète mal sûr et point de secrétaire pour recueillir les opinions ('). » Orose avait si bien senti l'embarras de sa position qu'il n'osa pas comparaître au concile des Prélats de Palestine, convoqué à Diopolis en l'année 451. « Seul occidental au milieu de tous ces orientaux, Pélage triompha sans conteste. Il fut vraiment le roi du concile, charmant l'assemblée par la facilité de son élocution en langue grecque (2).

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(1) A. Thierry. p. 508. (*) Ibid. 510.

VIII.

Orose était Espagnol et Pélage était Hibernien, «habet progeniem Scotticæ gentis, de Britannorum vicinia. » Saint Augustin, Orose, Saint Prosper le qualifient de breton. Comment se fait-il qu'il participât à l'influence grecque? Nous le dirons plus tard. Il est certain que, lorsqu'il parut à Rome l'an 405, ce ne fut pas un des moindres sujets de l'étonnement qu'il provoqua que cette science grecque qu'il apportait d'un pays habité par les Scots, sauvages tatoués, ayant réputation d'être des anthropophages. Cependant sur cette terre d'Irlande, le christianisme avait trouvé des cœurs dignes de le sentir et la philosophie des intelligences faites pour elles. Déjà s'était formée dans ce pays une discipline monastique où les études avaient trouvé un bienveillant asile; Pélage, dit-on, avait été abbé du monastère de Bangor (1). Sous l'apparence grossière d'un Goliath, disaient les uns, d'un cyclope,disaient les autres, (il était borgne, difforme, eunuque de naissance) (*), il apportait dans l'Occident des qualités qui commençaient y devenir plus rares. Un langage persuasif, quoique incorrect, une grande puissance de déduction logique, un enchaînement serré de ses arguments, une discussion subtile et forte, en faisaient un adversaire redoutable, souple et fuyant. Il était, dit Saint Augustin, acutissimus... fortissimus (3). Nul doute que l'étude du grec, qu'il poursuivit à Jérusalem, n'eût rendu plus vives

à

(1) Script. Brit. ap. Ger. Voss. Hist. Pelag. 1, 3.- Usser. Brit. eccl. antiq. Tillemont. Mém. ecclés. t. XIII, p. 562, 563.

(2) Naturæ vitio, eunuchus matris utero editus. (Marius Mercator. Com. monit. adv. Hæres. Pelag:)

(3) Nat. et Grat. 61, 35.

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encore ces qualités naturelles, Il était fait pour s'entendre avec les orientaux. Ce monstre, dont Orose dit avec mépris mutilus, lævis in fronte μovóplaλμos, » avait répandu une hérésie favorablement accueillie par les Grecs. Jean, évêque de Jérusalem, fut complétement séduit. Saint Augustin, d'abord charmé, lui donna pour un temps son amitié « nam et nos... dileximus (1), » puis il le combattit de toutes ses forces et triompha de lui. C'était une nouvelle victoire de l'Occident sur les tendances philosophiques et rationalistes de l'Orient, manifestées cette fois par un moine hibernien. Saint Jérôme s'éloigna de lui, il n'avait pas tardé à reconnaître dans ses doctrines des opinions analogues à celles d'Origène. Tant il est vrai que l'église bretonne avait ses origines au sein de l'église grecque.

On reconnaîtra sans peine l'influence de l'hellénisme dans le retour subit d'opinion qui releva presque Pélage au moment où ses ennemis le croyaient à jamais abattu. Le pape Innocent mourut, ce fut Zozime qui lui succéda. Il était grec de naissance, et il prit hautement d'abord le parti de Pélage; il blâma ceux qui l'avaient traité d'hérétique. Mais bientôt il changea de conduite, condamna les erreurs du moine Hibernien et de ses fauteurs. Les évêques pélagiens furent déposés de leurs siéges en Italie, et on laissa l'un d'eux, Julien d'Eclanum, exhaler inutilement des plaintes où il disait : « On enlève aux églises le gouvernail de la raison pour que le dogme populaire navigue à pleines voiles (2).

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Parmi les défenseurs des mystères de la Grâce, il faut citer Marius Mercator comme très-versé dans la connaissance de la langue grecque. On croit qu'il était d'Afrique; en 418 il était à Rome et composa contre Julien et les autres chefs pélagiens un ouvrage qu'il

(1) Epist. 105.

(2) Wigger. Versuch einer pragmatischen Darstellung der Augustinianismus und Pelagianismus. t. I, p. 209, cité par Ampère, t. 11, p. 16.

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