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introduisit aussi son cheval, il acheta une bouteille de vin et voulut la lui faire boire. On ne regardait plus ces choses-là comme extraordinaires, car souvent il était entré dans des cabarets et s'était mis à tirer sur les lumières, provoquant ainsi une panique échevelée.

» Un membre influent du Comité rencontra Slade et le prévint sur le ton calme et sérieux d'un homme qui comprend l'importance de ses paroles : « Slade, montez tout de suite à cheval et retournez chez vous, ou bien il y aura... un compte à payer. »> Slade tressaillit et le regarda longuement de ses yeux noirs et perçants. « Que voulez-vous dire ? » s'enquit-il. « Vous n'avez pas le droit de me demander ce que je veux dire, » lui répondit-on avec douceur, « montez à cheval tout de suite et rappelez-vous ce que je vous dis. » Après un court silence il promit d'obtempérer, et, en effet, il se mit en selle; mais, étant gris, à son ordinaire, il commença par appeler ses amis l'un après l'autre, et à la fin il sembla avoir oublié l'avertissement qu'il avait reçu et redevint bruyant, criant le nom d'une courtisane bien connue et l'accouplant à celui de deux hommes qu'il considérait comme les chefs du Comité, cela en guise de cartel, ou simplement peutêtre en manière de bravade. Il est probable pourtant que la menace de danger personnel qui lui avait été intimée n'avait pas été entièrement oubliée, encore que, malheureusement pour lui, il choisît une manière sotte de montrer qu'il s'en souvenait. Il alla, en effet, trouver Alexandre Davis, le juge de la Cour, et, tirant un revolver armé, il le dirigea contre la tête d'Alexandre Davis en lui annonçant qu'il se voyait obligé de le retenir comme otage pour sa propre sécurité. Comme le juge resta parfaitement immobile et n'offrit aucune résistance à son adversaire, il ne s'en suivit aucun nouvel attentat. Auparavant, vu la situation critique, le Comité s'était réuni et avait enfin résolu de l'arrêter.

>> Son exécution n'avait pas été décidée et, à ce moment, elle aurait été repoussée, sans conteste. Un émissaire courut au Nevada pour informer les chefs de ce qui se passait, car on désirait montrer qu'un sentiment unanime régnait à ce sujet dans toute la contrée.

» Les mineurs sortirent presque en masse, quittant leur travail et formant une colonne compacte, forte de six cents hommes environ, armés jusqu'aux dents; ils marchèrent sur Virginia. Le chef de la troupe connaissait bien les dispositions de ses hommes. Il se lança en avant à franc étrier et, rassemblant à la

hâte « l'exécutif», il leur dit clairement que les mineurs voulaient agir» et que, s'ils venaient, ils ne resteraient pas dans la rue à se faire fusiller par les amis de Slade, mais qu'ils s'empareraient de lui et le pendraient. La réunion était peu nombreuse et les habitants de Virginia répugnaient à l'action. L'annonce si importante du sentiment de la basse ville fut ainsi faite à une poignée d'hommes qui délibéraient derrière un chariot, dans la cour d'un magasin de la Grand'Rue.

» Le Comité était très désireux d'éviter les mesures extrêmes. Tous les devoirs qu'il avait remplis jusqu'à présent ne lui paraissaient rien à côté de la tâche qui lui incombait; mais il fallait se décider, et vite. Finalement, on convint que si le corps entier des mineurs était d'avis de pendre Slade, le Comité leur laisserait leur liberté d'action. A toutes brides le chef des hommes du Nevada partit pour rejoindre son poste.

» Slade avait découvert ce qui se préparait et la nouvelle le dégrisa instantanément. Il entra dans le magasin de P. S. Pfout où était Davis et s'excusa de sa conduite, disant qu'il retirait tout.

» La tête de colonne déboucha dans la rue Wallace et s'avança au pas accéléré. Faisant halte en regard du magasin, le délégué exécutif du Comité se présenta et arrêta Slade qui fut aussitôt informé de son sort; on lui demanda s'il avait des affaires à régler. Plusieurs personnes lui parlèrent en ce sens; mais, à toutes ces interrogations, il resta sourd, absorbé par des réflexions terrifiées sur le danger de sa situation. Il implorait sans cesse sa grâce et la permission de voir sa chère femme. La malheureuse femme en question, entre laquelle et Slade existait une chaleureuse affection, habitait à ce moment leur ferme, sur le Madison. Elle était douée de beaucoup d'attraits; grande, bien faite, d'un port gracieux, de manières agréables et, en outre, écuyère consommée.

>> Un messager de Slade courut à cheval lui apprendre l'arrestation de son mari. A l'instant elle sauta en selle et, avec toute l'énergie que l'amour et le désespoir pouvaient prêter à un tempérament ardent et à une constitution robuste, elle poussa son coursier rapide le long des 18 kilomètres qui la séparaient de l'objet de son dévouement passionné.

>> Pendant ce temps, un détachementide volontaires avait fait. les préparatifs nécessaires à l'exécution dans la Vallée. Audessous de l'emplacement du bâtiment de Russel et Pfout, il y avait un coral dont les poteaux de porte étaient grands et forts.

On réunit leurs sommets par une poutre, on y attacha la corde, et une caisse d'emballage servit de plateforme. On y amena Slade, environné d'une garde constituant la troupe la mieux armée et la plus nombreuse qui ait jamais paru dans le territoire du Montana.

» Le condamné s'était tellement épuisé en larmes, prières et lamentations qu'il lui restait à peine la force de se tenir debout sous la poutre fatale. Il s'écriait fréquemment « Mon Dieu! mon Dieu! faut-il donc mourir? O ma femme chérie! >>

» Au retour de la corvée des travailleurs, on rencontra quelques amis de Slade, citoyens d'une honnêteté à toute épreuve et membres du Comité, mais qui étaient personnellement attachés au condamné. En apprenant la sentence, l'un d'eux, homme au cœur solide, tira son mouchoir et s'en alla en pleurant comme un enfant. Slade demandait toujours à voir sa femme de la manière la plus touchante, et il paraissait cruel de repousser sa requête, mais les conséquences sanglantes qui auraient sûrement suivi l'inévitable tentative de délivrance que sa présence et ses objurgations auraient provoquée, firent qu'on la repoussa tout de même. On envoya chercher plusieurs personnes pour l'assister à ses derniers moments; l'une d'elles (le juge Davis) fit une courte harangue au peuple, mais sur un ton si bas qu'il fut impossible de l'entendre, sauf à ses voisins immédiats. Un de ses amis, à bout de supplications, retira son habit et déclara qu'on ne pourrait pendre le prisonnier avant de l'avoir tué lui-même. Une centaine de fusils le visèrent aussitôt; sur quoi il tourna le dos et s'enfuit, mais on le ramena, on lui fit ramasser son habit et promettre qu'à l'avenir il aurait une conduite paisible.

>>A peine put-on trouver un notable de Virginia, quoique une multitude d'habitants se fussent joints aux rangs de la garde quand l'arrestation eut lieu. Tous déploraient la cruelle nécessité qui imposait l'exécution.

>> Tout étant prêt, on fit le commandement : « Faites votre devoir, les hommes ! >> La caisse d'emballage fut soudain repoussée de dessous ses pieds, et il mourut aussitôt.

» Le corps fut descendu et on le transporta à l'hôtel Virginia, où il fut exposé dans une chambre sombre. La compagne infortunée et désormais solitaire du défunt arriva, à toute vitesse, pour trouver que tout était fini et qu'elle était veuve. Sa douleur et ses cris déchirants furent de terribles preuves de la profondeur de son attachement à son mari disparu, et un temps

considérable s'écoula avant qu'elle pût maîtriser l'explosion de ses sentiments. >>

Il y a dans la nature du spadassin quelque chose de tout à fait incompréhensible, du moins qui le paraît bien. Armé et libre, le véritable spadassin fait front contre une armée et se bat jusqu'à ce qu'il soit déchiqueté par les balles; et pourtant, quand il est maté et au pied de l'échafaud, il pleure et supplie comme un enfant. Les mots ne coûtent rien et il est aisé d'appeler Slade un lâche (tous les suppliciés qui ne meurent pas crânement sont tout de suite traités de lâches par les gens irréfléchis), et quand nous lisons de Slade qu'il «< s'était si épuisé en larmes, en prières et en lamentations, qu'il lui restait à peine la force de rester debout sous la poutre fatale », ce mot déshonorant se présente à l'instant. Pourtant, en bravant souvent et en provoquant la vengeance des bandes de coupe-jarrets des Montagnes Rocheuses par le meurtre de leurs camarades et de leurs chefs, sans jamais faire. mine de se cacher ni de fuir, Slade prouva qu'il était un homme d'une bravoure sans égale. Pas un lâche n'aurait osé cela. Maint lâche avéré, maint poltron pusillanime, grossier, brutal, dégradé a prononcé son dernier discours sans un tremblement dans la voix et s'est lancé dans l'éternité avec ce qui semblait la plus calme intrépidité; ainsi nous sommes fondés à conclure de la bassesse intellectuelle de tels ètres que ce n'est pas le courage moral qui leur a donné cette force. Alors, si le courage moral n'est pas la qualité requise, quelle est donc celle qui manquait à ce Slade intrépide? à cet homme poli, aimable, forcené et sanguinaire, qui jamais n'hésita à prévenir ses plus criminels ennemis qu'il les tuerait n'importe où et n'importe quand il les rencontrerait! Je crois que c'est un problème qui mériterait d'être approfondi.

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CHAPITRE XII

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Convoi d'émigrants mormons. Le cœur des Montagnes Rocheuses. Soude pure. Glacière naturelle. Un habitant tout entier. En vue de la « Neige Éternelle ». La Passe du Sud. Les ruisseaux divergents. Facteur infidèle. Rencontre avec de vieux amis. Un melon d'eau perdu. En descendant la montagne.

Scène de désolation. Perdu dans les ténèbres. Un avis inutile.

Les troupes des États-Unis et les Indiens. - Spectacle sublime.
Encore une illusion dissipée. Chez les Anges.

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Juste au delà de la station du déjeuner, nous rattrapâmes une caravane d'émigrants mormons de trente-trois chariots; chemi

nant péniblement et poussant leur troupeau de vaches à la débandade, ils comptaient des douzaines d'hommes, de femmes et d'enfants, grossièrement vêtus et la mine triste, qui avaient marché ainsi qu'ils marchaient maintenant, jour après jour, pendant huit longues semaines et qui avaient couvert en ce laps de temps la distance que notre malle-poste avait parcourue en huit jours et trois heures, 1.284 kilomètres ! Ils étaient poudreux, hirsutes et déguenillés et ils avaient l'air si las!

Après déjeuner nous nous baignâmes dans le Horse Creek, cours d'eau (auparavant) limpide et bouillonnant, volupté appréciée, car il était bien rare que notre furieuse malle-poste s'arrêtât assez longtemps pour nous permettre pareil luxe. Nous changions de chevaux dix ou douze fois par vingt-quatre heures, ou plutôt nous changions de mulets, six mulets, et cela ne nous prenait presque chaque fois que quatre minutes. C'était enlever la besogne. Lorsque notre voiture approchait grand train d'une station, six mulets harnachés sortaient alertement de l'écurie et, environ en un clin d'oeil, l'ancien attelage était emmené, le nouveau attelé et nous repartis.

Dans l'après-midi nous vîmes le Sweetwater Creek, Independence Rock, la Porte du Diable et la Brèche du Diable. Ces derniers étaient des spécimens sauvages de paysages tourmentés et pleins d'intérêt ; nous étions à présent au cœur des Monlagnes Rocheuses. Nous côtoyames aussi le Lac de Soude ou d'Alcali. Le cocher nous dit que les Mormons venaient souvent là, de la Ville du Grand Lac Salé, tirer de la soude, que quelques jours avant ils avaient extrait de terre (c'était un lac sec) assez de soude pure pour charger deux chariots et que, quand ils auraient amené à Lac Salé ces deux chargements d'une drogue qui ne leur coûtait rien, ils les vendraient à 1 fr. 25 la livre.

Dans la soirée, nous passàmes auprès d'une très remarquable curiosité, dont nous avions beaucoup entendu parler depuis un jour ou deux et que nous étions anxieux de voir. C'est ce qu'on pourrait appeler une glacière naturelle. Nous étions au mois d'août et, dans la journée, la chaleur était étouffante; cependant, à l'une des stations, en grattant le sol sur une côte, à l'abri d'une rangée de rochers et à une profondeur de 15 centimètres, on pouvait tailler de purs blocs de glace, durs, compactement congelés et clairs comme du cristal.

Avant l'aurore nous nous remîmes en route et bientôt, tandis que nous étions assis, les rideaux levés, dégustant notre pipe

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