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ractère également primitif, qui était la liberté, l'indépendance.

La fondation d'un grand nombre de monastères appartient à une époque où les moines étaient déjà, et depuis longtemps, incorporés dans le clergé; beaucoup ont été fondés par un patron, laïque ou ecclésiastique, tantôt un évêque, tantôt un roi ou un grand seigneur ; et on les voit, dès leur origine, soumis à une autorité à laquelle ils doivent leur existence. On a supposé qu'il en avait toujours été ainsi, que tous les monastères avaient été la création de quelque volonté étrangère et supérieure à celle de la congrégation elle-même, et qui l'avait plus ou moins retenue sous son empire. C'est méconnaître complétement la situation primitive de ces établissements, et le véritable mode de leur formation.

sonne,

Les premiers monastères n'ont été fondés par perils se sont fondés eux-mêmes. Ils n'ont point été, comme plus tard, une œuvre pie de quelque homme riche et puissant qui se soit empressé de faire bâtir un édifice, d'y adjoindre une église, de le doter, et d'y appeler d'autres hommes pour qu'ils y menassent une vie religieuse. Les associations monastiques se sont formées spontanément, entre égaux, par l'élan des ames, et sans autre but que d'y satisfaire. Les moines ont précédé le monastère, ses édifices, son église, sa dotation; ils se sont réunis, chacun par sa volonté et pour son compte, sans dépendre de personne au dehors, aussi libres que désintéressés.

En se réunissant, ils se trouvèrent naturellement placés, dans tout ce qui tenait aux mœurs, aux croyances, aux pratiques religieuses, sous la surveillance des évêques. Le clergé séculier existait avant les monastères; il était organisé, il avait des droits, une autorité reconnue; les moines y furent soumis comme les autres chrétiens. La vie morale et religieuse de tous les fidèles était l'objet de l'inspection et de la censure épiscopale; celle des moines fut dans le même cas: l'évêque n'était investi à leur égard d'aucune juridiction, d'aucune autorité particulière; ils rentraient dans la condition générale des laïques, et vivaient, du reste, dans une grande indépendance, élisant leurs supérieurs, administrant les biens qu'ils possédaient en commun, sans aucune obligation, sans aucune charge envers personne, se gouvernant eux-mêmes, en un mot, comme il leur convenait.

Leur indépendance et l'analogie de leur situation avec celle des autres laïques était telle que, par exemple, ils n'avaient point d'église particulière, point d'église attachée à leur monastère, point de prêtre qui célébrât, pour eux spécialement, le service divin; ils allaient à l'église de la cité ou de la paroisse voisine, comme tous les fidèles, réunis à la masse de la population.

C'est là l'état primitif des monastères, le point de départ de leurs rapports avec le clergé. Ils n'y demeurèrent pas longtemps: plusieurs causes concoururent bientôt pour altérer leur indépendance, et les lier plus intimement à la corporation ecclé

siastique. Essayons de les reconnaître, et de marquer les divers degrés de la transition.

Le nombre et la puissance des moines allaient toujours croissant : quand je dis puissance, c'est influence que je veux dire, action morale sur le public; car de la puissance proprement dite, de la puissance légale, constituée, les moines n'en avaient point; mais leur influence était de jour en jour plus visible et plus forte. Ils attiraient, à ce titre seul de la part des évêques, une surveillance plus assidue, plus attentive. Le clergé comprit très-promptement qu'il avait là, ou de redoutables rivaux, ou d'utiles instruments. Il s'appliqua donc de trèsbonne heure à les contenir et à s'en emparer. L'histoire ecclésiastique du ve siècle atteste les efforts continuels des évêques pour étendre et constituer leur juridiction sur les moines. La surveillance générale qu'ils étaient en droit d'exercer sur tous les fidèles, leur en fournissait mille occasions et mille moyens. La liberté même dont jouissaient les moines s'y prêtait, car elle donnait lieu à beaucoup de désordres; et l'autorité épiscopale était, de toutes, la plus naturellement appelée à intervenir pour les réprimer. Elle intervint donc, et les actes des conciles du ve siècle abondent en canons qui n'ont d'autre objet que d'affirmer et d'établir la juridiction des évêques sur les monastères. Le plus fondamental est un canon du concile œcuménique tenu à Chalcédoine en 451, et qui porte :

Que ceux qui ont sincèrement et réellement embrassé la vie solitaire

soient honorés comme il convient; mais comme quelques uns, sous l'apparence et le nom de moines, troublent les affaires civiles et ecclésiastiques, parcourant au hasard les villes, et tentant même d'instituer à eux seuls des monastères, il a plu que personne ne pût bâtir ni fonder un monastère ou un oratoire sans l'aveu de l'évêque de la cité Que les moines, dans chaque cité ou campagne, soient soumis à l'évêque, se plaisent au repos, ne s'appliquent qu'aux jeûnes et à l'oraison, et demeurent dans le lieu où ils ont renoncé au siècle. Qu'ils ne se mêlent point des affaires ecclésiastiques et civiles, ne s'embarrassent de rien au dehors et ne quittent pas leurs monastères, à moins que, pour quelque œuvre nécessaire, cela ne soit ordonné par l'évêque de la cité1.

Ce texte prouve que, jusque là, la plupart des monastères se fondaient librement, par la seule volonté des moines eux-mêmes; mais ce fait est déjà considéré comme un abus, et l'autorisation de l'évêque est formellement exigée. Sa nécessité devint loi en effet, et je lis dans les canons du concile d'Agde, tenu en 506:

Nous défendons qu'il soit institué de nouveaux monastères sans la connaissance de l'évêque 2.

En 511, le concile d'Orléans ordonne :

Que les abbés, selon l'humilité qui convient à la vie religieuse, soicnt soumis à la puissance des évêques; et, s'ils font quelque chose contre la règle, qu'ils soient repris par les évêques; et qu'étant convoqués, ils se réunissent une fois l'an dans le lieu que l'évêque aura choisi3.

Ici l'évêque va plus loin, il se fait le ministre de la règle dans l'intérieur même des monastères : cè n'est pas de lui qu'ils la tiennent; il n'a pas été le

1 Conc. de Chalcédoine, en 451, can. 4.

2 Can. 58.

3 Can. 19.

pouvoir législatif monastique; mais il prend le droit d'y surveiller l'exécution des lois.

Le même concile ajoute :

Qu'aucun moine, abandonnant, par ambition ou vanité, la congrégation du monastère, n'ose se construire une cellule à part sans la permission de l'évêque, ou l'aveu de son abbé1.

:

Nouveau progrès de l'autorité épiscopale: les ermites, les anachorètes, les reclus attiraient, plus que les cénobites, l'admiration et la faveur populaire les moines les plus ardents étaient toujours disposés à quitter l'intérieur du monastère pour se livrer à ces glorieuses austérités. Assez longtemps aucune autorité n'intervint pour l'empêcher, pas même celle de l'abbé; vous voyez ici consacré le pouvoir répressif, non-seulement de l'abbé, mais de l'évêque; lui aussi se charge de contenir les moines dans l'intérieur de la maison, et de réprimer les effets extérieurs de l'exaltation.

En 553, un nouveau concile d'Orléans décrète :

Que les abbés qui méprisent les ordres des évêques ne soient point admis à la communion, à moins qu'ils ne renoncent humblement à cette révolte 2.

Et un an après :

Que le monastère et la discipline des moines soient sous l'autorité de l'évêque dans le territoire duquel ils sont situés.

Qu'il ne soit point permis aux abbés d'errer loin de leur monastère

1 Conc. d'Orléans, c. 22.

2 C. 22.

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