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ronde, et qu'on doit faire usage de sa raison autrement que pour raisonner, c'est, d'après nos directeurs de conscience, commettre une monstrueuse impiété, c'est rendre les femmes licencieuses, suivant l'expression d'un bon Père que j'ai eu dernièrement l'avantage d'enten dre à Paris.

C'est à la suite de ce doux et libéral sermon, où par une conséquence forcée, M. Duruy figurait comme la source de toutes les abominations, que j'ai eu la curiosité de relire le Traité de l'éducation des Filles, par le pieux ennemi de Bossuet en théologie, l'aimable évêque quiétiste de Cambrai, dont je viens de placer ici quelques extraits.

Les évêques de nos jours se sont élevés pour combattre toute innovation concernant l'instruction publique qu'ils voudraient accaparer à leur profit. M. Félix Clément, le Dupanloup de l'art, a écrit cette phrase monstrueuse : « TOUT CHANGEMENT DANS LA MUSIQUE EST UN MAL.» Ne vous avais-je pas dit que nous reviendrions aux ouvrages de M. Clément par une pente à peine sensible?

Je laisse là l'enseignement universitaire des filles, les doctrines gothiques de l'histoire générale de la musique religieuse, pour ouvrir une dernière fois la méthode de plain-chant du même auteur. J'y lis, entre autres jolies choses, la description suivante d'un orchestre qui florissait au beau temps, que M. Félix Clément regrette comme musicien autant que comme philosophe :

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Ici, un enfant fait résonner un orgue à petits tuyaux; là un autre enfant ôte de sa bouche une trompette au large pavillon; les cymbales retentissantes se mêlent aux sons aigus des instruments à vent; le chalumeau, dont les tuyaux sont d'inégale grandeur, fait entendre « une agréable mélodie; les doux accents d'une flute enfantine se marient au bruit sauvage des tambours, et les voix sonores des « fidèles viennent augmenter l'effet des accords de la lyre.

L'auteur ajoute :

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« Nous doutons que ce concert spirituel » (dites plutôt infernal) ait plu à saint Grégoire, à saint Bernard, à Jean XXII et à Benoît XIV. »

N'en doutez pas, Monsieur, ce concert n'a pu leur plaire. Mais si, au lieu de cette burlesque et niaise symphonie, nous avons aujourd'hui l'orchestre du Conservatoire et les admirables compositions de Beethoven, c'est que, Dieu merci, aucun éclusier n'a pu arrêter le torrent des idées nouvelles. Comment votre main n'a-t-elle pas tremblé en écrivant

cette sentence chinoise: « Tout changement dans la musique est un mal » ? Pour oser poser ce principe absolu, ce principe de mort (car l'immuabilité dans les arts c'est la mort), il aurait au moins fallu qu'un prophète quelconque, fùt-il le prophète américain José Smith, nous eût doté d'une musique révélée. On peut croire qu'il n'y a pas à revenir sur les révélations divines, bien qu'une foule de lois célestes, dans l'Ancien Testament, telles, par exemple, que celles relatives à la vengeance : « ŒEil pour œil, dent pour dent», à l'esclavage des prisonniers, etc., etc., aient été abrogées pour les chrétiens par le Nouveau Testament; mais où et quand un délégué de l'empire du Très-Haut est-il venu nous révéler la manière de chanter les louanges du Seigneur, hors de laquelle il n'y a pas de salut ?

M. Clément est heureux de nous citer, d'après Plutarque, les condamnations à l'amende de Terpandre, de Timothée et de Phrynides, coupables, comme on sait, d'avoir ajouté une corde à la cithare.

« J'ai reproduit ces citations avec d'autant plus d'opportunité, s'écrie avec ardeur M. Clément, que maintenant la musique est arrivée à un état déplorable. »

La facture des instruments aussi, car il y a loin de la cithare, – même avec la corde criminellement ajoutée par Terpandre, Timothée et Phrynides, -aux pianos de nos bons facteurs français et à ceux de MM. Steinway, de New-York, de Broodwood, de Londres, aux harpes d'Érard, aux violons de Vuillaume, etc.

Nous avons énergiquement blàmé les tendances philosophiques de M. Clément; nous sommes heureux, à un autre point de vue, de lui décerner les éloges qu'il mérite. Si l'on regrette, dans son histoire, l'esprit rétrograde, étroit, anti-français même, qui lui donne un caractère rogue et passionné contre toutes les découvertes modernes et tous les genres de progrès, on trouvera de l'érudition,- un peu surchargée de citations latines peut-être, — de l'intérêt, surtout en ce qui concerne les représentations théâtrales sacrées du moyen âge. Il est curieux, par exemple, de savoir comment on célébrait, à cette époque de foi, les glorieux faits de l'histoire du catholicisme. Les églises se transformaient en salles de spectacle, et depuis l'archevêque jusqu'au moindre petit enfant de chœur, et jusqu'aux simples fidèles, chacun jouait un rôle dans ces drames liturgiques dont les sujets étaient l'Épiphanie, l'Avent et Noël, la Circoncision (plus connue sous le nom de la Fête des fous et de la Messe de l'âne), le mercredi des Cendres, le dimanche des Rameaux, la

Semaine-Sainte, le jour de Pâques, l'Ascension, les fêtes de la Vierge, etc., etc.

En ce qui concerne la Fête des Fous, M. Clément ne cite que pour les combattre les paroles rapportées par M. Fournier Verneuil dans son Tableau moral et philosophique :

« On ne plaît point à Dieu si on ne l'aime véritablement. Toutes vos grimaces jésuitiques, ou de vaches à Colas, sont percées à jour. Ce sont des moyens bas, honteux, un faux christianisme. Platon chérissant les vrais biens, quoiqu'il n'en connût pas l'auteur, valait mille fois mieux que vous et vos momeries. Voulez-vous nous ramener à la fête de l'àne de Vérone et aux quarante moines qui en gardaient les reliques? Voulez-vous que nous chantions à la messe :

« Orientis partibus
Adventabit (sic) asinus
Pulcher et fortissimus.

« Voulez-vous qu'au lieu de dire Ite missa est, le prêtre se mette à braire trois fois de toutes ses forces, et que le peuple réponde en choeur, comme je l'ai vu faire en 1788, dans l'église de Bellaigues, en Périgord? Sont-ce là les pratiques que, selon vous-même, l'Église n'ordonne pas, mais qui plaisent aux fidèles et que vous protégez?... Dussé-je vous siffler tout seul, je vous sifflerai. »

M. Félix Clément qualifie cette protestation si sensée, de persifflage platonicien. M. Clément nie que cela se passait ainsi à la fête de la Circoncision, et il attaque Dulaure qui, dit-il, confond cette fête chrétienne avec je ne sais quelle fête instituée en Provence par le roi René, et dans laquelle on se livrait à des gaités qui rappelaient plus ou moins les antiques saturnales et préludèrent à celles de la renais

sance.

M. Clément s'efforce de prouver qu'il n'y avait rien dans la véritable et primitive version de la « prose de l'âne », rien qui pût choquer le goût le plus délicat et la raison la plus exigeante. Cependant l'auteur ajoute :

<En supposant même qu'on trouve dans cet office de la Circoncision des détails qui répugnent à notre goût moderne, il faut admettre, en nous plaçant au point de vue des idées du moyen âge, que ces représentations, telles que l'Église les avait acceptées, étaient, aux yeux de nos pères, d'une parfaite convenance, contribuaient à augmenter la

solennité des fêtes sacrées, et offraient un grand attrait au peuple, et même à toutes les classes. »

En somme, M. Félix Clément est de l'avis que si tant d'historiens ont blamé comme indignes des temples sacrés ces représentations théàtrales imitées du paganisme, c'est la faute à Voltaire. Parbleu!

Nous avons assez dit pour faire apprécier l'intérêt et le caractère du livre de M. Félix Clément. Il ne s'est point dissimulé, en l'écrivant, qu'il allait froisser les sentiments du plus grand nombre; mais il aime la lutte et ne recule pas devant l'impopularité.

Nous n'avons pas reculé dans la lutte, dit-il. Tous les jours des écrivains courageux, affrontant l'impopularité qui résulte pour eux de la cause qu'ils défendent, suivent, au contraire, leurs adversaires partout où ceux-ci veulent les conduire. »

Nous félicitons M. Clément de son courage, nous le félicitons surtout de sa patiente érudition qui lui a permis de faire de son Histoire de la musique religieuse un véritable puits de science. Les feuilletonnistes, pour lesquels M. Clément professe une très-médiocre estime, pourront y puiser de curieux renseignements; mais qu'ils le fassent avec prudence s'ils ne veulent s'exposer à blesser cette grande dame si respectable et si peu respectée qu'on appelle : Vérité. Qu'ils n'oublient pas ces paroles de l'auteur lui-même :

« Nous croyons que les hommes, en général, ne voient que ce qu'ils veulent voir. »

Les ouvrages de M. Félix Clément, qui ont été admis dans la classe 89 de l'Exposition universelle, forment un ensemble de vingt-deux volumes. Nous n'avons pu les passer tous en revue, et il nous a fallu borner notre examen à ceux qui nous ont paru offrir le plus d'intérêt : c'est-à-dire la Méthode de plain-chant, l'Histoire générale de la musique religieuse et le Paroissien romain, avec les plains-chants harmonisés. Ces trois ouvrages ont obtenu quelque succès. Le jury de l'Exposition a accordé au premier une médaille de bronze; l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a décerné au second la première mention très-honorable dans le concours des antiquités de la France. Enfin le public religieux a fait un bon accueil au troisième, car la librairie Hachette vient d'en mettre en vente une nouvelle édition; la précédente, tirée à dix mille exemplaires, s'étant écoulée assez rapidement. Or tout est bien qui... se vend bien.

L'harmonie popularisée par Bernardin Rahn.

M. Bernardin Rahn a entrepris de vulgariser les éléments de la composition musicale, et il s'est fait le professeur d'harmonie des gens du monde, toujours aimable, toujours facile et attrayant, comme certains docteurs se sont faits médecins des dames.

Le premier exclut avec soin de son enseignement tout ce qui peut fatiguer l'esprit de ses élèves; les seconds rejettent de leurs ordonnances les drogues trop amères, les régimes trop absorbants.

Le premier vous fait écrire dès le début un accompagnement de piano en accords plaqués sous un chant soigneusement expurgé de toute note de passage; les seconds ordonnent, aux premiers symptômes d'un malaise quelconque, migraine, vapeurs, inquiétudes dans les jambes, d'agréables distractions, Bade, Trouville, Arcachon, ou Ba

gnères-de-Luchon.

Pour M. Rahn comme pour ces aimables Esculapes, il n'y a que des roses sans épines, et la science est aussi souriante qu'une danseuse de l'Opéra.

Quand tant de gens voient tout en noir et se heurtent partout contre des difficultés insurmontables, il est, ma foi, bien agréable de rencontrer de temps à autre sur sa route des gens qui portent des lunettes roses, et ne trouveraient pas dans toutes les Pyrénées un seul obstacle infranchissable, ni en Angleterre un seul jour de brouillard. Dieu les a favorisés entre tous, ces faciles esprits : car, remplis des plus douces illusions, ils ont le bonheur de les faire partager à ceux qui les environnent. Avoir vingt ans, posséder d'honnêtes revenus que d'autres ont gagnés pour vous,-vivre à Naples, prendre des leçons d'harmonie de M. Rahn et avoir pour médecin un médecin des dames, n'est-ce pas l'idéal de la félicité ici-bas?

Qu'on ne s'y trompe pas: ce n'est point un blâme que nous infligeons à M. Rahn, c'est au contraire un éloge, un très-sincère éloge que nous lui adressons, car il atteint le but qu'il s'est proposé. Son enseignement, jugé au point de vue d'une école d'harmonie à l'usage des gens du monde, c'est-à-dire de personnes qui n'ambitionnent de la science que la teinture et se soucient moins d'aller au fond des choses où personne ne les suivrait, que de briller à la surface où chacun les applaudira, cet enseignement, dis-je, est parfait, et il est impossible de persuader avec plus de grâce à des ignorants, bien décidés à ne faire aucun effort sérieux pour cesser de l'être, qu'ils sont devenus savants.

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