Images de page
PDF
ePub

ceux de l'église. Waddon, qui avait été intendant de la maison de la reine Rigonthe, se joignit à eux : les autres hommes qui étaient venus avec l'évêque prirent la fuite.

Cependant, l'armée de Gontran quitta Poitiers et se mit à la poursuite de Gondovald. Un grand nombre de Tourangeaux avaient suivi Gondovald attirés par l'appât du butin; mais, dans les combats que livrèrent les Poitevins, quelques-uns furent tués, et la plupart revinrent chez eux tout dépouillés. D'autres Tourangeaux, qui s'étaient joints de leur côté à l'armée Poitevine, s'en allèrent également. L'armée étant arrivée à la Dordogne, commença à tâcher de savoir quelque chose sur Gondovald. A lui s'étaient joints, comme nous l'avons dit plus haut, Didier, Bladaste et Waddon, intendant de la maison de la reine Rigonthe. Ses premiers partisans étaient l'évêque Sagittaire et Mummole. Sagittaire avait déjà reçu la promesse de l'évêché de Toulouse.

Pendant que ces choses se passaient, le roi Gontran envoya un certain Claude, disant : « Si tu vas «<et que, faisant sortir Eberulf de la basilique de << Saint-Martin, tu le frappes du glaive ou le charges «< de chaînes, je t'enrichirai d'un grand nombre de « présens; mais je t'avertis de ne faire aucune insulte « à la sainte basilique. » Claude, vain et avaricieux, accourut promptement à Paris, sa femme étant du district de Meaux. Il forma le projet d'aller voir la reine Frédégonde, disant : « Si je vais la voir j'en pourrai tirer quelque don, car je sais qu'elle est << ennemie de l'homme vers lequel on m'envoie. » S'étant donc rendu auprès d'elle, il en reçut pour le

moment des présens considérables, et beaucoup de promesses si, arrachant Eberulf de la basilique, il parvenait à le tuer ou à le charger de chaînes, après l'avoir entouré de piéges, ou à l'égorger dans son appartement même. Arrivé à Châteaudun, Claude pria le comte de lui donner trois cents hommes, comme pour garder les portes de la ville de Tours; mais c'était en effet pour qu'à son arrivée il pût, avec leur secours, égorger Eberulf. Lorsque le comte eut mis ces hommes en marche, Claude arriva à Tours. En route, il commença, selon la coutume des barbares, à consulter les aruspices. Il demanda en même temps à beaucoup de personnes si le pouvoir de saint Martin se manifestait actuellement contre les perfides, ou du moins si les outrages faits à ceux qui avaient placé leur confiance en lui étaient suivis d'une prompte vengeance.

Ayant disposé les soldats qu'il avait amenés pour l'aider, il entra dans la sainte basilique. S'étant aussitôt rendu auprès du malheureux Eberulf, il commença à lui faire des sermens et à jurer par tout ce qu'il y avait de plus sacré et même par la vertu de l'évêque présent, que personne ne lui était plus sincèrement attaché que lui, et qu'il pourrait le réconcilier avec le roi. Il avait médité ce projet disant : « Si je ne le trompe par de faux sermens, je ne vien<< drai jamais à bout de lui. » Le pauvre Eberulf lui voyant faire de tels sermens dans la sainte basilique, sous les portiques et dans tous les endroits saints de l'édifice, crut à cet homme parjure. Un des jours suivans, comme nous nous trouvions dans une métairie située presque à trente milles de la ville, Claude fut

invité avec Eberulf et d'autres citoyens à un repas dans la sainte basilique, et là Claude l'eût frappé de son épée si ses serviteurs eussent été plus éloignés de lui. Cependant Eberulf, imprudent et vain, ne s'en aperçut point; lorsque le repas fut fini, Eberulf et Claude se promenèrent dans le vestibule de la maison épiscopale, se promettant tour à tour, et avec des sermens réciproques, amitié et fidélité. Dans cette conversation Claude dit à Eberulf : « Il me plai<< rait de boire un coup dans ton logis si nous avions des « vins parfumés, ou si ta générosité faisait venir des «< vins plus forts. » Eberulf ravi répondit qu'il en avait disant: «< Tu trouveras dans mon logis tout ce que tu « voudras; que mon Seigneur daigne seulement entrer << dans ma chétive demeure. » Il envoya ses serviteurs l'un après l'autre chercher des vins plus forts, des vins de Falerne et de Gaza. Claude, le voyant seul et sans ses gens, éleva la main contre la basilique et dit : « Bien«< heureux Martin, faites que je revoie bientôt ma « femme et mes parens; » car le malheureux était placé dans une cruelle alternative, il méditait de tuer Eberulf dans le vestibule, et craignait le pouvoir du saint évêque. Alors un des serviteurs de Claude qui était plus robuste, saisit Eberulf par derrière, le serra fortement dans ses bras, et l'ayant renversé le livra, la poitrine découverte, aux coups du meurtrier. Claude ayant dégainé son épée la dirigea contre lui. Mais Eberulf, quoique retenu, tira de sa ceinture un poignard et se tint prêt à frapper. Au moment où Claude, la main levée, lui enfonçait son fer dans le sein, Eberulf lui plongea vigoureusement son poignard sous l'aisselle, et, en le retirant, lui coupa le pouce d'un nouveau

coup. Cependant les gens de Claude revenant armés, percèrent Eberulf de différens coups. Il s'échappa de leurs mains, et, presque mort, il s'efforçait de fuir; mais ils lui déchargèrent sur la tête de grands coups de sabre. La cervelle brisée, il tomba et mourut. Ainsi il nefut pas digne d'être sauvé par le saint qu'il n'avait jamais prié sincèrement.

armés

Claude, frappé de crainte, se réfugia dans la cellule de l'abbé, réclamant la protection de celui pour le patron duquel il n'avait jamais eu de respect. Il lui dit : « Un crime énorme a été commis, et sans ton << secours nous périssions. » Comme il parlait, les gens d'Eberulf se précipitèrent armés d'épées et de lances. Trouvant la porte fermée, ils rompirent les vitres de la cellule, lancèrent leurs javelots par les fenêtres, et percèrent d'un coup Claude déjà demimort; ses satellites se cachèrent derrière les portes et sous les lits. L'abbé, saisi par deux clercs, eut de la peine à échapper vivant de ces épées. Les portes ayant donc été ouvertes, la troupe des gens se précipita dans l'intérieur. Quelques-uns des marguilliers et des pauvres de l'église, indignés du crime qui venait d'être commis, s'efforcèrent de briser le toit de la cellule. Ces furieux et d'autres misérables accoururent avec des pierres et des bâtons pour venger l'insulte faite à la sainte basilique, supportant avec peine qu'on eût fait là des choses jusqu'alors inouies. Que dirai-je ? les fuyards furent arrachés de leurs retraites, et massacrés impitoyablement. Le pavé de la cellule fut souillé de sang. Après qu'on les eut tués, on les traîna dehors, et on laissa leurs corps nus sur la terre froide. Les meurtriers, les ayant dé

pouillés, s'enfuirent la nuit suivante. La vengeance divine s'appesantit immédiatement sur ceux qui avaient souillé de sang humain le saint édifice : mais ce n'était pas un léger crime que celui de l'homme que le saint évêque ne protégea pas contre un pareil sort.

Cette affaire mit le roi dans une grande colère; mais lorsqu'il en sut la raison, il s'adoucit: il fit présent à ses fidèles tant des meubles que des immeubles que le malheureux Eberulf avait conservés de sa fortune particulière. Sa femme, complétement dépouillée, demeura dans la sainte basilique. Les parens de Claude et de ses gens emportèrent leurs corps dans leur pays, et les ensevelirent.

Gondovald envoya vers ses amis deux députés, l'un et l'autre clercs. L'un des deux, abbé de la ville de Cahors, cacha dans des tablettes creuses et sous un sceau les dépêches qu'on lui avait confiées; mais, ayant été arrêté par les gens du roi Gontran, on trouva les dépêches, et on le conduisit en présence du roi ; après l'avoir cruellement battu de verges, on le fit garder.

Dans ce temps, Gondovald, demeurant à Bordeaux, avait acquis l'affection de l'évêque Bertrand. Comme il cherchait de tous côtés des secours, quelqu'un lui raconta qu'un certain roi d'Orient, ayant enlevé le pouce du martyr saint Serge, l'avait implanté dans son bras droit, et que lorsqu'il était dans la nécessité de repousser ses ennemis, aussitôt que, plein de confiance en ce secours, il élevait le bras droit, l'armée ennemie, comme accablée de la puissance du martyr, se mettait en déroute. A ces paroles, Gondovald s'in

« PrécédentContinuer »