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Avec ma liberté que vous m'avez ravie,

Si vous le fouhaitez, prenez encor ma vie. Pourvu que, par ma mort, tout le peuple irrité, Ne vous raviffe pas ce qui m'a tant coûté.

NÉR ON.

Hé bien donc, prononcez. Que voulez-vous qu'on faffe?

A GRIP PIN E.

De mes accufateurs qu'on puniffe l'audace; 1)
Que de Britannicus on calme le courroux;
Que Junie, à fon choix, puiffe prendre un époux;
Qu'ils foient libres tous deux, & que Pallas demeure ;
Que vous me permettiez de vous voir à toute heure;

( appercevant Burrhus dans le fond du théâtre.) Que ce même Burrhus, qui nous vient écouter, A votre porte enfin n'ofe plus m'arrêter. 2)

1) De mes accufateurs qu'on puniffe l'audace ; &c.] Ceci a rapport au fait fuivant. Agrippine, felon Tacite, ayant convaincu Séneque & Burrhus de fon innocence, ils déclarerent fauffe l'accufation qu'on avoit intentée contr'elle; ils obtinrent même de l'empereur une entrevue, dans laquelle elle demanda juftice de fes accufateurs, & des récompenfes pour ses favoris, que Néron ne put s'empêcher de lui accorder. Annal. liv. XIII.

2) Que ce même Burrhus, qui nous vient écouter,

A votre porte enfin n'ofe plus m'arrêter.]

Malgré tout ce que dit Louis Racine, pour justifier son

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NÉRON.

Oui, Madame, je veux que ma reconnoiffance
Déformais dans les cœurs grave votre puissance;
Et je bénis déjà cette heureufe froideur,
Qui de notre amitié va rallumer l'ardeur.
Quoi que Pallas ait fait, il fuffit, je l'oublie.
Avec Britannicus je me réconcilie.

Et, quant à cet amour qui nous a féparés,
Je vous fais notre arbitre, & vous nous jugerez.
Allez donc, & portez cette joie à mon frere.
Gardes, qu'on obéiffe aux ordres de ma mere. 1)

pere, il eft certain que Burrhus a bien l'air d'un homme qui écoutoit à la porte. De quel droit vient-il troubler par fa préfence un entretien particulier que l'empereur a avec fa mere?

1) Gardes, qu'on obéiffe aux ordres de ma mere.

Cette belle scene eft dans le goût de celle d'Augufte & de Cinna, dont Séneque avoit fourni l'idee à Corneille. Traité de la Clémence, liv. I. chap. 1x. Elle reffemble encore mieux à celle de Cléopatrè & de fes deux fils dans Rodogune, où cette mere cruelle commence ainsi :

Mes enfans prenez place, &c.

Ale II. Scene III.

Il faut convenir que fi la fcene de Racine ne le cede en rien à celle de Corneille pour la force des fentiments & la beauté de l'expreffion, elle leur eft inférieure pour l'intérêt théâtral.

Q

SCENE III.

NÉRON, BURRHUS,

BURRH US.

UE cette paix, Seigneur, & ces embraffements Vont offrir à mes yeux de fpectacles charmants! Vous fçavez fi jamais ma voix lui fut contraire; Si de fon amitié j'ai voulu vous distraire, Et fi j'ai mérité cet injufte courroux.

NERON.

Je ne vous flatte point, je me plaignois de vous,
Burrhus; je vous ai cru tous deux d'intelligence.
Mais fon inimitié vous rend ma confiance.
Elle fe hâte trop, Burrhus, de triompher;
J'embraffe mon rival, mais c'eft pour l'étouffer.

Quoi, Seigneur!

BURRH U S.

NERON.

C'en eft trop. Il faut que fa ruine

Me délivre à jamais des fureurs d'Agrippine.
Tant qu'il refpirera je ne vis qu'à demi.
Elle m'a fatigué de ce nom ennemi;

Et je ne prétends pas que fa coupable audace
Une feconde fois lui promette ma place.

BURRHU S.

Elle va donc bientôt pleurer Britannicus?

NÉRON.

Avant la fin du jour je ne le craindrai plus.
BURRH U S.

Et qui de ce deffein vous infpire l'envie?
NÉRON.

Ma gloire, mon amour, ma fûreté, ma vie.

BURRH U S.

Non, quoi que vous difiez, cet horrible deffein Ne fut jamais, Seigneur, conçu dans votre fein.

Burrhus!

NERON.

BURRH U S.

De votre bouche, ô Ciel! puis-je l'apprendre? Vous-même, fans frémir, avez-vous pu l'entendre? Songez-vous dans quel fang vous allez vous baigner? Néron dans tous les coeurs eft-il las de régner? Que dira-t-on de vous? Quelle eft votre pensée ? NERON.

Quoi! toujours enchaîné de ma gloire paffée,

J'aurai devant les yeux je ne fçais quel amour, Que le hafard nous donne & nous ôte en un jour? Soumis à tous leurs voeux, à mes defirs contraire, Suis-je leur empereur feulement pour leur plaire?

BURRH U S.

Et ne fuffit-il pas, Seigneur, à vos fouhaits,
Que le bonheur public foit un de vos bienfaits? 1)
C'est à vous à choisir, vous êtes encor maître.
Vertueux jufqu'ici, vous pouvez toujours l'être. 2)
Le chemin eft tracé, rien ne vous retient plus;
Vous n'avez qu'à marcher de vertus en vertus.

1) Et ne fuffit-il pas, Seigneur, à vos fouhaits,

Que le bonheur public foit un de vos bienfaits? I Idée empruntée de Séneque, mais bien plus refferrée dans le poëte françois que dans le tragique latin. Il est beau dit-il, d'atteindre à la célébrité des hommes illuftres, de veiller au bonheur de la patrie, d'épargner les malheureux, de s'abftenir du meurtre, de mettre un frein à fa colere, de donner le repos à l'univers. Octavie, acte II. fcene 11.

2) Vertueux jufqu'ici, vous pouvez toujours l'être. F

Ce n'eft point ici une baffe flatterie : Burrhus fçait trèsbien que Néron n'a jamais été vertueux, mais il feint que le peuple eft charmé de sa vertu, afin que Néron ne commette pas un crime qui détruiroir la bonne opinion qu'on a de lui. C'est de même pour exciter ce monftre à la bonté, que Séneque fait de lui un fi beau portrait: Je vais, dit-il, Céfar, faire l'office d'un miroir, & vous préfènter à vous-même. Traité de la Clémence, liv. I. chap. I.

C.c.iij

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