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duc en villégiature qui a bien voulu se charger de cette merveilleuse cuisine. Je tais son nom parce que, modeste comme beaucoup de grands hommes. il tient à ne pas signer ses chefs-d'œuvre.

Le peintre continua :

- Et regardez l'assistance! Voici M. Poire-à-soif, par exemple, qui vous donnera des conseils sur la manière de se conduire avec les femmes. Je vous assure qu'il s'y entend très bien. Ces dames aiment qu'on les débarrasse de leur argent et qu'on leur chatouille un peu rudement l'épiderme. Je vous avoue, pour ma part, que c'est ma méthode...

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- Ah! assez, fit Lili en secouant le bras de Mauffez. Ne me fais pas passer pour ce que je ne suis pas.

Puis elle ajouta avec un sourire et en haussant les épaules :

Enfin, c'est réglé pour moi. L'averse est tombée. Je m's'coue. A présent, c'est le tour des autres.

Vous avez à votre droite, reprit Mauffez, mon cher Perdriel, un homme fort riche. N'auriez-vous pas en ce moment quelques jolies petites affaires véreuses en train pour lui extorquer quelque argent...

Le riche amateur se tourna vers un de ses voisins; il n'avait pas compris le mot « véreux » et il en demanda l'explication. Quand on lui eut répondu :

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Ah! ah! charmant! très joli. fit-il en éclatant de rire.

Vous pourriez trouver peut-être, disait toujours Mauffez, parmi les jeunes femmes qui entourent cette table, une personne charitable qui voulût bien se charger d'amuser vos veilles. Ce ne serait malheureusement pas la maîtresse d'un ami...

Mais qu'est-ce qu'il a? Mais qu'est-ce qu'il a? grommelait Perdriel qui commençait à deviner l'orage.

Aussi je vois bien que, malgré les délicatesses du menu, malgré les charmes de l'assistance, je ne pourrais réellement pas vous satisfaire, à moins de me retirer discrètement. ce dont mon dévouement pour vous n'est pas encore capable. Souffrez donc, cher Perdriel et cher Vermacher, que je vous prie d'aller chez Veber retrouver mon ombre, puisque ma personne ne saurait désormais vous être bien agréable.

Voilà une farce de fort mauvais goût, fit Perdriel entre ses dents. Il est gris! Sûrement il est gris!

J'affoue ne bas gombrendre, ajouta Vermacher.

-Tâchez que je ne vous donne pas d'autres explications. Elles ne seraient pas de votre goût, s'écria le peintre en montrant la porte du doigt au large et épais Vermacher, qui fit sa retraite avec Perdricl, au milieu d'une assistance glaciale. De rouge, il avait pris des teintes de vert-de-gris. Quant au crâne brillant et comme ciré de Perdriel, il était toujours inaltérable aux émotions.

Lorsqu'on entendit la porte de la rue se refermer avec fracas sur es deux bannis, des félicitations tumultueuses assaillirent Mauffez.

Les rois ne sont pas les seuls hommes du monde à avoir leurs courtisans.

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Tous mes compliments, mon cher ami, pour cctte exécution. — C'est un homme taré, ce Perdriel.

Je vous avoue, mon cher ami, dit M. de La Baille, que ma seule amitié pour vous me faisait lui donner la main.

Au milieu de ce concert, la petite voix de Lili, qui était devenue criarde pour la circonstance, dominait toutes les autres. Lili avait toutes sortes d'histoires plaisantes à raconter sur les expulsés.

C'est bien! dit Mauffez en baissant la tête. Et puisque les mouches et les mouchards sont partis : à table!

A ce moment, M. de Requoy s'approcha du maître pour prendre congé. Sa fatigue, disait-il, ne lui permettait pas de rester au souper auquel on voulait le convier. Il sortit, heureux d'avoir pu obtenir de Mauffez un rendez-vous pour le lendemain. Moi, je restais encore. Lili ne m'avait-elle pas dit que Juliette allait venir?

A peine M. de Requoy était disparu, je vis la gentille Riquette qui mettait son chapeau.

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Tu pars? demanda Bluette.

Oui, j'ai r'fait l'pante qui s'en va. Il a l'sac. - Qui t'a dit ça ?

L'espérience. C'est un pante chic qui vient de province pour acheter des tableaux. J'lui ai tapé dans l'œil. Il a dit qu'il allait à l'hôtel et qu'i me rejoindrait cette nuit. Tu sais où j'donne mes rendez-vous.

- Moi, vois-tu, à ta place, j'aurais pas confiance. Ces gens de province, ça boufferait sa m... putôt que d'sortir une cigue.

Elles s'étaient écartées des invités, et continuèrent à demi-voix leur conversation.

- Crains rien, va! fit Riquette. On grattera l'porc s'i n'veut pas suer. Viens-tu?

- Ah! moi, j'aime pas ces histoires-là.

Allons, est-ce que j'suis un bleu? T'épate pas. J'connais l'métier. J'ferai pas de turbin inutile. Seulement, c'est en cas qu'y ait d'la rouspétance; vaut mieux être deux qu'une. Le p'tit aura l'œil, et le clampin aussi, mais une de pus, ça fait pas d'inal.

Ah! me dis-je, M. de Requoy s'est fourré dans un joli guêpier. Il faut à tout prix le prévenir. Mais comment? Il ne couchait pas chez lui quand il était de passage à Paris, et j'ignorais l'hôtel où il descendait. Une idée soudaine me donna une résolution. M. de Requoy voyait toujours Ancelle, lui seul devait savoir son adresse. Je répugnais profondément à me rendre chez cet homme qui m'était odieux, mais je n'avais pas d'autre moyen de sauver M. de Requoy d'un malheur probable, qui sait? peut-être de la mort. C'était moins le souci de sa personne qui me rendait si anxieux que la pensée de Geneviève. Je me rappelais l'attendrissement qu'elle avait eu en prenant la lettre de son père et les paroles qui s'était échappées de ses

lèvres à son départ : « C'est un enfant, papa, un tout petit enfant! » Malheureusement, je ne connaissais pas plus l'adresse d'Ancelle que celle de M. de Requoy.

Je la demandais à Lili, quand je remarquai un mouvement parmi les invités. Suzette de Joigny, Félicienne d'Entragues, s'étaient levées et Lili, sans faire attention à mes paroles, se tournait vers la porte. Juliette venait d'apparaître, pâle, avec un sourire un peu effacé, surprise sans doute de rencontrer une assistance si nombreuse; mais elle reconquit aussitôt sa grâce modeste et insinuante, et elle se glissait vive et gaie parmi les convives; souple, échappant d'un bond coquet aux étreintes, et répondant par un regard malicieux aux caresses qui n'avaient pu l'atteindre.

(A suivre).

HUGUES REBELL

QUELQUES ÉGARES

politiques et sociales

Dans le message qu'il vient d'adresser à « messieurs les sénateurs » et à « messieurs les députés,». M. Loubet constate qué: « La transmission régulière des pouvoirs, accomplie en quelques heures,... a été aux yeux du monde entier une preuve nouvelle de la fidélité de la France à la République, au moment même où quelques égarés cherchent à ébranler la confiance du pays dans ses institutions. >>

C'était nous qui, naguère, étions les égarés; et même c'était quand les hommes du gouvernement voulaient nous faire une faveur qu'ils daignaient nous appeler sculement les égarés; à présent les égarés sont ceux qui cherchent à ébranler la confiance du pays dans ses institutions.

De ces égarés nous ne retiendrons pas ceux que tout le monde connait et observe; nous retiendrons celui qui est le plus dangereux parce qu'un certain nombre de bons citoyens se sont laissé séduire à sa fausse bonhomie : nous retiendrons M. Charles Dupuy.

Un excellent député radical me disait avant la loi de dessaisissement : « Nous votons pour le ministère Dupuy parce que c'est le seul moyen d'éviter le ministère Méline. » L'expérience a montré que ce n'était pas le moyen d'éviter le ministère Dupuy.

M. Dupuy n'est pas seulement dangereux par la confiance mal placée qu'il a su inspirer à un certain nombre de républicains; il est devenu particulièrement dangereux parce que, d'ambitieux grossier qu'il était, il est devenu un ambitieux grossier malheureux.

Si les aventures de ce personnage n'avaient un retentissement dangereux sur nos libertés, une certaine pitié lui serait due pour ses malechances.

Il s'était, par un long silence laborieusement gardé, fait pardonner ses anciennes duplicités; il avait fait le malade, l'homme fini, l'homme inoffensif; et il était ainsi revenu au pouvoir.

Président du Conseil, il voulut tromper les deux partis en présence: il y réussit un certain temps; il commençait à user lentement la Chambre criminelle de la Cour de cassation ; et, par une malechance dernière, quand M. Dupuy venait de tromper les républicains, à leur tour, M. Félix Faure laissa ouvrir la succession présidentielle.

Le surlendemain, le samedi dans l'après-midi, la France cut cette nouveauté que le Président de la République fut un président républicain. M. Charles Dupuy voulut user ce président comme il avait voulu déjà user les juges.

Malheureusement le Président du Conseil fut bien mal servi par des subordonnés trop zélés; de la gare Saint-Lazare au ministère des

Affaires étrangères le scandale fut excessif; les camelots payés pour figurer le peuple de Paris s'amusèrent trop à ce carnaval nouveau. Tout le monde comprit; les républicains du Sénat et de la Chambre, qui avaient fait l'élection présidentielle, demandèrent des comptes au Président du Conseil.

Alors M. Dupuy, qui a une longue habitude, recourut au second moyen. Vous n'ignorez pas qu'il y a deux moyens de perdre un président : le premier est de ne pas le garder, le deuxième est de le garder trop; non seulement chacun de ces deux moyens est bon, mais le deuxième est justement complémentaire du premier; quand on a épuisé le premier, le second se présente naturellement comme une réparation nécessaire.

Aussi, dès le mercredi suivant, les agences nous communiquèrentelles soigneusement la liste extraordinaire des précautions minutieuses prises pour assurer le lendemain, non seulement la sécurité, mais aussi la dignité de tous ceux qui défileraient dans le cortège.

Par un clair soleil de printemps un peu frais, le cortège passa; et tout de suite on cut l'impression que les précautions prises étaient parfaitement inutiles; tout le monde était là, le vrai peuple, joyeux du beau temps, joyeux de la fête, joyeux du cortège, du spectacle ; ce fut un beau jour de promenade, et d'amusement honnête, une micarême plus franche, moins apprêtée, plus ouvrière, moins banalement et bêtement bourgeoise. On était profondément heureux et asscz convenable; on ne se battait pour voir. Et on eut la preuve que les manifestations précédentes avaient été organisées, payées, tolérécs, encouragées.

Les grandes cérémonies militaires ne sont pas autant qu'on le croit favorables aux grands chefs, car, tout ployés qu'ils soient sous le faix des dorures, ils font presque tous piteuse mine auprès de leurs hommes; la foule, qui s'y connait, regardait curieusement le général Zurlinden; mais elle regardait avec admiration les simples cuirassiers de l'escorte; et puis elle sentait vaguement que tous ces grands messieurs n'étaient pas au-dessus d'elle, puisqu'ils défilaient devant elle, puisqu'ils donnaient devant elle et pour elle une représentation. Enfin la foule trouvait que M. Loubet avait l'air bon garçon : tout est là.

Sur le tard M. Déroulède eut l'idée invraisemblable d'emmener à l'Elysée deux régiments d'infanterie qui étaient sur pied depuis le petit jour; notez que ces deux régiments rentraient à Reuilly, au casernement, que les hommes n'attendaient que le moment de rentrer à la chambrée pour jeter le sac sur le paquetage, manger la soupe du soir, et aller faire un tour en ville, puisque c'était jour de fête. L'idée d'aller monter la garde à l'Elysée ne leur sourit sans doute point, car on me dit que les ligueurs malencontreux reçurent quelques coups de crosse. Le général Roget, qui commandait la brigade, fit comme ses hommes.

On a conduit au Dépôt M. Déroulède, M. Marcel Habert, M. Mil

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