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contre jamais dans leurs discours un de ces traits brûlans qui partent de l'ame. Ce qu'on appelle onction leur est totalement inconnu, et à peine soupçonment-ils ce pathétique sans lequel il n'y a point de véritable orateur. Ils étalent par-tout, je ne sais quelle affectation de faire les penseurs, je ne sais quelle morgue didactique, je ne sais quel esprit de métaphysique qui, joint à une grande prétention à la subtilité, glace le coeur et ne porte aucune conviction dans l'esprit. Saurin, le premier d'entr'eux, à notre avis, a de beaux momens, des traits hardis, des développemens heureux. Il faut lui savoir gré de ne jamais chercher à plaire, à montrer de l'esprit, et de ne jamais perdre de vue ses auditeurs pour courir après ses phrases. Mais il se noie presque toujours dans un torrent de citations fastidieuses et de discussions scientifiques qui sont incompatibles avec la véritable éloquence. Il a plus de mouvement que de sensibilité, plus de véhémence que de chaleur. Quelquefois il veut prendre le ton d'un prophète, et il n'a l'air que d'un enthousiaste. Quelquefois il est éloquent, mais c'est sur-tout quand l'esprit de secte l'emporte, quand il tonne contre Louis XIV; et alors on sent qu'il est plus fort de sa colère que de sa verve son éloquence est comme un feu concentré, qui se manifeste plutôt par une sombre fumée que par des flammes vives et claires. Génie dur, sans flexibilité et sans délicatesse, il ressemble à-peu-près à ces hommes nerveux, à la vérité, mais pâles et maigres, et qui n'ont aucune des graces du corps. Tillotson, regardé comme le premier modèle de la chaire anglaise, n'est qu'un froid commentateur, manquant tout à la fois et de noblesse et d'énergie. Son style pur et

clair est toujours foible et monotone, négligé et languissant. Il va toujours divisant, subdivisant, et se perdant daus des divagations arides, dans des calculs abstraits, dans des détails communs, et très-souvent voisins de la bassesse. Sa fécondité n'est que diffusion, et son abondance vient bien plus de sa pauvreté que de sa richesse. Enfin quelque talent qu'on lui suppose, ainsi qu'à Saurin, il est impossible d'y aller, chercher des modèles de goût et des leçons d'éloquence. Cette supériorité des orateurs catholiques sur les orateurs protestans, est reconnue par ceux même qui ont le plus d'intérêt de la méconnoître, et le philosophe Hume ne fait nulle difficulté d'avouer, dans son Essai sur l'éloquence, que les orateurs anglais renonçant à toute espérance d'émouvoir leurs auditeurs, se sont réduits à la simple argumentation. Quelle est donc la cause secrète qui produit cette différence; et qui résoudra cette espèce de problême ? Ce n'est pas la différence des climats ni la différence des langues, puisque ces langues et ces climats sont à-peu-près communs et aux catholiques et aux protestans. Ce n'est pas la différence de morale, puisqu'elle est à-peu-près la même, quant au fond, dans les deux communions. Ce n'est point défaut de lumières, puisqu'on ne peut contester aux protestans de compter parmi eux des génies et des savans du premier ordre. Cette prééminence des uns sur les autres dans le genre oratoire ne peut venir que de la différence des deux religions et des deux ministères.

Les prédicateurs catholiques appuient principalement leur morale sur le dogme qui l'agrandit en même temps qu'il la consacre. Les sujets qu'ils traitent sont ordinairement puisés dans le foud Tome V.

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même de la religion, et tiennent à ses plus hauts principes. Ils s'enveloppent, pour ainsi dire, de toute la majesté des mystères, qui communiquent à leurs compositions oratoires une vigueur et une élévation que ne comporte pas une morale toute simple. Ils entrent, comme le grand prêtre, dans le saint des sammts pour en rapporter des oracles, qui, sortis de ces sacrés nuages, n'en sont que plus imposans et n'en paroissent que plus vénérables. Les prédicateurs protestans puisent presque tous leurs discours dans une raison toute nue, qui semble s'effaroucher de tout ce qui est dogme, et dédaigner tout ce qui est mystère. Les sujets qu'ils traitent ordinairement ne diffèrent guère des traités de Cicéron et de Sénèque, et paroissent plus faits pour des rhéteurs que pour des apôtres, pour des littérateurs que pour des chrétiens. Ils sont donc moins éloquens, parce qu'ils emploient moins les matières propres à allumer le feu de l'élo

quence.

Les prédicateurs catholiques puisent dans la lecture et l'autorité des saints pères, où se trouve, comme dit Bossuet, la première sève du christianisme, les plus grandes ressources de leurs talens. Disciples respectueux de ces génięs si élevés et de ces ames si héroïques, qui sont nos maîtres dans l'éloquence comme dans la vertu, ils se nourrissent de leur substance, ils se pénètrent de leur esprit, ils s'enrichissent de tous les trésors de leurs veilles, enfin ils s'efforcent de transporter dans leurs sermons toutes les beautés que l'on trouve dans ces grands hommes; et, par je ne sais quel heureux mélange des formes antiques et des formes nouvelles, ils donnent à leur éloquence un caractère particulier qui n'appartient qu'à elle,

et qu'on voudroit en vain chercher ailleurs. Les prédicateurs protestans dédaignent de creuser cette mine féconde dans laquelle ils trouveroient la condamnation de leur nouveautés. L'autorité des saints pères, qu'ils affectent de mépriser parce qu'ils ont intérêt de les méconnoitre, n'est rien pour eux. Ils rougiroient "de citer dans leur discours saint Chrysostôme et saint Augustin, et ils se privent par là de toutes les richesses qu'ils puiseroient dans la tradition des siècles et l'antiquité ecclésiastique.

Les prédicateurs catholiques ont beaucoup plus d'autorité en chaire. Séparés du monde par leur caractère, par leurs fonctions, par leurs vertus, par leurs sacrifices, par leur genre de vie; ils se présentent à leurs auditeurs avec bien plus d'avantage. C'est véritablement l'envoyé de Dieu qui parle en eux. Ainsi que leur ministère est plus auguste, leur langage est plus saint, leurs accens sont plus religieux; et comme ils doivent se concilier de la part de leurs auditeurs un plus grand respect, ils doivent tonner avec plus de force.

Les prédicateurs protestans ne sont élevés audessus de leurs auditeurs que de la hauteur de leur chaire. Confondus dans la foule par leurs rapports profanes, mêlés dans la société à laquelle ils tiennent par leur femmes et par leurs enfans, et n'ayant rien qui les distingue essentiellement des séculiers, ils ne sont tout au plus que des sages et de simples moralistes, expliquant à leurs concitoyens les devoirs de l'homme, et leur donnans des leçons de vertu. Ils conseillent plutôt qu'ils n'ordonnent, ils avertissent plutôt qu'ils. ne défendent, et ils censurent plutôt qu'ils ne condamnent, Leur position est donc bien moins

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favorable à l'orateur, et il est aisé de sentir, que ce n'est pas de leur côté que doit se trouver la véritable éloquence.

Les prédicateurs catholiques puisent dans la pompe de leur culte, dans la majesté de leurs cérémonies, dans la magnificence de leurs temples, de quoi enflammer leur imagination, perfectionner leur goût, nourrir leur enthousiasme, et donner un nouvel essor à leurs talens. Chez eux la solennité des discours doit répondre à celle de la liturgie, et leur éloquence doit porter l'empreinte de toutes ces formes augustes et brillantes dont ils sont entourés. Le culte des prédicateurs protestans n'a aucun de ces avantages. Triste et nu, il ne dit rien aux sens. M. Villers lui-même, qui voit tout en beau, quand il s'agit de la réforme, nous dit, dans sou discours couronné à l'Institut, que ce culte tend à dessécher l'imagination, ainsi qu'il ôte aux arts un de leurs plus puissans ressorts. Or, qui ne sait que l'imagination est le premier levier dont se sert l'homme sensible, pour remuer l'homme raisonnable; que c'est elle qui anime tout, qui peint tout ; et que sans elle conséquemment il n'y a pas de grand orateur.

Les prédicateurs catholiques, par l'usage où ils sont de prêcher de mémoire, sont forcés de cultiver la partie extérieure de l'éloquence; partie bien plus nécessaire que l'on ne pense communément, et à laquelle les anciens attachoient un si grand prix, que Démosthènes en faisoit dépendre toute l'éloquence. Ils étudient l'art de régler avec bienséance leurs gestes et leur voix, et d'animer leurs discours par les graces ou le feu de l'action. Ainsi leur genre de débit est tout en harmonie avec la véritable éloquence; qui n'est elle-même

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