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moins puissans. Ils prennent tout, ils possèdent seuls tout l'État; mais aussi l'État languit, il s'épuise d'hommes et d'argent, et cette première perte est la plus grande et la plus irréparable. On fait semblant de l'adorer, on tremble à ses moindres regards; mais attendez quelque révolution; cette puissance monstrueuse, poussée jusqu'à un excès trop violent, ne saurait durer, parce qu'elle n'a aucune ressource dans les cœurs du peuple. Au premier coup qu'on lui porte, l'idole tombe, et elle est foulée aux pieds. Le roi qui, dans sa prospérité, ne trouvait pas un seul homme qui osât lui dire la vérité, ne trouvera, dans son malheur, aucun homme qui daigne ni l'excuser, ni le défendre contre ses ennemis » (a).

-«Enhardis par la faiblesse des peuples, dit l'auteur du livre de l'Esprit, les princes se font despotes; ils ne savent pas qu'ils suspendent eux-mêmes sur leurs têtes le glaive qui doit les frapper; que, pour abroger toute loi et réduire tout au pouvoir arbitraire, il

(a) BURLAMAQUI, Princip. du Dr. de la nat. et des G. 2o part., tom. vi, chap. VII, §. XIV, pag. 367.

faut perpétuellement avoir recours à la force, et souvent employer l'arme du soldat. Or l'usage habituel de pareils moyens, ou révolte les citoyens et les excite à la vengeance, ou les accoutume insensiblement à ne reconnaître d'autre justice que la force.

« Cette idée est peut-être long-temps à se répandre dans le peuple; mais elle y perce, et parvient jusqu'au soldat. Le soldat aperçoit enfin qu'il n'est dans l'État aucun corps qui puisse lui résister; qu'odieux à ses sujets, le prince lui doit toute sa puissance; son ame s'ouvre à son insu à des projets ambitieux; il desire d'améliorer sa condition. Qu'alors un homme hardi et courageux le flatte de cet espoir, et lui promette le pillage de quelques grandes villes; un tel homme, comme le prouve toute l'histoire, suffit pour faire une révolution; révolution toujours rapidement suivie d'une seconde, puisque, dans tous les États despotiques, comme le remarque l'illustre président de Montesquieu, sans détruire la tyrannie, on massacre souvent les tyrans. Lorsqu'une fois le soldat a connu sa force, il n'est plus possible de le contenir. Je puis ci

ter à ce sujet tous les empereurs romains proscrits par les prétoriens pour avoir voulu affranchir la patrie de la tyrannie des soldats, et rétablir l'ancienne discipline dans les armées (a).

« Pour commander à des esclaves, le despote est donc forcé d'obéir à des milices toujours inquiètes et impérieuses (b).

(a) On pourrait de même citer aujourd'hui l'indiscipline, l'insurbordination des Janissaires en Turquie.

(b) « MACHIAVEL se trompe lourdement lorsqu'il dit que du temps de Sévère, il fallait, pour se maintenir, ménager les soldats (c'est-à-dire, les flatter, leur accorder tout ce qu'ils voulaient, et souffrir leurs injustices): l'histoire des empereurs le contredit formellement. Plus on ménageait les Prétoriens indisciplinables, plus ils sentaient leurs forces, et il était également dangereux de les flatter, et de vouloir les réprimer » ( Essai critique sur LE PRINCE, de Machiavel, chap. xix).

— « Les soldats, dit M. de Montesquieu, massacrèrent Héliogabale qui, n'étant occupé que de ses sales voluptés, les laissait vivre à leur fantaisie. Ils tuèrent de même Alexandre, qui voulait rétablir la discipline et parlait de les faire punir (Grandeur et Décad. des Romains, chap. xvI. Voy. aussi Lampridius).

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Les Strelitz, chez les Moscovites, disposèrent plus d'une fois à leur gré du trône, et osèrent menacer Pierre-le-Grand. Les Janissaires, à Constantinople, dans le cours d'une

« Il n'en est pas ainsi, lorsque le prince a créé dans l'État un corps puissant de magistrats. Jugé par ces magistrats, le peuple a des idées du juste et de l'injuste; le soldat, tiré du corps des citoyens, conserve dans son état quelque idée de justice d'ailleurs il sent que, rassemblé par le prince et par les magistrats, le corps entier des citoyens, sous l'étendard des lois, s'opposerait aux entreprises hardies qu'il pourrait tenter; et que, quelle que fùt sa valeur, il succomberait enfin sous le nombre; il est donc à-la-fois retenu dans son devoir, et par l'idée de la justice, et par la crainte,

année, déposèrent Sélim, couronnèrent Mustapha, et remplacérent celui-ci par Mohammoud.

Un membre de la Chambre des députés disait récemment à la tribune: « Invoquer la force des armes pour gouverner contre l'opinion et l'intérêt général, c'est la plus insensée et la plus désastreuse de toutes les entreprises. La fidelité n'habite pas plus que la liberté dans les tentes des Prétoriens. Après avoir opprimé leur patrie.... Que dis-je ? Les esclaves armés, les satellites mercenaires, n'en eurent jamais, leur avarice séditieuse metle trône à l'encan; elle élève ou brise sans cesse le souverain, qui n'est plus que l'esclave titré d'une milice turbulente et factieuse ». ( Séance du 18 mai 1820. Discours de M. Laisné de Villévêque.)

« Ce corps puissant de magistrats est donc nécessaire à la sûreté des lois; c'est un bouclier sous lequel le peuple et le prince sont à l'abri, l'un des cruautés de la tyrannie, l'autre des fureurs de la sédition » (a). (13)

Maintenant serait-il donc encore nécessaire d'ajouter que les princes, que tous ceux qui occupent le premier rang, peuvent eux-mêmes se pervertir comme les autres hommes; que malheureusement ils ne sont pas d'une nature supérieure et plus parfaite; qu'ils sont, au contraire, comme eux, soumis à toutes les maladies du corps et de l'esprit, à toutes les passions, à toutes les faiblesses, à toutes les erreurs et imperfections de l'humanité?

Serait-il nécessaire de rappeler qu'ils sont peut-être plus sujets à faillir que les autres, parce qu'ils sont plus exposés aux dangers de la séduction (b)?

(a) De l'Esprit, tom. 11, disc. 111, chap. xvii, intitulé: « Du desir que les hommes ont d'être despotes, des moyens qu'ils emploient pour y parvenir, et des dangers auxquels le despotisme expose les rois.

(b) « Mais les rois, cher Ariste, à l'erreur sont soumis:

Ils ont tant de flatteurs! ils ont si peu d'amis!

Lorsqu'à la vérité leur noble cœur aspire,

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