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et tant d'autres, en détruisant et foulant aux pieds la société romaine, faisaient tous leurs efforts pour l'imiter.

C'est là, Messieurs, un des principaux faits qui éclatent dans l'époque que nous venons de parcourir, et surtout dans la rédaction et la transformation successive des lois barbares. Nous rechercherons, dans notre prochaine réunion, ce qui restait des lois romaines pour régir les Romains eux-mêmes, pendant que les Germains s'appliquaient à écrire les leurs.

ONZIÈME LEÇON.

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Perpétuité du droit romain après la chute de l'Empire. - De l'Histoire du Droit romain dans le moyen âge, par M. de Savigny. - Mérites et lacunes de cet ouvrage. -1° Du droit romain chez les Visigoths. Breviarium Aniani, recueilli par ordre d'Alaric. Histoire et contenu de ce recueil.-2o Du droit romain chez les Bourguignons. --Papiani Responsum. - Histoire et contenu de cette loi. -3° Du droit romain chez les Francs. - Point de recueil nouveau. — La perpétuité du droit romain prouvée par divers faits. - Résumé.

MESSIEURS

Nous connaissons l'état de la société germaine et de la société romaine avant l'invasion. Nous connaissons le résultat général de leur premier rapprochement, c'est-à-dire l'état de la Gaule immédiatement après l'invasion. Nous venons d'étudier les lois barbares, c'est-à-dire le premier travail des peuples germains pour adapter leurs anciennes coutumes à leur situation nouvelle. Étudions aujourd'hui la législation romaine à la même époque, c'est-à-dire cette partie des institutions et du droit romain qui survécut à l'invasion, et continua de régir les Gaulois-Romains.

C'est là l'objet d'un ouvrage allemand, célèbre depuis quelques années dans le monde savant,

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Histoire du Droit romain dans le moyen úze, par M. de Savigny. Le dessein de l'auteur est plus étenda que le nôtre, car il retrace l'histoire du droit romain, non-seulement en France, mais dans toute l'Europe. Il n'en a pas moins traité ce qui concerne la France avec plus de détails que je n'en puis donner ici; et, avant d'aborder le fond même du sujet, j'ai besoin de vous entretenir un moment de son travail.

La perpétuité du droit romain depuis la chute de l'Empire jusqu'à la renaissance des sciences et des lettres, telle en est l'idée fondamentale. L'opinion contraire a été longtemps et généralement répandue; on croyait que le droit romain était tombé avec l'Empire, pour ressusciter au xir siècle, par la découverte d'un manuscrit des Pandectes, trouvé à Amalfi. C'est l'erreur que M. de Savigny a voulu dissiper: les deux premiers volumes sont entièrement consacrés à rechercher toutes les traces du droit romain du v2 au x siècle, et à prouver, en retrouvant son histoire, qu'il n'a jamais cessé de subsister.

La démonstration est convaincante; le but est pleinement atteint. Cependant l'ouvrage, considéré dans son ensemble et comme œuvre historique, donne lieu à quelques observations.

Toute époque, Messieurs, toute matière historique, si je puis ainsi parler, peut être considérée sous trois points de vue différents, impose à l'historien une triple tâche. Il peut, il doit d'abord rechercher les faits mêmes, recueillir et mettre en

lumière, sans autre dessein que l'exactitude, tout ce qui s'est passé. Les faits une fois retrouvés, il faut savoir quelles lois les ont régis; comment ils se sont enchaînés; par quelles causes se sont accomplis ces incidents qui sont la vie de la société, et la font marcher, par de certaines voies, vers un certain but. Je voudrais remarquer, avec clarté et précision, la différence des deux études. Les faits proprement dits, les événements extérieurs, visibles, sont le corps de l'histoire; ce sont les membres, les os, les muscles, les organes, les éléments matériels du passé; leur connaissance et leur description constituent ce qu'on pourrait appeler l'anatomie historique. Mais, pour la société comme pour l'individu, l'anatomie n'est pas toute la science. Non-seulement les faits subsistent, mais ils tiennent les uns aux autres; ils se succèdent et s'engendrent par l'action de certaines forces, qui agissent sous l'empire de certaines lois. Il y a, en un mot, une organisation et une vie des sociétés comme de l'individu. Cette organisation a aussi sa science, la science des lois cachées qui président au cours des événements. C'est la physiologie de l'histoire.

Ni l'anatomie, ni la physiologie historique ne sont l'histoire complète, véritable. Vous avez énuméré les faits; vous savez suivant quelles lois générales et intérieures ils se sont produits. Connaissezvous aussi leur physionomie extérieure et vivante? Sont-ils devant vos yeux sous des traits individuels, animés? Assistez-vous au spectacle de la destinée et de l'activité humaine? Il le faut absolument, car

ces faits, qui sont morts, ont vécu; ce passé a été le présent; s'il ne l'est pas redevenu pour vous, si les morts ne sont pas ressuscités, vous ne les connaissez pas; vous ne savez pas l'histoire. L'anatomiste et le physiologiste soupçonneraient-ils l'homme s'ils ne l'avaient jamais vu vivant?

La recherche des faits, l'étude de leur organisation, la reproduction de leur forme et de leur mouvement, voilà donc l'histoire telle que la veut la vérité. On peut n'accepter que l'une ou l'autre de ces tâches; on peut considérer le passé sous tel ou tel point de vue, se proposer tel ou tel dessein; on peut s'attacher de préférence à la critique des faits, ou à l'étude de leurs lois, ou à la reproduction du spectacle. Ces travaux peuvent être excellents, glorieux; seulement il ne faut jamais oublier qu'ils sont partiels, incomplets; que ce n'est pas là l'histoire, qu'elle a un triple problème à résoudre; que toute grande œuvre historique; pour être mise à sa vraie place, doit être considérée et jugée sous un triple rapport.

Sous le premier, pour la recherche et la critique des éléments historiques matériels, l'Histoire du Droit romain dans le moyen âge est un livre trèsremarquable. Non-seulement M. de Savigny a découvert ou rétabli beaucoup de faits inconnus ou méconnus, mais il a très-bien assigné (ce qui est plus rare et plus difficile) leur relation véritable. Quand je dis leur relation, je ne parle pas encore des liens qui les unissent dans leur développement, mais seulement de leur disposition, de la place

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