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prêté leur plume au régent et à Dubois, venaient ensuite consoler la duchesse du Maine dans ses disgrâces.

On estimait moins alors un talent que la nature et la réflexion ont voué à un objet déterminé, qu'un esprit souple et séduisant qui paraît convenir à des sujets divers. Les. succès de société étaient devenus un objet d'émulation entre les gens de lettres : ils étudiaient, auprès des courtisans eux-mêmes, les finesses de l'art des cours, et cherchaient à les faire sentir dans toutes leurs productions. Pendant le siècle de Louis XIV, les grands auteurs avaient rejeté cette ambition frivole. Corneille vivait presque aussi solitaire que

Pascal. Molière n'était le plus souvent qu'un observateur taciturne dans la société. La Fontaine y paraissait avec une simplicité qui allait plus loin que la bonhomie commune, mais aussi avec la grâce de la plus naïve modestie. Racine, en qui tous les moyens de plaire se trouvaient réunis avec une harmonie sans exemple, cherchait le calme de la vie domestique la plus régulière. La Bruyère, qui a tracé tant de portraits dans ses caractères, vivait si bien caché, que tous les soins sont inutiles aujourd'hui pour trouver des anecdotes qui le concernent..

Ils se ré- Les auteurs du dix-huitième siècle furent fe monde et très loin de cette réserve. Les connais+

pandent dans

dirigent l'c

pinion.

sances variées qui les distinguaient, l'estime qu'on avait ou qu'on feignait d'avoir pour l'esprit et pour l'instruction, les rendaient arbitres sur tous les points que la conversation parcourt avec tant de rapidité. Ce fut par là encore plus que par leurs ouvrages, qu'ils se rendirent, avec le temps, d'invisibles législateurs. Plusieurs femmes, à l'exemple de madame de Tencin, s'honoraient de les réunir, de les concilier et de les diriger dans des circonstances difficiles. Les seigneurs étaient plutôt leurs amis que leurs Mécènes. Le régent ne leur demandait point d'éloges imposteurs; aussi on ne voit point un caractère servile dans les hommages qu'ils lui rendirent. A la vérité, plusieurs d'entre eux, sans en excepler Fontenelle, louèrent le cardinal Dubois, qui eut la fantaisie d'entrer à l'Académie Française; mais ils le firent en évitant tout ce qui respire une bassesse mercenaire. C'est assez les peindre par des traits généraux; attachons-nous à ceux qui, dès-lors, firent briller leur génie, et qui ouvrirent une nouvelle carrière à l'esprit humain. Deux noms s'offrent à nous, Voltaire et Montesquieu.

Voltaire.

Voltaire, alors connu sous le nom d'A-Jeunesse 1rouet, avait vingt - un ans à la mort de Louis XIV. Ce qu'il y avait de plus illustre à la cour, de plus aimable dans la société, de plus recommandable parmi les hommes studieux, avait déjà présagé sa destinée littéraire. Les instituteurs distingués qu'il avait trouvés chez les jésuites, avaient formé son goût sur des principes sévères et judicieux.La vivacité de son esprit avait séduit la célèbre Ninon de l'Enclos qui lui légua une bibliothè-. que, et lui transmit ses principes d'indépendance religieuse. On répétait ses bons mots long-temps avant d'avoir à répéter ses beaux vers. On le croyait voué particulièrement à la satire. Cette réputation lui fut fatale. Peu de temps après la mort de Louis XIV, entre plusieurs pièces de vers où l'on osait souiller la mémoire de ce monarque, il en parut une intitulée les J'ai vu, qui décelait l'emportement d'un janséniste. On l'attribua sans vraisemblance à un jeune homme qui se moquait de toutes les sectes religieuses. Le régent, qui craignait de paraître tolérer des libelles contre Louis XIV, se hâta de sévir, et Voltaire fut mis à la Bastille. Cette rigueur injuste ne fut point un événement malheureux pour le jeune poète. En sortant

1

Il ost mis à la Bastille.

Il compose

à la fois la

de prison, il avait déjà tous les moyens d'occuper la renommée.

Quand OEdipe parut (a), tous les hommes tragédie de goût virent avec transport que la gloire le poème de littéraire et les excellentes traditions du la Ligue.

a' dipe et

Il décèle son

esprit irréli

gieux, mais

le contient

un peu.

siècle de Louis XIV n'étaient pas perdues;
que le style de Racine avait enfin trouvé un
heureux imitateur, et que le génie de So-
phocle venait encore dominer sur la scène
française, dans le moment où les spirituels
et injustes adversaires des anciens se pro-
clamaient vainqueurs. Lamothe, en oubliant
son propre parti, eut la franchise d'applau-
dir au jeune poète, dont le succès justifiait
les anciens et la poésie. Deux vers d'OEdipe
avaient frappé par leur étonnante audace:

Nos prêtres ne sont pas ce qu'un vain peuple pense.
Notre crédulité fait toute leur science.

Le talent et le secret de Voltaire avaient éclaté en même temps. Chaque trait de sa conversation indiquait un désir impétueux de braver et d'insulter les croyances religieuses. Ce moyen de célébrité le séduisait comme si son génie ne lui en avait pas fourni d'autres. Les plaisanteries qu'on se permettait à la cour du régent sur les ob

(a) En 1716.

jets les plus sacrés, n'excitaient que trop sa fougue indiscrète. Cependant, doué d'un sens juste et profond, il se faisait des objections sur un dessein pernicieux. Jeune, il parvint à s'imposer un frein qu'il écarta dans son âge mûr, et encore plus dans sa vieillesse. Il ne voulut porter ses premiers coups qu'au fanatisme. Il achevait avec cette ardeur et cette facilité qui furent l'attribut le plus admirable de son génie, le poème de la Ligue, dont il avait tracé le plan à la Bastille. On était étonné de trouver dans celui qui concevait cette grande entreprise, et dans l'auteur d'OEdipe, une gaieté qui paraissait aller jusqu'à l'étourderie. Elle se conciliait cependant avec une activité réglée, qui ne négligeait ni les travaux nécessaires à la gloire, ni les moyens de fortune, ni les hommes dont l'amitié donne du crédit, ni ceux dont l'intimité fait le charme du cœur et fournit les meilleurs alimens à l'esprit. Jamais homme de lettres ne s'était approché des grands avec plus de confiance, et ne les avait plus habilement soumis à une sorte d'égalité. Quelques amis du régent, tels que Canillac et Brancas, le traitaient comme le compagnon le plus aimable de leurs plaisirs. Souvent ils avaient à le défen

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