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Il y avait entre le camp des Chrétiens et la vallée de Josaphat un verger qui présentait un emplacement plus convenable, ou tout au moins aussi convenable que tout autre pour livrer assaut aux ennemis, tellement que sur nul autre point les assiégés ne pouvaient être plus dangereusement menacés. En effet, de ce côté, à l'extrémité du verger, la muraille était un peu plus basse que sur d'autres points, il n'y avait pas de tours, et, comme je l'ai dit, la plaine extérieure était plus étendue. Les nôtres cependant n'avaient point occupé cette plaine, ce qui était pour les gens du pays un grand sujet d'étonnement; mais les chefs, dans leur prévoyance, l'avaient réservée pour le dernier effort de la guerre, et attendaient que l'on eût construit une tour en bois, du sommet de laquelle les Francs pourraient ensuite s'élancer sur les remparts. Les sapins, les cyprès et les pins transportés au camp, dissimulèrent donc le véritable point d'attaque, et continuèrent à ne présenter que de fausses menaces, c'est-à-dire que les pièces de bois encore informes furent façonnées du côté du couchant, pour aller plus tard seconder les efforts des combattans du côté du levant.

CHAPITRE CXXIII.

Cruelle famine parmi les assiégeans. Les machines étant préparées sont transportées vers les murailles.

CEPENDANT les Chrétiens étaient tourmentés à la fois par la disette de grains et par le défaut d'eau, et menacés aussi de nouveaux combats, car les Egyptiens, les habitans de la Palestine, de l'Arabie, de Damas, affluaient de tous côtés, et se répandaient avec fureur; les collines des environs portaient de toutes parts de l'acier et du fer, seuls fruits qu'on y eût semés, en sorte qu'il ne pouvait plus, ou presque plus, arriver de grains étrangers dans le camp, pour soulager la détresse des assiégeans. On cherchait de toutes parts des moyens de nourriture, mais il était absolument impossible d'en aller chercher hors du camp, de manière qu'il était vrai de dire que, le peuple qui avait d'abord assiégé était maintenant assiégé lui-même, bien plus encore qu'assiégeant. Aussi n'entendait-on dans toute l'armée répéter qu'une seule et même complainte, qui allait errant de bouche en bouche: «En vain aurons-nous vaincu dans les combats en « Romanie, en vain aurons-nous supporté la famine « à Antioche et tant d'autres fatigues encore, si, après « avoir traversé toute la mer, le sable du rivage auquel nous touchons devient pour nous une occa«<sion de naufrage. » C'était en effet une triste pensée, et cependant alors même vous eussiez vụ ces

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Chrétiens chercher à ces maux de pieuses consolations, objets de compassion même pour les ennemis. Détestant la vie, la foule appelait la mort à grands cris, et il y avait des hommes qui s'élançant avec une même ardeur allaient chercher les embrassemens de ces murailles, de même qu'un homme cherche les embrassemens de son épouse, comme si tous eussent été unis dans cette même pensée et ce même vœu : « Que j'embrasse du moins cette Jérusalem, objet de « mes desirs, avant que je meure. » Malheureux, sur qui ces embrassemens faisaient pleuvoir du haut des murailles tantôt du fer, tantôt des pierres, tantôt des pièces de bois embrasées, et de toutes manières une prompte mort. Mais alors même leur dévotion ne se laissait point intimider par ces dangers; bien plus, souvent, très-souvent même, on en voyait, s'encourageant par la mort de leurs frères, aller chercher avec ardeur ces mêmes embrassemens.

Déjà on était parvenu au mois de juillet, et depuis le commencement de cette longue lutte, les travaux avaient été cinq fois recommencés. Enfin ils étaient terminés, les engins à projectiles étaient fabriqués, les machines construites, tout ce dont on avait besoin pour les circonstances présentes entièrement préparé seulement les poteaux, les planchers, les claies n'étaient pas encore liés ensemble ni dressés, et avant tout il fallait transporter tous ces matériaux. On choisit donc le temps de la nuit pour faire cette translation; la journée du lendemain fut employée à redresser les pièces diverses couchées par terre, à réunir en un seul corps les membres épars de tous côtés. Aussitôt que les machines eurent été ainsi

transportées, on s'occupa à transférer le camp à leur suite, afin que désormais les assiégés fussent instruits aussi bien que les assiégeans du point de la muraille contre lequel ceux-ci comptaient diriger leurs attaques. Alors la situation des habitans de la ville empira beaucoup, les esprits se troublèrent, n'ayant nullement prévu que les efforts du combat se porteraient sur le point maintenant menacé, car les masses énormes qu'ils avaient vues avaient éloigné d'eux toute crainte de ce genre. De plus ils avaient fortifié le côté qu'ils occupaient avec beaucoup de soin, en employant une grande quantité d'arbres et disposant de nombreuses machines, pour résister aux assauts des ennemis. Tous leurs efforts devenaient donc inutiles, puisque le péril venait d'être détourné de ce point, pour être transporté sur un autre point, ainsi que je l'ai dit. Dans cette situation, les assiégés cherchèrent du moins les ressources qui se trouvent dans les maux extrêmes, et transportèrent leur machine, placée dans l'intérieur, sur un point où elle pût résister à la machine du dehors, qui avait également changé de place.

CHAPITRE CXXIV.

Le bélier attaque les tours.

LORs donc que des deux côtés on se fût également préparé au combat, les uns firent effort pour renverser les murailles, les autres pour les défendre. Le

bélier destructeur, perçant les tours vers leur base, les ébranle et est pareillement ébranlé par les blocs de marbre qui sont lancés sur lui. Une tour construite en bois s'avance vers la ville; mobile, elle marche contre le rempart immobile; comme douée de volonté, elle attaque une tour qui ne se défend que malgré elle; l'une se précipite sur celle qui demeure immobile, l'autre tient ferme contre celle qui s'élance sur elle. Mais s'il était possible à cette dernière, elle se retirerait, présentant un spectacle que l'on pourrait justement comparer à celui de cet éléphant dont les fables rapportent qu'il est saisi de tremblement à la vue d'une souris. Cependant les cris et le fracas redoublent, les blessures pleuvent de tous côtés; les pierres, les traits et les flèches volent de part et d'autre. Les boucliers, les cuirasses, les claies et les murailles retentissent sous les coups qui les frappent; au milieu de ce bruit et de cette grêle continue de traits, les yeux et les oreilles de chacun sont également occupés et de ce qu'il fait et de ce que font les autres. La machine de bois cependant continue à s'ouvrir un passage, elle s'avance de plus en plus, en sorte que les créneaux étant renversés, déjà une plus large brèche était pratiquée. Mais lorsqu'on se fut approché au point que les fers des lances opposées l'une à l'autre se rencontraient déjà, le bélier qui naguère avait écarté les obstacles, comme le héraut grec marchant en avant et criant Seigneur! Seigneur! le bélier se trouva seul en face de la petite tour à laquelle il venait d'atteindre. Alors l'élévation des murailles ne permettait plus d'avancer; la machine qui venait par derrière empêchait de reculer; sur la droite et sur la gauche la na

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