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tillåtre, de confiance, de hardiesse, de patience, de courage et d'activité, pour soutenir et réaliser une idée qui parut aussi folle la première fois qu'elle fut émise, que l'exécution l'a montrée depuis simple et naturelle; alors, je l'avoue, mon indifférence s'est changée en admiration; Riquet a grandi devant moi, j'ai porté avec enthousiasme sa santé dans la maison du garde de Lampy, et j'ai compris enfin toute la beauté de ce Canal, et de ce bassin de Saint-Féréol, que j'avais parcouru tant de fois sans y voir autre chose qu'une route fort commode, une belle nappe d'eau et une belle muraille.

Avant de tracer aux curieux l'itinéraire du petit voyage que je leur ai conseillé (je m'en aperçois à présent) avec une témérité et un enthousiasme qui feraient honneur au zèle politique de nos plus chauds journalistes, laissez-moi d'abord vous faire rapidement T'histoire de la découverte de Riquet et des moyens qu'il mit en œuvre pour l'exécuter car suivre pas à pas la pensée de Riquet, la voir se développer, la saisir pour ainsi dire sur les lieux qui l'inspirent, c'est le véritable itinéraire que doit suivre le voyageur.

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Le cours de l'Ariége et de l'Aude qui, après avoir pris naissance dans les mêmes montagnes, à une différence de dix-huit lieues environ l'une de l'autre, mais chacune sur un versant opposé, se dirigent, l'Ariége vers l'Océan, en se jetant dans la Garonne, et traversant avec elle Toulouse, Agen et Bordeaux; l'Aude, vers la Méditerranée, par Carcassonne et Narbonne, a donné de très-bonne heure l'idée d'un canal de jonetion entre ces deux rivières qui mit l'Océan et la Méditerranée en communication directe, et pût éviter aux marchandises le long et périlleux voyage qui s'accomplit en tournant la péninsule espagnole.

Dès le règne de François Ier, en 1539, deux commissaires-royaux se transportèrent à Toulouse, où ils firent dresser le plan d'un Canal qui, en communiquant de l'Aude à la Garonne, devait joindre l'Océan aquitanique à la mer de Narbonne. Ce projet, laissé sans exécution, fut également repris et abandonné sous Charles IX, sous Henri IV, et plusieurs fois sous le règne de Louis XIII. Dans une lettre écrite à Henri IV par le cardinal de Joyeuse, archevêque de Narbonne, et chargé par ce prince d'examiner sur les lieux la possibilité de l'entreprise, on voit que dès cette époque la vraie difficulté du projet était connue : c'était la nécessité de faire franchir au Canal la chaîne de hauteurs dont les versans opposés laissent échapper l'Aude et l'Ariége, et dont le prolongement s'avance dans la plaine de Castelnaudary, au-devant d'une suite de collines calcaires, connues sous le nom de montagnes de Saint-Félix, lesquelles font elles-mêmes face aux derniers prolongemens de la Montagne-Noire, qui s'arrêtent à Revel, dans la direction de l'est à l'ouest. Cette lettre indique en même temps les pierres de Naurouse comme formant à la fois le point de partage des eaux entre la Méditerranée et l'Océan, et le col le plus abaissé de la chaîne de hauteurs que le Canal devait traverser.

Les Pierres de Naurouse étant élevées de 62 mèt. 990 mill, au-dessus du niveau de la Garonne à Toulouse, et de 189 mèt. 028. mill. au-dessus de la Méditerranée, et le plateau sur lequel elles sont situées étant complètement dépourvu d'eau, il était impossible

d'y faire passer un canal avant d'avoir découvert le moyen d'y amener l'eau nécessaire à son entretien. C'est cette découverte que Pierre-Paul Riquet, baron de Bonrepos, natif de Béziers, et alors directeur des fermes du Languedoc, présenta au ministre Colbert, l'an 1662, dans les termes suivans :

« Monseigneur, je vous écris, de ce village de Bonrepos, sur le sujet d'un canal qui pourrait se faire dans cette province de Languedoc, pour la communication des deux mers. Vous vous étonnerez que j'entreprenne de parler d'une chose que je ne connais pas, et qu'un homme de gabelle se mêle de nivelage. Mais vous excuserez mon entreprise, lorsque vous saurez que c'est de l'ordre de Monseigneur de Toulouse que je vous écris. Il y a quelque tems que ledit seigneur me fit l'honneur de venir en ce lieu, soit parce que je lui suis voisin et hommager, ou pour savoir de moi les moyens de faire ce canal; car il avait ouï dire que j'en avais fait une étude particulière. Je lui dis ce que j'en savais, et lui promis d'aller le voir à Castres, et de le mener de là sur les lieux pour lui en faire voir la possibilité. Je l'ai fait; et ledit seigneur, en compagnie de Mer l'évêque de Saint-Papoul, a été visiter toutes choses, qui s'étant trouvées comme je les avais dites, ledit seigneur archevèque m'a chargé d'en dresser une relation et de vous l'envoyer. Elle est ici incluse, mais en assez mauvais ordre; car n'entendant ni grec ni latin et à peine sachant parler français, il n'est pas possible que je m'explique sans bégayer........ »

Cette lettre était accompagnée d'un mémoire dont voici les passages principaux ; j'aime à citer Riquet à cause de sa naïve bonhomie et aussi parce qu'on a prétendu plus tard lui ravir la gloire d'avoir inventé le Canal; toute sa correspondance prouve au contraire qu'il s'est toujours considéré et donné lui-même pour avoir été, non-seulement le directeur, mais encore l'inventeur de ce grand ouvrage.

« Ce qui a fait échouer tous les projets conçus jusqu'à aujourd'hui, dit-il, c'est la difficulté d'élever des eaux à la hauteur des pierres de Naurouse: en douze lieues de pays on ne trouvait ni ruisseau ni rivière qui pût fournir d'eau à suffisance pour ce Canal; et c'était pour cela qu'on s'imaginait de pouvoir faire rétrograder contre mont la rivière d'Ariége, ce qui avait été trouvé inexécutable.... Mais, disait-il plus loin, il est possible d'avoir d'eau à suffisance pour remplir ce Canal et de la conduire à l'endroit même où est le point de partage; cc qui peut se faire en prenant la rivière de Sor, près la ville de Revel.... Il est encore aisé de conduire le ruisseau appelé Lampy dans le lit du Sor; il est pareillement facile de mettre dans ledit Lampy un autro ruisseau appelé Alzau, distant d'environ cinq quarts de lieue, et par conséquent plusieurs autres eaux qui se rencontrent dans cette conduite. »

Louis XIV goûta le projet de Riquet, et par un arrêt du conseil, en date du 18 Janvier 1663, il ordonna que l'examen en fût fait sur les lieux par ses commissaires auprès des États du Languedoc et par ceux que de leur côté nommeraient les États. Cette commission ne fut formée qu'un an plus tard, et le travail de ses membres commencé à Toulouse le 8 Novembre 1664, et poursuivi sur toute la ligne indiquéo par Riquet, se termina à Béziers le 17 Janvier 1663,

par la déclaration que le Canal paraissait possible; mais afin de prévenir toute erreur, les commissaires exigèrent qu'un fossé d'essai fùt construit pour faire couler un filet du Sor jusqu'au point de partage; cette rigole d'essai fut terminée en Octobre 1665 à la satisfaction générale; ce fut le triomphe de Riquet.

« J'ai reçu, lui écrivait Colbert à la date du 14 Août 1665, vos deux lettres de Juillet et d'Août par lesquelles je suis très-aise de voir l'espérance où vous êtes du succès du grand dessein de la jonction des mers.... Quand la rigole d'essai sera achevée, à quoi vous ne trouverez pas autant d'obstacles qu'on l'avait d'abord appréhendé, vous pourrez vous mettre en chemin pour venir ici.......... »

Le 1er Janvier 1667, après cinq ans de travaux et de démarches, Riquet ayant enfin obtenu la concession des travaux du Canal, les commença avec l'active énergie qui le caractérisait; il eut quelquefois jusqu'à douze mille ouvriers sur ses ateliers, manqua souvent d'argent, fut perpétuellement en avance vis-à-vis du roi et des États du Languedoc, et ne put achever son ouvrage qu'en se grevant de dettes si considérables, que sa famille ne put les rembourser qu'en 1724. Ces travaux, dans lesquels il faut comprendre ceux du port de Cette, commencés en 1667, ne furent définitivement terminés que le 15 Mai 1681; Riquet n'eut point la joie de les voir achever, il était mort six mois auparavant, le 1er Octobre 1680.

D'après ce que nous venons de rapporter de l'histoire du Canal, on a pu voir que la pensée mère de Riquet, celle qui rendit facile l'exécution d'un canal jusque-là jugé impraticable, fut d'aller prendre dans la Montagne-Noire, pour les réunir dans un bassin creusé à Naurouse au point de partage, bassin que l'on a laissé depuis se combler par des attérissemens, des eaux nécessaires à la navigation du Canal, et qui de Naurouse se distribuent vers l'Océan et vers la Méditerranée. Ces eaux, il les a tirées de cinq ruisseaux principaux, dont le plus éloigné n'est pas à moins de vingt lieues du point de partage. Ces ruisseaux sont l'Alzau, qui est le plus élevé et qui naturellement se jetait dans le Fresquel, affluent de l'Aude; le Vernassone, qui suivait la même direction; le Lampy, qui se jetait aussi dans le Fresquel après avoir reçu le Lampillon; le Rieutort qui suit la direction des précédens et se jette aussi dans le Fresquel; le cinquième est le Sor, qui, prenant sa source derrière Arfous, coule au pied du versant opposé à celui que descendent vers le Sud les quatre premiers ruisseaux, et après avoir couru de l'est à l'ouest, va heurter au-dessous de Revel les montagnes de Saint-Félix qu'il cotoie alors du Sud au nord jusqu'à l'Agoût, dans lequel il se jette après avoir arrosé la plaine de Revel.

Arrêter par un barrage les eaux de l'Alzau, les conduire de l'est à l'ouest par une rigole qui, en suivant tous les contours de la montagne, reçût au passage le Vernassone, le Lampy et le Rieutort, et grossie de ces quatre ruisseaux dont le cours naturel était du nord au sud, se jetât elle-même dans le Sor qui coule au pied du versant opposé telle fut la première pensée de Riquet. Le Sor, ainsi grossi par quatre ruisseaux, suivait son lit naturel jusqu'au Pont-Crouzet; là une chaussée pareille à celle d'Alzau devait détourner la

plus grande partie de ses eaux dans une rigole nouvelle qui, passant au sud de Revel et cotoyant à mi-côte les montagnes de Saint-Félix, devait aboutir à Naurouse, point de point de partage.

Il n'était point encore question dans le projet, du bassin de Saint-Féréol: douze ou quinze réservoirs placés plus haut dans les montagnes devaient tenir sa place; mais Riquet et ses successeurs firent à ce projet plusieurs changemens.

Aujourd'hui la rigole prend l'Alzau à son origine, reçoit le Vernassone et le conduit au pas de Lampy, où se trouve formée par la rigole et l'excédent des eaux du bassin du Lampy neuf, l'étendue d'eau connue sous le nom de vieux Lampy. Le vieux Lampy n'est pas un réservoir, il a peu de profondeur, et de nouveaux attérissemens se forment chaque année dans son bassin; c'est simplement un rendez-vous, un lieu de réunion pour les eaux de l'Alzau et du Vernassone arrivées par la rigole supérieure et pour celles qui proviennent de l'excédant du bassin du Lampy neuf, dont nous parlerons dans un instant. La chaussée qui ferme aujourd'hui vers l'ouest le bassin du vieux Lampy n'existait point du temps de Riquet; à sa place, il avait fait construire un aqueduc en bois sur lequel les eaux réunies d'Alzau, de Vernassone et de Lampy traversaient le vallon.

En sortant du vieux Lampy, sur les bords duquel se trouve située l'une des stations les plus pittoresques du Canal, et que bordent de jolies allées bien ombragées, la rigole se dirige vers le Conquet, autre poste du Canal, à quelques pas duquel on voit le Saut-duSor: c'est à cet endroit que, par une chute de plus de 200 pieds, qui ne sert aujourd'hui que de déversoir pour les eaux surabondantes, Riquet avait d'abord jeté dans le Sor les eaux de l'Alzau, du Vernassone, du Lampy et du Rieutort; ce dernier ruisseau est reçu par la rigole entre Lampy et le Conquet..

La partie de la rigole qui depuis le Conquet se dirige vers le village de Cammazes, en suivant à mi-côte le côté sud du vallon du Sor, et traverse la route de Revel à Carcassonne sous une route en pierre de 122 mèt. 099 mill. (374 pieds) de longueur, et de 2 mèt. 922 mill. (9 pieds) de largeur, ne fut construite qu'après la mort de Riquet en 1686. Au-delà de cette route, et à quelque distance, les eaux se précipitent par une chute de 8 mèt. 118 mill. (25 pieds) dans le lit du Landot, avec lequel elles entrent dans le bassin de Saint-Féréol, situé à 6 kil. ( une lieue et demie): en sortant du bassin les eaux reprennent le lit du Landot, se réunissent au poste du canal du même nom à la portion du Sor qui, dérivée de Pont-Crouzet, forme devant et derrière Revel la première portion de la rigole de la Plaine. Réunies ainsi au Landot, la rigole de la Montagne, sortie du réservoir de Saint-Féréol, et la rigole de la Plaine, dérivée du Sor à Pont-Crouzet, vont à Naurouse, dont les eaux se distribuent à volonté sur l'un et sur l'autre versant du Canal.

Les eaux de la Montagne-Noire, d'une abondance fort grande, excessive même pendant l'hiver, disparaissent presque entièrement pendant les grandes chaleurs, à l'exception de l'Alzau, du Vernassone, du Lampy et du Sor, qui coulent toute l'année avec plus ou moins d'abondance; les autres sources qui alimen

tent la rigole tarissent absolument pendant plusieurs | nom de voûte de vidange, parce que c'est par elle que semaines. Afin de maintenir le Canal navigable toute l'année, il fut donc nécessaire d'emmagasiner les eaux de l'hiver telle est la destination du bassin de SaintFéréol, formé dans le vallon de Vaudreuille par une muraille qui, en fermant le vallon à l'endroit le plus étroit, l'a changé en un lac immense.

Au dessus, et à un quart-d'heure de marche du bassin appellé Lampy vieux, il existe un second bassin nommé Lampy neuf, dont nous avons déjà parlé plus haut c'est un réservoir moins grand que celui de Saint-Féréol, mais qui a la même destination; il fut construit de 1775 à 1782, lorsque les propriétaires du Canal proposèrent aux États du Languedoc de joindre au Canal du Midi l'ancien canal navigable construit à Narbonne par les Romains, connu sous le nom de la Robine, et qui communique de Narbonne à la mer en traversant l'étang de Sijean. Le bassin de Lampy fut consacré à emmagasiner le surcroît d'eau nécessaire à cet embranchement ajouté au Canal.

Riquet avait eu dès l'origine le projet de ramifier la navigation du Canal et de la faire remonter de Naurouse à Revel par la rigole de la plaine, de Revel jusqu'à l'Agoût par le Sor, qui s'y jette après avoir traversé la plaine, et par l'Agoût jusqu'à Castres. Dans cette vue il avait même rendu naviguable la rigole de la plaine de Revel à Naurouse; lui-même s'en servit pour le transport des matériaux dont il eut besoin. Ce projet, abandonné par Riquet parce qu'il eût fallu pour l'exécuter une quantité d'eau supérieure à celle que donnent les rigoles de dérivation actuelles, a depuis été repris, et l'on assure que M. Magués, ingénieur en chef du Canal, s'en occupe sérieusement en ce moment. Pour l'exécuter il sera nécessaire de construire un nouveau réservoir, dont l'emplacement est désigné dans le vallon du Sor, près le moulin de Garbette.

La première pierre du bassin de Saint-Féréol a été posée le 17 novembre 1667. Sa figure lorsqu'il est plein est à peu près celle d'un triangle scalène : sa longueur est de 1,558 mèt. (4,800 pieds), sa largeur près de la digue de 779 mèt. (1,200 pieds), sa plus grande profondeur de 32 mèt. 148 mill. (99 pieds), sa superficie excède 664,335 mèt. carrés ( 175,000 toises carrées); il contient plus de 6,946,176 mèt. 646 mill. cubes (939,104 tois. cubes) d'eau.

La digue de Saint-Féréol est formée de trois murs, dont les deux extrêmes sont éloignés d'environ 62 mèt. 348 mill. (192 pieds; de celui du milieu, qui a 32 m. 473 mill. (100 pieds) d'élévation. Ces murs sont fondés et enclavés de toute part dans le roc; leurs intervalles ont été remplis par deux terrassemens formés de cailloux et de terres. Le mur principal étant plus haut que les deux extrêmes, le terrassement qui forme un glacis se trouve totalement découvert par les eaux du réservoir, d'autant plus qu'il n'atteint pas à beaucoup près le couronnement du mur.

Chaque terrassement est traversé dans sa largeur par deux voûtes placées l'une au-dessous de l'autre ; la voûte inférieure du terrassement intérieur qu'on appelle voûte d'enfer, correspond au fond du lit naturel du Landot; elle est réglée de pente avec la voûte qui lui fait suite dans le grand terrassement, et qui prend le

les eaux du bassin retombent dans le lit du Landot. La voûte d'enfer et celle de vidange communiquent par un pertuis pratiqué dans le grand mur et fermé par une pale en fer de 0 mèt. 649 mill. ( 2 pieds ) en carré.

La tête de la voûte d'enfer est percée d'un puits ou tambour vertical, au fond duquel est établie une autre pale qui interdit aux eaux du réservoir l'entrée directe de la voûte les eaux tombent dans la voûte par le puits et se rendent aux robinets par trois tuyaux de fonte de 0 mèt. 243 mill. (9 pouces) de diamètre.

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Les robinets qui ferment et ouvrent à volonté ces tuyaux placés et scellés dans le grand mur, sont établis à 22 mèt. 732 mill. (70 pieds) au-dessous du niveau du bassin. On y arrive par une galerie voûtée de 74 mèt. 039 mill. (38 tois.) de longueur, dont le sol a une pente vers le grand mur, et l'on y descend en outre par une trentaine de marches.

La voûte d'entrée des robinets est dans un plan audessus de celui de la voûte de vidange; mais elle est dans le même plan et dans la même direction que la voûte supérieure à la voùto de vidange placée dans le terrassement intérieur par laquelle les eaux du réservoir arrivent aux tuyaux scellés dans le grand mur, et passent de là aux robinets d'où elles tombent avec un bruit effroyable dans la voûte de vidange par les 1 mèt. 948 mill. ( 6 pieds) de hauteur, qui restent des 32 mèt. 148 mill. (99 pieds) qui forment la hauteur totale des eaux du bassin.

On a ménagé avec soin cette hauteur de 1 mèt. 948 mill. (6 pieds) au-dessus du fond afin de pouvoir chaque année chasser les vases qui s'amoncellent dans le réservoir. Lorsque les eaux du réservoir sont assez basses pour ne plus passer par les robinets, on lève les pales du tambour placé à la tête de la voûte d'enfer, et celle qui ferme le pertuis de communication entre cette voûte et celle de vidange, et les eaux en se précipitant avec violence entraînent les troubles, qu'au moyen d'un déversoir on rejette aux Thomases dans le lit inférieur du Landot.

Huit à dix jours suffisent pour cette opération, qui a lieu à la fin de Décembre, époque où on met le réservoir entièrement à sec pour le réparer à l'intérieur.

Pendant ce temps le Canal est alimenté par les eaux du Sor et par celles de la rigole de la montagne, détournées avant leur entrée dans le bassin par une rigole de ceinture pratiquée au pied des coteaux de la gauche qui les porte dans le ruisseau de Landot au-dessous du réservoir.

Les travaux de Saint-Féréol terminés vers la fin de Janvier, on introduit de nouveau dans le bassin les eaux de la rigole de la montagne; il se remplit en trente ou quarante jours.

Dès que les eaux sont parvenues à leur plus grande hauteur, on rejette par les épanchoirs de Vernassonne et de Lampy l'eau surabondante.

En Mai et Juin, on fait toutes les réparations de la rigole de la montagne; en Août et Septembre, on met à sec le Canal et la rigole de la plaine pour les réparer on ferme alors la prise du Pont-Crouzet, et l'on rejette par l'épanchoir des Thomases le trop plein du bassin de Saint-Féréol.

Les travaux du Canal sont ordinairement terminés à la fin d'Octobre. Les eaux de Saint-Féréol rendues à leur plus grande hauteur et les sources étant abondantes, huit ou dix jours suffisent à remplir le Canal; dans les années de sécheresse il a fallu quelquefois près d'un mois.

Le plus grand volume d'eau que puisse donner Saint-Féréol, ne peut excéder 29,512 mèt. 420 mill. (14,647 toises cubes) par heure au point de partage, sans exposer les digues de la rigole à des submersions qui les emporteraient. Les eaux restent de douze à quatorze heures pour se rendre de Saint-Féréol au point de partage et parcourent dans ce temps plus de 9 lieues.

Au-dessus de la tête de la voûte d'Enfer, s'élève une pyramide de 19 mèt. 480. mill. (60 pieds) de hauteur; elle sert à indiquer à mesure qu'elle se découvre, le degré d'abaissement des eaux. Le sommet de cette pyramide est au niveau du haut du terrassement intérieur qui soutient le grand mur du couronnement à ce point. Les degrés d'abaissement se comptent sur le mur même.

Nous avons dit que le bassin de Lampy fut construit pour fournir aux dépenses d'eau du canal de Narbonne. La digue de ce réservoir n'a que 116. mèt. 004 mill. (360 pieds) de longueur à son couronnement qui se réduisent à 68 mèt. 194 mill. (266 pieds) à sa base, 16 mèt. 236 mill. (50 pieds) de hauteur. Cette digue est établie sur un massif de fondation de 12 mèt. 963 mill. (43 pieds) d'épaisseur sur 1 mèt. 948 mill. (6 pieds) de hauteur, lequel est lui-même fondé sur le roc vif.

La hauteur de la chaussée n'étant que de 16 mèt. 236 mill. (50 pieds), il a été aisé de régler la mancuvre des eaux avec des vannes au lieu de robinets ainsi qu'on le fait à Saint-Féréol.

Le réservoir de Lampy dont le plan est dû à l'ingénieur en chef Garripuy, contient 2,698,490 mèt. cubes (500,000 toises cubes) d'eau; mais la dépense d'eau du canal de Narbonne est si considérable, qu'il absorbe en moins de quinze jours, cette quantité d'eau qui avait été estimée devoir servir pendant toute l'année.

Nous ferons observer à ceux de nos lecteurs qui se décideraient au petit voyage que nous leur avons conseillé, qu'en traçant notre itinéraire, nous nous sommes placés comme point de départ à la prise d'Alzau, naissance de la rigole de la montagne; c'est la manière la plus facile de comprendre l'idée de Riquet, parce qu'après avoir pris en montant à Alzau une idée générale des deux rigoles, du réservoir de Saint-Féréol et de la topographie du pays, on suit en redescendant la marche même des eaux que l'on voit s'accumuler dans la rigole par la réunion successive des divers ruisseaux que Riquet a rassemblés.

Depuis la prise d'Alzau jusqu'au point de partage, les deux rigoles de la plaine et de la montagne ont un développement de canaux creusés à main d'homme, de près de 58,556 mèt. 880. mill. (environ 14. lieues). De la prise d'Alzau à Naurouse, en suivant directement en son entier le parcours des eaux versées par la rigole de la montagne, il y a au moins 82 kil. (20 lieues) de distance.

Alzau, Vernassonne, Lampy-Neuf, Vieux-Lampy, le Conquet, Saint-Féréol, Landot et Naurouse, sont les stations principales établies par l'administration du Canal sur cette étendue; chacune sert d'habitation à un garde; Landot est la résidence du garde-général de la rigole; l'ingénieur de la division demeure à Naurouse. C'est aussi à Naurouse, sur une éminence couronnée par une masse de rochers, qui portent le nom de Pierres de Naurouse, et qui forment comme nous l'avons dit le point de partage du Canal, que l'on voit le monument élevé à Riquet par ses descendans, et qui fut inauguré dans les derniers mois de 1825.

La Rigole de la montagne a généralement 3 met. (environ 9 pieds) de largeur sur 1 mèt. (environ 3 pieds de profondeur; celle de la plaine, à partir de Revel, à 3 mèt. 896 mil. (12 pieds) de large sur 1 mèt. (3 pieds) de profondeur.

Le Canal du Midi, malgré les énormes dépenses qui ont été faites depuis Riquet, ne rapporte guère aujourd'hui, en produit net, que 3 ou 4 pour cent du capital employé à sa construction, et qui équivaut à 33 millions de francs monnaie d'aujourd'hui; on s'en étonnera peu, quand on aura remarqué que le principal but de sa construction, la jonction des deux mers et la communication facile des ports de Bordeaux et de Cette, n'a pas encore été atteint d'une manière complète, attendu l'état imparfait de la navigation de la Garonne.

Nous terminerons ici cette courte notice; elle n'apprendra rien aux ingénieurs, auxquels nous ne la destinons point non plus, mais elle pourra servir de guide aux gens du monde, aux voyageurs et aux curieux; elle mettra rassemblés sous leurs mains des renseignemens et des détails disséminés dans de gros et ennuyeux volumes; je désirerais surtout qu'elle popularisât parmi les voyageurs la visite du bassin de Lampy et de la prise d'Alzau, que l'on entreprend rarement, parce qu'à défaut de guide et d'explication, la rigole et les ouvrages qui la complètent sont à peu près inintelligibles pour le voyageur.

Nous vivons à une époque où l'essor chaque jour plus grand de l'industrie, les merveilles qu'elle enfante, l'esprit d'association qu'elle développe, les sentimens nouveaux qu'elle tend à mettre au cœur de l'homme, semblent nous promettre ce monde entièrement neuf après lequel nous courons si rapidement depuis un demi-siècle. Personne aujourd'hui ne peut restor complétement étranger à la puissance qu'elle exerce et aux grands ouvrages qu'elle sait créer. La visite de l'un des travaux publics de France les plus anciens et les plus admirables (le Canal du Midi est le second exécuté en France), est un pélerinage obligatoire pour tout jeune voyageur qui traverse le Midi; ce serait même pour la plupart des jeunes Languedociens un excellent complément d'éducation qu'une étude attentive et faite sur les lieux du Canal du Midi et de ses rigoles de dérivation. I appartient à l'école de Sorèze, située dans lo voisinage, fameuse par l'avance qu'elle a prise, il y a trente ans, sur les études universitaires, de donner do nouveau le signal; elle ne peut éviter le déclin dont on l'a dit menacée qu'en renouvelant aujourd'hui, comme elle le fit au commencement du siècle, son plan

d'études, en l'élargissant, et surtout en l'appropriant davantage aux besoins nouveaux qui commencent à poindre dans notre société. Quelques heures à peine la séparent des bassins de Lampy et de Saint-Féréol; la rigole coule presque à ses portes; ne serait-ce pas une excellente préparation à l'école Polytechnique que l'étude pratique et suivie pas à pas sur les lieux de ces beaux ouvrages? Quant aux élèves qui ne se destinent ni au génie, civil et militaire, ni aux mines, quelque rôle qui les attende dans la société, savans, industriels, artistes, fùt-ce même celui de rentiers et de propriétaires, l'étude et l'intelligence d'un ouvrage aussi utile

et aussi beau ne peuvent que leur donner une grande quantité d'idées utiles et fécondes.

Je ne finirai point sans rappeler aussi l'attention des agriculteurs et des propriétaires des deux plaines de Revel et de Carcassonne, si souvent affligés de la sécheresse, sur l'immense richesse que pourrait ajouter à leurs possessions la formation de plusieurs réservoirs dans la Montagne-Noire, dont les eaux, amassées pendant l'hiver, pourraient en été, par des rigoles d'irrigation, porter la fertilité sur l'un et l'autre versant. Ch. LEMONNIER.

I.

L'ORPHELINE DE L'ANDORRE.

LE VAL D'ANDOrre.

A l'extrémité orientale des Pyrénées-Ariégoises, et à gauche du village de l'Espitalet, s'élève le pic Pédrous, qui dresse brusquement son front chauve et décharné au-dessus d'un groupe de montagnes couchées à ses pieds. Entraîné par l'amour de la botanique, je venais de gravir, avec un guide, les rochers de Calvaire-Alpin qui le couronnent. Le magnifique spectacle du sosoleil levant et une abondante moisson de plantes pyrénéennes m'avaient amplement dédommagé des fatigues de ma périlleuse escalade. Bientôt nous abandonnames le sommet du pic; comme cela arrive dans tous les pays de montagnes, à mesure que nous avançions, l'horizon se déplaçait devant nous, et, à chaque instant, la scène variait à nos yeux. Je me livrais avec tout l'enthousiasme d'une imagination de vingt ans aux charmes de ce gracieux panorama. Un chaud soleil d'automne inondait les pics arides d'une pluie de lumière, ses rayons glissaient sur l'herbe fine et serrée des pelouses et allaient dorer à nos pieds la poussière des cascades. De légers brouillards flottaient indécis, çà et là, sur le penchant des monts. Lorsque la brise repliait de temps à autre ce vaporeux rideau, alors l'oeil plongeait avec délices dans quelque fraîche vallée alpine qui apparaissait tout à coup avec ses noirs sapins, ses touffes de noisetiers et les eaux vives de son torrent.

Nous eùmes bientôt atteint la cabane de bergc. où nous avions laissé nos chevaux qui n'auraient pu nous suivre dans notre aventureuse excursion, et nous nous acheminâmes vers le val d'Andorre qui s'ouvrait à nos pieds.

L'Andorre est un pays neutre enclavé entre la France et l'Espagne, qui le débordent de toutes parts. Comme la république de Saint-Marin, elle nous offre le phénomène d'un état libre, au sein d'ambitieux et entreprenans voisinages. Sa pauvreté a été plus habile à garder son indépendance que les violentes et inutiles

mesures de tant d'autres républiques. Depuis douze siècles elle a conservé son entière liberté. Les Andorrans s'en font un titre de gloire, car chez eux la noblesse ne se calcule pas par le nombre des aïeux, mais par celui de leurs années d'indépendance. Sous l'empire ils voulurent s'associer à la gloire française, en se livrant à Napoléon. Mais il n'y avait pas de place dans l'ambition de cet homme pour le val d'Andorre. Son aigle impérial planait trop haut pour que son regard, qui convoitait le monde, put apercevoir, dans un coin des Pyrénées, ce petit état perdu dans les montagnes. Grâces à sa misère, et contre sa propre volonté, I Andorre sauva sa liberté qu'elle garde encore, sous le patronage de la France et de l'Espagne. Régie par ses propres lois, elle conserve toujours ses mœurs patriarchales et son originalité; à peu près comme une famille juive au sein d'une société chrétienne.

La physionomie générale de l'Andorre est triste et uniforme. Ce sont toujours des pics nus, arides, entrecoupés de sombres montagnes, couvertes de forêts de sapins. Dans les vallées s'étendent d'immenses pâturages, hérissés de débris de rochers et sillonnés par les eaux capricieuses des torrens. Cà et là sont éparpi!lés de rares hameaux, quelquefois perchés comme le nid d'un oiseau de proie sur la cime d'un roc sauvage, plus souvent cachés dans le vert repli des montagnes. Le territoire est formé par deux grandes gorges qui naissent au pied des Pyrénées françaises, courent vers le sud, se rencontrent et se prolongent ensuite en une seule vallée principale, qui va déboucher dans le pays d'Urgel.

Nous étions à l'entrée d'une de ces gorges; un énorme tronc de sapin jeté en travers du torrent nous séparait du val d'Andorre. Là je vis mon guide s'arréter un instant, porter la main à son bonnet rouge, et faire un rapide signe de croix à la façon des Espagnols.

Est-ce donc, lui dis-je, que nous courons quelque chance de nous voir dévorer par les dents des ours, ou estropier par les balles des contrebandiers?

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