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Saône, et le Germain boira celle du Tigre avant que Nicéphore et Otton soient en parfaite intelligence.

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Nous avons parlé ailleurs des oracles de Léon et de la bonne foi aveugle que les Grecs avaient pour ces prédictions plus bizarres qu'intelligibles ('). On voit par la relation de Luitprand qu'il y avait dans l'Empire grec une classe d'hommes qui faisaient profession d'expliquer les anciennes et d'en faire de nouvelles. Les mathématiciens, dit-il (2), assurent de vous et de Nicéphore la même chose que je viens de dire. Je me suis entretenu avec un homme qui fait profession d'astronomie, qui m'a fait un portrait très-fidèle de votre esprit et de vos mœurs, des mœurs et de l'esprit de l'empereur Otton, votre fils, et qui m'a rendu présent tout ce qui m'est jamais arrivé. Il n'y a eu aucun de mes amis ni de mes ennemis, touchant lequel je me sois avisé de l'interroger sans qu'il m'en ait fait une peinture fort naïve et fort ressemblante. Il m'a prédit toutes les disgrâces que j'ai essuyées dans le cours de mon voyage, mais que tout le reste de ce qu'il m'a dit se trouve faux, pourvu que ce qu'il m'a assuré touchant le traitement que vous feriez à Nicéphore, se trouve vrai, je serai alors très-satisfait, et oublierai toutes mes peines et mes fatigues.

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Au lieu de toutes ces vaines paroles, nous serions bien plus reconnaissants à Luitprand s'il nous avait raconté les jeux scéniques par lesquels il nous dit que les Grecs célébraient le ravissement du prophète Elie au ciel : « Quo die leves græci raptionem Eliæ prophetæ ad cœlos ludis scenicis celebrant. "

Tels étaient les sentiments qui animaient alors les Grecs contre les chrétiens d'Occident. Ils devinrent plus

(1) V. l'Annuaire de l'Association pour l'encouragement des études grecques, an. 1874.

(2) Page 318.

violents et plus haineux quand le pape Jean XIV intervint dans la négociation. Deux nonces envoyés par lui arrivèrent le jour de l'Assomption. Ils portaient une lettre où le pape engageait Nicéphore, empereur des Grecs, à contracter alliance et amitié avec son cher fils Otton, empereur des Romains. Ce fut l'occasion de la part des Grecs d'éclater en récriminations. « Le pape, dirent-ils, ne donne au grand empereur Nicéphore, qui est le seul empereur de tous les Romains que la qualité d'empereur des Grecs, et donne la qualité d'empereur des Romains à un misérable barbare. O ciel, ô terre, ô mer, que ferons-nous de ces scélérats qui se sont chargés de sa lettre? Ce sont des gens de basse naissance. Si nous les faisons mourir, nous souillerons nos mains en les trempant dans un sang aussi vil qu'est celui qui coule dans leurs veines. Ce sont de pauvres paysans trop honorés d'avoir des coups d'une étrivière dorée. »

Ils ne ménageaient pas davantage le pape. « C'est, disaient-ils, un homme sans esprit et sans lumières, qui ne sait pas que le saint Empereur Constantin transféra à Constantinople l'Empire, le siége de l'Empire et la milice, et qu'il ne laissa dans Rome que des gens ou d'une infàme naissance, ou d'une basse condition, des pêcheurs, des oiseleurs, des cuisiniers et des esclaves. "

Une si pénible ambassade devait avoir son terme. Luitprand finit par obtenir son congé. Il se vengea de toutes les mortifications auxquelles on l'avait soumis en écrivant sur la muraille de la désagréable maison qu'il avait occupée. «Il n'y a nulle assurance à la parole des Grecs, et ils ne la gardent que quand ils n'ont point d'intérêt à la violer. " Jusqu'au bout il conserva la mauvaise humeur et voici comment il résume ses tribulations «<Asinando, ambulando, equitando, jeju

nando, sitiendo, suspirando, flendo, gemendo, Naupactum veni. "

Il serait difficile, comme le dit Zambelios, de trouver ailleurs dans le moyen âge une expression plus vive et plus passionnée des sentiments qui séparaient alors l'Orient de l'Occident. Luitprand les a rendus dans sa relation avec une vérité des plus dramatiques. En face de Nicéphore dont les exploits ont pour objet de repousser les Arabes chaque jour plus menaçants, rien n'est plus singulier que cet évêque d'Occident rempli de préjugés, de colère, de raillerie, et pour tout dire d'un assez sot orgueil (1).

Voilà bien, en effet, deux civilisations chrétiennes parfaitement opposées l'une à l'autre. On en verra sortir toutes les conséquences, lorsque les croisades mêleront ces peuples dans un antagonisme où le zèle religieux aura moins de puissance que ces antipathies de race.

On a pu remarquer que Zambelios accuse Luitprand de ne savoir que bégayer la langue de Platon et d'Athanase. Nous pensons, en effet, que l'évêque de Crémone ne possédait pas tous les secrets de l'hellénisme, mais il a semé dans sa relation quantité de mots grecs, plus que des mots, des phrases, des idiotismes, des débris d'anecdotes, qui sont pour nous d'un intérêt d'autant plus grand, qu'il ne manque pas d'écrire à côté de ses grécismes, la prononciation italienne de chacun d'eux.

(1) L'auteur que nous citons ne lui est pas favorable, et voici comment il le caractérise: " Λιουτπράνδος, εἴτε Ισπανὸς ὤν, εἴτε Ἰταλὸς, εἴτε ἄλλο τι, ὁ Λιουτπράνδος, ἔχων συνάμα καὶ τὸν ἐπισκοπικὸν χαρακτῆρα, καὶ τὴν ἀσχη μοσύνην τῆς ἡμιβαρβάρου κοινωνίας του, θεραπεύων τὸν Παπισμὸν, κολακεύων τοὺς Γερμάνους, περιθάλπων τῶν Ἰταλῶν τὰ πάθη, ὁ Λιουτπράνδος, ὅστις τὴν γλῶσ σαν ψελλίζων τοῦ Πλάτωνος καὶ τοῦ ̓Αθανασίου, τοὺς μὲν Γραικορωμαίους ἐξυβρί ζει, τοὺς δὲ Σάξωνας, καὶ Λογγοβάρδους, καὶ Φράγκους, καὶ Βουργουνδίους, καὶ ἄλλους τοιούτους λαοὺς ἐπαινεῖ οὗτος, λέγομεν, ἐκπροσωπεῖ τὴν Δύσιν κερματεζομένην εἰς πολλὰς νηπιώδεις ἐθνότητας, ἐν εὐρωστίᾳ, καὶ τόλμῃ, καὶ θρασύτητι ἀναδυομένας ἐκ τοῦ καθαρτηρίου τοῦ μεσαιῶνος. » - Βυζαντιναί μελέται, p. 514.

Le titre de son ouvrage est un mot grec. « In nomine patris et filii et spiritus sancti incipit liber ανταποδόσεως, id est retributionis regum atque principum partis Europæ, a Luidprando Ticinensis ecclesiæ diacone iv Tỷ exuaλooix aútoù, en ti echmalosia autu, id est in peregrinatione ejus ad Recemundum, Hispaniæ provinciæ Liberritanæ ecclesiæ episcopum editus. » Ce titre n'est pas pour donner grande confiance dans l'hellénisme de Luitprand. Le mot ɛxuxλocía offre deux fautes d'orthographe & mis pour at, λo pour λw, et la traduction latine qu'il en donne par le mot peregrinatione ne répond que par une figure au sens du mot grec (1).

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Au livre III, il explique la raison qui lui a fait choisir ce terme « Operis hujus titulum, pater sanctissime, satis te mirari non ambigo. Ais forte : cum virorum illustrium actus exhibeat, cur avτañódоons antapodosis, ei inseritur titulus? ad quod respondeo: intentio hujus operis ad hoc respicit ut Berengarii hujus, qui nunc in Italia non regnat sed tyrannizat atque uxoris ejus Willæ, quæ ob immanitatem tyrannidis secunda Jezabel, et ob rapinarum insacietatem Lamia, proprio appellatur vocabulo, actus designet ostendat et clamitet... sit igitur eis præsens pagina antapodosis, hoc est retributio, dum pro calamitatibus meis ηy ασεбɛîαv asevian, id est impietatem eorum præsentibus futurisque mortalibus denudavero. »

Luitprand avait appris le grec par l'usage plutôt que par principes. Voilà pourquoi il écrit d'une façon incorrecte, au point de vue de l'orthographe et de l'accent, le mot ἀνταπόδοσις sous cette forme ἀνταπόδοσης. Ce n'est pas le seul manquement à la loi de la prosodie. Tantôt il met les accents, juste quelquefois, à faux le plus souvent; là où il est embarrassé, il les supprime. On peut

(1) Ailleurs il fait de ce mot peregrinatio le synonyme de captivitas.

en voir la preuve dans l'édition de Pertz, qui a suivi avec le plus grand soin le manuscrit dont il est l'éditeur. Ce manuscrit présente cette particularité que les mots grecs ont été écrits par une main qui n'est pas celle qui a copié l'œuvre entière. Ces parties-là sont de la main de Luitprand lui-même (1).

Il serait trop long et trop fastidieux de recueillir toutes les expressions grecques dont l'évêque de Crémone a distingué sa narration latine. Nous en rapporterons quelques-unes. Au livre premier, il parle de Léon Porphyrogenète, il indique exactement l'origine de ce mot, « de domo quæ porphyra dicitur, non quia natus esset in purpura. Constantinus imperator, jussit ædificari domum illam tov oixov ToÚTOV ton icon touton. » Nous rapportons fidèlement l'orthographe et l'accentuation de Luitprand.

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Basilius της πτώχειας tis ptochias jugo, cum serviret igumeno id est abbati ηγούμενον.

Christus Basilio apparuit ita conveniens ἵνα τί ἔσφαζες τὸν δεσπότην σου βασιλεα, ina ti esfases ton despotin su basilea.

L'empereur Léon dit à des soldats dont il met la fidélité à l'épreuve μη διληασεται (pour μὴ δειλιάσετε) σε οὔτε μαντην οὔτε ονιροπόλον, se ute mantin ute oniropolon.

Il cite le coq de Lucien καθώς ο Λουκιανος de quodam dicit quod dormiens multa reppererit, atque a gallo excitatus nihil invenerit.

Au livre second, il dit des Hongrois άθεοι καὶ ἀσεβοῖς AVT: TWV dxxpɛíwv, athei ke asevis anti ton dacrion.

(1) Pertz, p. 270. « Luitprandi manui omnia fere græca una cum explica. tione, quibus quidem spatium a scriba relictum erat; sed et alia debentur... unde facies codicis singularis, quam tabula adjecta exprimendam curavi, ita ut nigricante atramento exarata scribam, fusca Luitprandi manum ostendant. >

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