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lettres. On remarque surtout qu'il savait le grec. « Dès l'âge de quatre ans il fut envoyé par ses parents auprès de l'évêque d'Utrecht, Baudric, pour apprendre les rudiments de la littérature, et se signala par de merveilleuses dispositions. Aucune partie des arts libéraux n'échappait à la vivacité de son esprit; le grec et le latin lui étaient également familiers. Lorsqu'il fut promu à la dignité archiepiscopale (à Utrecht), il attira auprès de lui les plus savants docteurs « in utraque lingua, » et étudia avec eux tout ce que les historiens, les orateurs, les poètes et les philosophes renferment de remarquable. Son plaisir était de siéger au milieu d'eux et de les entendre disserter sur les beautés de la philosophie. « Annos circiter quatuor habens, liberalibus litterarum studiis imbuendus Baldrico Episcopo Trajectum missus est. Nullum erat studiorum genus in omni greca vel latina eloquentia, quod ingenii sui vivacitatem aufugeret... Sæpe inter Grecorum et Latinorum doctissimos de philosophiæ sublimitate... medius consedit (1). "

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Ce témoignage du biographe Ruolger est confirmé par celui de Jean de Gorze. Brunonis insuper et grecæ lectionis multa accesserat instructio (2). » Son érudition grecque eut son effet ordinaire, il paraît qu'elle le fit glisser dans quelques hardiesses hétérodoxes; car on voit dans une légende, que saint Paul est obligé de le défendre du reproche de s'être adonné avec trop d'ardeur à l'étude vaine et périlleuse de la philosophie. « Adeo græcis suis studiis in philosophiam quamdam subtiliorem, quod facile fiebat, videtur esse adductus, ut S. Paulus facere non posset, quin Brunonem in somnio propter inane ac vanum philosophiæ

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studium defenderet (1). » On remarquera aussi qu'entre les disciples qu'il a formés, ou bien entre les maîtres qu'il a suivis, on cite un irlandais nommé Israël, Episcopus Scotigena, ou bien selon Flodoard « Israël Britto (2)

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Jean de Vandières, évêque de Toul, qui prit plus tard d'une abbaye au diocèse de Metz, le nom de Jean de Gorze, étudia les catégories d'Aristote pour mieux comprendre saint Augustin. Par l'ordre d'Otton Ier, il avait fait un voyage en Espagne qui avait duré trois ans. Il s'y était instruit dans la langue des Arabes établis à Cordoue. A Gorze, il réveilla les études parmi les moines; c'est à ce groupe d'hommes instruits qu'il faut rattacher certain Bovon qui devint illustre par sa science grecque : "Græcas litteras coram Cuonrado (primo), rege legendo factus est clarus (3).

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En 912 naquit à Liège un moine du nom de Rathier. Il fut trois ans évêque de Vérone; ayant encouru la haine de ses clercs, il quitta son évêché et dirigea en France des écoles privées; il composa une grammaire qu'on appelait d'un nom grotesque mais significatif « Servadorsum ou Sparadorsum, » par allusion aux châtiments que les infractions aux règles de la grammaire attiraient sur les écoliers négligents. Les nom

(1) Cramer, p. 36, Thietmar. Cronic. II, p. 10. Ce prince, après avoir passé quatre ans à l'école d'Utrecht, et étudié sous Rathier toutes les sciences alors en usage, forma le dessein d'apprendre à fond la langue grecque, et ce qu'ont de meilleur les historiens, les orateurs, les poètes, les philosophes de l'antiquité. Pour l'exécution de ce projet, il eut soin d'attirer près de lui les plus savants hommes en grec et en latin qu'il pût déterrer. Il est aisé de juger par là du mérite de cetté Académie, qui se tenait plutôt en Lorraine qu'à Cologne. V. L. Maitre, p. 86. (2) Ad annum 947.

(3) Cramer, p. 36. Widukindi lib. III, c. 2. Græcæ linguæ in Belgis notitia patet quoque ex librorum catalogo sæculo duodecimo confecto, qui ex monasterio Benedictinorum Aquicinensi (Anchin) in Hannonia nunc Bruxellis in regia latet bibliotheca. In eo leguntur Plato de Cosmopio I (? Timous?) Isagoge et Periermenia Aristotelis, tria exemplaria Isagoges Porphyrianæ, Periermeniæ, Apulei cum Platone, etc. Cramer, p. 36, not. 169.

breux auteurs grecs qu'il cite, le ton de son langage donnent lieu de croire qu'il n'ignorait pas le grec (1). Liège, selon Cramer (2), offrit un asile aux moines grecs qui s'enfuirent d'Orient à la suite de la querelle des Iconoclastes. On cite parmi eux Evrard évêque de cette ville, et Gérard de Toul (3), qui firent tous leurs efforts pour répandre l'étude du grec. Auprès du même Evrard, on vit les Irlandais chercher un refuge, il n'est pas douteux qu'il n'en soit résulté de grands avantages pour la connaissance du grec, puisque Gérard permettait aux Grecs de conserver la liturgie et le rite grecs, et qu'il partagea les autels entre les Grecs et les Irlandais. « Qum Gerardus permitteret, ut græcam liturgiam græcumque ritum retinerent, divisit enim inter Græcos et Scotos, quos propriis stipendiis aluit, altaria » (*).

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Lu

Au monastère de Gandersheim fondé en 856 par dolph duc de Saxe, vivaient 24 religieuses, assistées de 12 chanoines et de 8 vicaires soumis à la juridiction de l'abbesse. Ces religieuses, suivant la prescription de la règle, ne pouvaient être que filles de rois ou de princes. On a distingué entre elles au X° siècle Hroswita (5), fille dit-on d'un roi de Grèce; elle a laissé six comédies dévotes imitées de Térence. On aimerait à dire et à croire qu'elle était capable de lire Ménandre. Rien ne le prouve, quoiqu'il soit vraisemblable qu'elle n'eût point oublié la langue grecque; peut-être la rigueur de sa profession lui interdisait-elle des lectures

(1) Hist. litt. de la Fr., t. VI, p. 57. Dans un de ses écrits intitulé Agonisticon, il cite plus de quinze pères de l'Église tant grecs que latins. Entre les premiers on remarque Origène, Hégésippe, saint Jean Chrysostone. Il cite plus volontiers les latins: Varron, Térence. Cicéron, Horace, Perse, Sénèque, et d'autres encore. (T. VI, Hist. litt.,

(2) Page 37.

(3) Mort en 998.

(4) Cramer, page 37.

(5) Martin Crusius, Germano-Græcia, liv. V, p. 217.

p. 379.)

si profanes. Térence qui pourtant n'était en tout qu'un demi-Ménandre, se faisait-il plus facilement accepter que son original? En définitive, à cette époque, dans les bibliothèques des écoles, ce ne sont guère que des livres latins que nous voyons cités.

Un moine de Richenau, du nom de Gunzon, met bien en avant les noms d'Homère, de Platon, d'Aristote, entre ceux de Térence, de Salluste, de Stace, d'Horace, de Virgile, d'Ovide, de Perse, de Juvénal, de Lucain, de Porphyre; mais on peut croire qu'il ne parle des grecs que pour les avoir entendu nommer ou tout au moins pour les avoir lus dans des traductions latines (').

On peut en dire autant de Gerbert qui mourut pape en l'année 1003. Quoiqu'il ait été en son temps un prodige de science et d'érudition, qu'il ait appris et enseigné les mathématiques, la physique, la dialec-tique, la musique, la médecine, il ne paraît pas avoir su le grec. Il ne faut pas se laisser tromper par des allégations mensongères. Léon légat du pape, qui s'opposait à ce que Gerbert montât sur le siége épiscopal de Reims, disait : « Les vicaires de Pierre et ses disciples ne veulent pas avoir pour maître un Platon, un Virgile, un Térence, ni l'autre bétail philosophique().»

Ce mot de Platon ne doit pas nous abuser. Gerbert l'a mérité non pour avoir puisé aux sources grecques, mais pour avoir appris à connaître les doctrines de ce philosophe dans des traductions latines. C'est ce qu'on voit bien clairement dans l'historien Richer son ami et son disciple. Il est le meilleur garant de la science de Gerbert, et nous savons par lui que s'il expliqua l'introduction de Porphyre, ce fut d'après la traduction de

(1) Dom Martène et Dom Durand, Amplissima collect. p. 294-314. Ampère, t. III, p. 270.

(2) Pertz, Mom. III, 687. Vicarii Petri ejus discipuli nolunt habere magistrum Platonem, neque Virgilium, neque Terentium, neque ceteras pecudes philosophorum.

Victorinus d'abord, puis d'après Boèce. Il n'aborda les topiques d'Aristote qu'à travers l'interprétation de Cicéron et les commentaires du même Boèce ('). On peut donc conclure avec M. Ampère : « Il est à croire, d'après cela, que Gerbert n'entendait pas le grec. » Ajoutez cette autre indication que Richer dans l'énumération des auteurs expliqués par Gerbert dans son école de Reims, ne parle pas d'un seul écrivain grec. Il ne cite que des latins, Virgile, Stace, Térence, Juvénal, Perse, Horace, Lucain. Dans sa bibliothèque, fort considérable pour ce temps-là, on trouve les lettres de Cicéron, trois livres de la République, Jules César, Eugraphe, commentateur de Térence, Pline, Suétone, Stace, Manilius, Q. Aurelius (Cassiodore), Victorinus, Boëce, Démosthène le médecin, Joseph l'Espagnol, Lupicius de Barcelone, pas un seul grec (*).

M. Cramer pourtant ne voudrait pas lui refuser absolument la connaissance du grec. Qu'on restreigne cette science autant qu'on voudra, il y consent; il croit voir dans ces restrictions l'expression exacte de la vérité, il pense de même des notions de langue arabe qu'on lui a prêtées. Il croit que le correspondant et l'ami de Notker, d'Adalberon, d'Egbert de Trèves, d'Ekkard de Tours, a dû se sentir attiré vers l'hellénisme par ces illustres amis. Il signale surtout trois prêtres romains, Théophylacte, Laurent d'Amalfi et Brazut, dont les noms grecs, font supposer que Ger

(1) Richeri. Hist. t. III, c. 46.

<< Imprimis Porphyrii ysagogas, id est introductiones secundum Victorini translationem, in le etiam easdem secundum Manlium explanavit... Cathegoriarum id est prædicamentorum librum Aristotelis consequenter enucleans periermenias vero librum, cujus laboris sit, aptissime monstravit. Inde etiam Topica id est argumentorum sedes, a Tullio de græco in latinum translatas et a Manlio consule sex commentariorum libris dilucidata suis auditoribus intimavit.>>

Théodoric avait conféré la dignité de consul à Boèce.

(2) Cramer, 52, d'après les œuvres de Gerbert, 7, 9, 25, 40, 87, 96, 130, 133, 135, 148, 154. Epp. 17, 24, 25.

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