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cartes, c'est qu'ils lui permettaient d'expliquer toutes les actions du corps sans le secours de l'âme : grand et final objet de sa belle philosophie.

«Tous les mouvements que nous faisons, dit-il, sans que notre vo<«<lonté y contribue, comme il arrive souvent que nous marchons, que « nous mangeons, et enfin que nous faisons toutes les actions qui nous << sont communes avec les bêtes, ne dépendent que de la conformation << de nos membres et du cours que les esprits, excités par la chaleur << du cœur, suivent naturellement dans le cerveau, dans les nerfs et dans <«<les muscles, en même façon que le mouvement d'une montre est pro« duit par la seule force de son ressort et la figure de ses roues1. » Descartes se rend ainsi raison, par le seul moyen, par le seul cours des esprits, de toutes les fonctions qui appartiennent au corps; et, cela fait, il arrive à cette conclusion principale, savoir: « qu'il ne reste donc << rien en nous que nous devions attribuer à notre âme, sinon nos pen«sées 2. »

Après le premier Descartes, le philosophe qui a le plus employé les esprits est celui qu'on pourrait appeler le second Descartes, c'est-à-dire Malebranche.

Malebranche commence ainsi l'un de ses chapitres : « Tout le monde <<< convient que les esprits animaux ne sont que les parties les plus sub<< tiles et les plus agitées du sang, qui se subtilise et s'agite principale«ment par la fermentation et par le mouvement violent des muscles << dont le cœur est composé, que ces esprits sont conduits avec le reste « du sang par les artères jusque dans le cerveau3. . . .

Malebranche conduit intrépidement, comme on voit, les esprits animaux jusqu'au cerveau; mais, arrivés là, comment sont-ils séparés de cet organe? «Ils en sont séparés, dit-il, par quelques parties destinées « à cet usage, desquelles on ne convient pas encore. » Il explique ailleurs la différence qui lui paraît être entre les esprits animaux et le cerveau : « Il y a, dit-il, cette différence entre les esprits animaux et la subs« tance du cerveau, que les esprits animaux sont très-agités et très-fluides, <«<et que la substance du cerveau a quelque solidité et quelque consis<< tance, de sorte que les esprits se divisent en petites parties et se dissipent en peu d'heures, en transpirant par les pores des vaisseaux qui <«<les contiennent, et il en vient souvent d'autres en leur place qui ne « leur sont point du tout semblables 5. »>

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Je remarque, dans Malebranche, une extension nouvellę, ou, pour mieux dire, un abus nouveau de la théorie des esprits. Galien et Descartes ne mettaient les esprits que dans le corps vivant, que dans le sang, et même que dans les parties du sang les plus subtiles et les plus pures. Malebranche les met partout, et jusque, ce sont ses expressions, dans les viandes et les breuvages dont on se sert.

«Le vin est si spiritueux, dit-il, que ce sont des esprits animaux « presque tout formés, mais des esprits libertins, qui ne se soumettent (( pas volontiers aux ordres de la volonté, à cause de leur subtilité et de <«<leur agitation excessive. Ainsi, dans les hommes, même les plus forts <«<et les plus vigoureux, il produit de plus grands changements dans <«<l'imagination et dans toutes les parties du corps que les viandes et les «< autres breuvages. Il donne du croc en jambe, pour parler comme « Plaute; et il produit dans l'esprit bien des effets qui ne sont pas si << avantageux que ceux qu'Horace décrit dans ces vers:

:

Quid non ebrietas designat? etc.'»

Le grand Bossuet, dont on n'ose presque dire qu'il ait pu être l'élève de quelqu'un en quoi que ce soit, l'a pourtant été de Descartes en philosophie «.....Les esprits, dit-il, coulés dans les muscles par « les nerfs répandus dans les membres, font le mouvement progressif 2... >> « Les esprits, dit-il encore, sont la partie la plus vive et la plus agitée du << sang, et mettent en action toutes les parties 3. » — « Dès que les esprits « manquent, les ressorts cessent faute de moteur". » « Les passions,

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<< dit-il enfin, à les regarder seulement dans le corps, semblent n'être « autre chose qu'une agitation extraordinaire des esprits, à l'occasion

«

<< de certains objets qu'il faut fuir ou poursuivre, etc., etc. 5.» Malebranche mourut en 1715; Fontenelle en 1757; et, avec celuici, le dernier représentant supérieur du cartésianisme. Avec le cartésianisme tombèrent les esprits animaux.

En 1742, un jeune homme plein d'esprit, plein de feu, plein de verve, et ayant toute l'audace de la jeunesse, soutint, à l'école de Montpellier, une thèse où il prend les esprits à partie, où il les combat rudement, à outrance, et, qui pis est, car il faut tout dire, où il s'en

moque.

« Un homme sans préjugé, dit-il, et qui se donnerait la peine d'exa<< miner les choses de bien près, ne pourrait-il pas prouver que ces trois

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De la recherche de la vérité, 1" partie, liv. II; chap. II. de Dieu et de soi-même, S VI. 3 Ibid. S IX.

Ibid. S XII.

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5 Ibid.

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« sortes d'esprits, qui furent comme le trépied, ou, si l'on veut, le triumvirat « de l'ancienne physiologie, étaient aussi mal établies l'une que l'autre.... « Quant à la façon dont les modernes soutiennent les esprits, il y a d'abord lieu d'être frappé du nombre prodigieux de formes qu'ils leur ༥ donnent les uns disent qu'ils sont de l'air, d'autres du feu, de l'eau, de «la lymphe; on les a faits acides, sulfureux, actifs, passifs; on en a fait de << deux ou trois espèces qui roulaient dans les mêmes nerfs; enfin on leur << a donné toutes sortes de configurations, jusqu'à en faire de petits tour« billons, ou de petits ballons à ressort, selon l'expression de M. Lieutaud, <«< qui est aussi persuadé de l'existence de ces ballons qu'il l'est de la struc<< ture qu'il suppose au cerveau... Ajoutons, continue-t-il, et toujours très«finement et très-judicieusement, ajoutons que ceux qui admettent les <«< esprits sont aussi embarrassés pour expliquer les fonctions des nerfs <«< que ceux qui ne les admettent pas... En est-on plus avancé lorsqu'on a « suivi les détails infinis de Boerhaave et de ses commentateurs sur cette question? Ne vaut-il pas mieux l'abandonner pour une bonne fois, et la <«< mettre au rang de ces questions ennuyeuses par lesquelles les anciens ✔ commençaient leurs physiologies? Ne profiterons-nous jamais des bé<< vues de ceux qui nous ont précédés ?>>

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Voilà comment le jeune Bordeu, à peine âgé de vingt ans 1, traitait les esprits, et tel est le sort des plus belles fortunes philosophiques. Ces mêmes esprits, si fort révérés de l'antiquité entière, et, dans les temps modernes, de Descartes, de Bossuet, de Malebranche, finissent par devenir le sujet commode des plaisanteries faciles d'un écolier.

Après Bordeu, vint Barthez. La physiologie prenait une face toute nouvelle. Barthez, métaphysicien d'un ordre supérieur, est le premier homme qui, en physiologie, se soit fait une idée philosophique des forces, j'entends des forces données par les faits, ou, comme il les appelle trèsbien, des causes expérimentales2: «On peut donner, dit-il, à ces causes générales (aux causes générales des phénomènes de la vie), que j'ap<< pelle expérimentales, ou qui ne sont connues que par leurs lois que « donne l'expérience, les noms synonymes et pareillement indéterminés, « de principe, de puissance, de force, de faculté, etc. » — « La bonne << méthode de philosopher dans la science de l'homme exige, conti

1

:

Il n'avait en effet que vingt ans, étant né en 1722, quand il présenta, en 1742, sa thèse Dissertatio physiologica de sensu generice considerato; mais il en avait trente quand il publia, en 1752, ses Recherches anatomiques sur la position des glandes et sur leur action, ouvrage beaucoup plus mûri, excellent, où il reproduit sa critique des esprits, et dont j'extrais les passages que je viens de citer. Nouv. élém. de la sc.

de l'homme, Disc. prelim.

«nue-t-il, qu'on rapporte à un seul principe de la vie dans le corps hu<«<main les forces vivantes qui résident dans chaque organe, et qui en «produisent les fonctions, tant générales, de sensibilité, de nutrition, etc., << que particulières, de digestion, de menstruation 1, etc. »>

Cependant la véritable idée de cause expérimentale, de principe, de force, en physiologie, n'était pas encore complétement dégagée. Barthez avait raison d'appeler forces les causes de nos fonctions; il avait raison de vouloir rattacher toutes les forces secondaires à une première, qui est la force générale de la vie; mais il avait tort de faire de cette force générale et commune de la vie un être individuel, abstrait, détaché des organes, et plus tort encore de croire avoir expliqué un phénomène particulier quelconque, quand, à propos de ce phénomène, il avait prononcé le mot de principe vital, car, évidemment, étant nécessairement impliqué dans tous, le principe vital ne peut servir d'explication propre pour aucun.

Le vrai problème est d'arriver à la force particulière de chaque phénomène particulier, à la propriété singulière qui le produit. Et c'est là ce que tous les physiologistes cherchent à faire depuis Haller.

Depuis que, par ses belles expériences, Haller a localisé l'irritabilité dans le muscle et la sensibilité dans le nerf; la voie des découvertes fécondes et des progrès certains, en physiologie, a été ouverte; car la physiologie tout entière est là : je veux dire dans la détermination expérimentale des forces de la vie, et la localisation précise de chaque force vitale donnée dans chaque élément organique distinct.

Quant au mot esprits (car, dès que le véritable nom des causes a été trouvé, il n'a plus été qu'un mot), exclu de la science par les railleries de Bordeu, par la haute métaphysique de Barthez, par les recherches positives d'Haller, il n'y a plus reparu.

:

Sur la fin de xvIII° siècle, en 1779; je le trouve encore employé, et c'est la dernière fois peut-être qu'il l'a été, dans une belle page de Buffon, mais dans un sens très-général, et qui déjà ne retient presque plus rien du sens primitif, technique et d'école. Buffon dit, à propos de l'infatigable mobilité du plus petit des oiseaux : « La nourriture la plus « substantielle était nécessaire pour suffire à la prodigieuse vivacité de <«<l'oiseau-mouche, comparée avec son extrême petitesse: il faut bien « des molécules organiques pour soutenir tant de forces dans de si <«<faibles organes, et fournir à la dépense d'esprits que fait un mouvement perpétuel et rapide 2. »

(

1

2

FLOURENS.

Nouv. élém. de la sc. de l'homme: Disc. prélim. Histoire des oiseaux-mouches.

Rig-Véda ou Livre des Hymnes, traduit en français par M. Langlois, membre de l'Institut. 4 vol. in-8°, Paris, 1848-1851. RIG-VÉDA-SAMHITA, avec le Commentaire de Sáyana, publié par M. le docteur Max Muller. 1er vol. in-4o, texte sanscrit. Londres et Oxford, 1849. RIG-VÉDA, traduit en anglais, par M. H. H. Wilson. 1a vol. in-8°. Oxford, 1850.

er

YADJOUR-VÉDA BLANC, avec le Commentaire de Mahidhára, publié par M. le docteur Albrecht Weber. 1er vol. in-4o, texte sanscrit. Berlin et Londres, 1852.

SAMA-VÉDA, publié et traduit en anglais, par M. Stevenson. 2 vol. in-8°. Oxford, 1842-1843.

SAMA-VÉDA, publié et traduit en allemand, avec un glossaire, par M. Théodore Benfey. Gr. in-8°. Leipzig, 1848.

SEPTIÈME ET DERNIER ARTICLE1.

De la religion et de la poésie des Védas.

Maintenant que l'on connaît les Védas dans leur grandeur et dans leur faiblesse, maintenant que l'on sait qu'ils doivent compter parmi les plus anciens monuments écrits de cette civilisation qui, partie des plateaux de la haute Asie, est arrivée jusqu'à nous à travers tant de vicissitudes, on peut se demander quelle est la valeur de ces monuments. Quelle place doivent-ils tenir dans les annales de l'esprit humain? Que lui ont-ils donné et que lui gardent-ils encore?

Mais, je le répète, quand je parle des Védas, je ne parle que des Samhitâs proprement dites; je laisse de côté les Oupanishads, toutes curieuses qu'elles sont, et les Brâhmanas, tout anciens,. tout sacrés qu'ils peuvent être aux yeux de l'orthodoxie.

J'ai rendu justice, comme on l'a vu, à la poésie védique et aux beautés d'un certain ordre qu'elle renferme; elles m'ont paru, dans leur genre, valoir tout ce qui a été fait d'analogue chez les autres peuples.

1

Voyez, pour le premier article, le cahier de juillet 1853, p. 389; pour le deuxième, celui d'août, p. 423; pour le troisième, celui de septembre, p. 553; pour le quatrième, celui d'octobre, p. 612; pour le cinquième, celui de décembre, p. 750, et, pour le sixième, celui de février 1854.

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