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Si les études qui furent le privilége de quelques maîtres Irlandais avaient pu s'étendre, se fortifier et se régulariser, le monde aurait vu au IXe siècle une nouvelle civilisation. Le mouvement qui ne se produira que deux siècles plus tard, avait dès lors commencé dans l'École du Palais, Ceux qui renoueront la chaîne des études philosophiques au douzième et au treizième siècle, se rattacheront à Scot Érigène. On poursuivra ses doctrines dans les doctrines condamnées par l'Eglise et son nom se retrouvera dans l'anathème prononcé contre Amaury de Chartres et David de Dinant, par le pape Innocent l'an 1204 (1).

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Lui-même il n'échappa pas de son vivant à cette autorité qu'il prétendait ne pas craindre. Il osa dire son sentiment dans la controverse dogmatique provoquée par Gottschalk. « Aussitôt, dit M. Hauréau, des clameurs s'élevèrent contre l'Egyptien factieux et impie; l'Église latine se souleva tout entière et réclama des sévices. Quelles furent les suites de cette tempête? Que devient le philosophe abandonné par tout le monde, poursuivi par tant de voix? On ne le sait, il disparaît et l'histoire ne retrouve plus sa trace. Avec lui l'hellénisme irlandais est vaincu, proscrit, et désormais l'École du Palais n'offrira plus de chaires à d'autres Érigènes. Il est partout reconnu, il est proclamé que ce sont des pestes publiques, res dira, hostis atrox, comme disait Théodulfe et que le fidèle chrétien doit les fuir avec horreur. »

Nous voyons reparaître ici, et plus vive que jamais,

(1) Dans les premières années du XIIIe siècle l'Église recherchant pour les livrer aux flammes vengeresses, tous les écrits qui avaient pu contribuer à faire naître l'hérésie qui porte les noms d'Amaury de Bène et de David de Dinant, le Traité de la division de la Nature fut signalé comme la vraie source de l'erreur et il fut alors solennellement condamné. Mais à cette époque les Écoles d'Irlande n'étaient plus telles que nous venons de les décrire. Soumises à leur tour à l'unité Romaine, elles avaient laissé de côté Platon et Proclus, pour adopter saint Augustin et saint Grégoire.

l'ancienne antipathie de l'Orient et de l'Occident. Déjà Enée de Paris avait reproché à la Grèce sa prétention d'être la maîtresse de toute science. « Il semble que le soleil ne soit beau qu'à l'Orient, et qu'à l'Occident il se change en ténèbres. » Il appelle les opinions de ses adversaires : « Les folles subtilités que la ruse grecque répand dans son orgueil sur l'Empire romain. » « Hæc deliramenta versutiarum græcalis industria supercilioso ambitu per Romanum spargit imperium. » Ces mots se trouvent dans un écrit intitulé: Contra græcorum opposita Romanam ecclesiam infamantia. Le titre en dit assez. Et pourtant il ne s'agissait que d'ajouter au Credo de Nicée le mot filioque (1).

Mabillon croit que Scot mourut à Paris, une légende le fait périr tué à coups de canif par des écoliers. Ampère suppose qu'il a pu être appelé à Oxford par le roi Alfred. Ce prince en effet mit tous ses soins, de 871 à 901, à faire fleurir les études. Il attirait à lui tous les savants du continent qui avaient quelque réputation. Pourtant Alfred ne connaissait pas le grec, puisqu'il a traduit du latin en saxon les fables d'Esope. L'on sait que dans l'École de son palais il n'a jamais recommandé à ses disciples que l'étude du latin et du saxon. Son historien Asser ne parle pas de Scot. La mort de ce philosophe restera donc toujours mystérieuse, mais les mauvais bruits qui l'entourent ont persisté pour effrayer longtemps les esprits et les détourner de l'étude d'une langue si féconde en subtilités dangereuses et mère de funestes hérésies. Anastase le bibliothécaire a bien pu dans son admiration pour Scot attribuer à l'Esprit saint son grand savoir. Fort instruit lui-même dans la langue grecque (3), il n'expli

(1) D'Achery, Spicileg., p. 117. (2) Mirandum est quomodo vir ille quanto ab hominum conversatione,

Ampère, t. III, p. 89.

barbarus (qui in finibus mundi positus, tanto credi potuit alterius linguæ dic

quait la supériorité de l'Irlandais que par un miracle. Mais le pape Nicolas Ier demandait qu'on lui envoyât à Rome, ou que du moins on écartât de l'école ce maître dangereux, qui mêlait l'ivraie au bon grain, et n'offrait que du poison à ceux qui lui demandaient du pain. « Ut ille Joannes, qui non sane sapere in quibusdam frequenti rumore dicatur, Romæ repræsentetur, aut certe a studio Parisiensi, cujus capital olim fuisse perhibeatur, removeatur, ne cum tritico sacri eloquii grana zizaniæ et lolii miscere dignoscatur, et panem quærentibus venenum porrigat ('). "

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Sa mort entraîna pour longtemps les études grecques dans un discrédit qui ne fit que s'accroître pendant deux siècles. La séparation des deux Églises après le schisme de Photius n'était pas pour les ranimer. Aussi ne voyons-nous plus en France d'autres hellénistes à citer que ceux qui s'étaient formés auprès de Scot. Tel est cet Hubald qui a chanté la calvitie de Charles, et la victoire de Louis sur les Normands. Il mêlait quelques mots grecs à ses vers latins.

Suscipe magna quidem, parvo sed pondere, dona
Quæ tibi лavõέxts, aggregat hic pariter.

Tel est encore cet Adam qui mettait des vers en tête de ses livres; on y voit ceux-ci :

Ergo nec hunc David, nec Job magis esse probatos
Apparet plane, pro te nec plura tulisse

Quanta tuus Carolus mitis, pius atque benignus,

Νηφάλεος, φρόνιμος, σπουδαῖος καὶ δὲ δίκαιος (3).

tione, longinquus), talia (Dionysii opera), intellectu capere, in aliamque linguam transferre valuerit. Joannem innuo Scotigenam, virum quem auditu comperi per omnia sanctum. Sic hoc operatus est ille artifex spiritus, qui hunc ardentem pariter et loquentem fecit. Nisi enim ex gratia ipsius igne charitatis flagrasset, nequaquam donum linguis loquendi procul du bio suscepisset. (Anastasius bibliothocarius, in epistola ad Carolum calvum. Hederiche, p. 909.) Cet écrivain avait appris le grec à Constantinople, par les ordres du pape Jean VIII; il traduisit les actes du VII concile Ecuménique et des ouvrages des Pères.

(1) Staudenmaier, p. 168, De adversa utraque ecclesia. Cramer, p. 34. (2) Cramer, Diss. de Græcis medii Eri studiis, pars altera, p. 33.

Louis II essaya de maintenir les études de maintenir les études grecques, il y mit une affectation qu'on n'a pas manqué de faire ressortir. Compiègne, dans sa pensée, devait être une nouvelle Constantinople, il l'appelait Carlopolis. Cette même ambition de s'élever à la hauteur des Empereurs d'Orient lui suscita une querelle qui fut à moitié politique, à moitié littéraire. Le titre d'Empereur que prenait Louis-le-Bègue réveilla la susceptibilité de Basile qui croyait avoir seul le droit de le porter. On voit (1) dans les Annales de la France, un monument de cette querelle, c'est la lettre de Louis, Empereur d'Occident, à l'Empereur d'Orient, Basile. Celui-ci refusait le titre de Bzoλis à tous princes autres que ceux d'Orient. Il consentait à appeler IIpotoσúμбouλos, le prince des Arabes, Cagan celui des Avares, des Normands, des Bulgares, 'Phya, celui des Franks. Louis II dans sa lettre discute ces prétentions, il leur oppose la tradition et l'usage des livres.

On ne voit pas, y est-il dit, que, dans les règles de nos pères, il y ait prescription de ne donner le titre d'Empereur qu'à celui qui commande à Constantinople, car sans parler des histoires de tous les peuples, l'écri– ture sainte fournit quantité d'exemples non-seulement d'élus, mais encore de réprouvés, comme des princes Assyriens, des Egyptiens, des Moabites qui ont eu le titre de Basis. Si cela est, c'est en vain que vous prétendez que nul autre que vous ne doive prendre cette qualité. Effacez donc tous les livres où les princes presque de toutes les nations sont honorés du même titre. "

Nous ne disons rien des raisons politiques alléguées par l'auteur de cette lettre, nous ne voulons en prendre que ce qui atteste l'état des lumières à ce temps-là, que

(1) Andreæ Duchesne, Historiæ Francorum script. t. III, p. 355.

ce qui peut nous faire supposer de la part de la chancellerie de Louis-le-Bègue, la connaissance des livres historiques communs alors à l'Occident et l'Orient. A propos du titre de Protosymbole Πρωτοσύμβουλος accordé au prince des Arabes, le rédacteur dit : « Je ne puis que je ne m'étonne de ce que vous dites que le prince des Arabes est appelé protosymbole, nous ne trouvons rien de cela dans vos livres, et, dans les nôtres, il est quelquefois appelé roi et de quelques autres

noms. "

Un des griefs les plus vifs articulés contre les Empereurs d'Orient est ainsi énoncé : « par notre bonne doctrine nous avons acquis l'empire, et les Grecs par leur mauvaise doctrine l'ont perdu. Ils ont abandonné la ville de Rome, le peuple romain et le siége de l'Empire; ils ont changé de langue, ils se sont retirés à une autre ville et parmi une autre nation. »

Mais le point le plus intéressant de cette lettre est la discussion que Louis-le-Bègue fait entamer sur le mot pras rois. Ce terme qui révèle l'existence déjà assurée d'une langue vulgaire issue d'un mélange du latin et du grec, est fortement blàmé par le secrétaire de l'Empereur d'Occident. Il se trouve ici que la chancellerie française relève une faute de style et de langue dans les actes de l'Empereur de Constantinople. Le passage est curieux Enfin quant au mot de Riga, sachez que quiconque le donne à un autre n'entend pas lui-même ce qu'il dit. Quand vous parleriez toutes les langues, comme les apôtres, ou plutôt comme les anges, vous ne pourriez dire de quelle langue est le mot riga, ni quelle dignité il signifie. Vous ne sauriez montrer qu'il signifie la même chose que le nom de Rex en latin, et si vous le vouliez montrer, il s'ensuivrait qu'il le faudrait traduire en grec par celui de Bastλes, comme il paraît par toutes les traductions de l'Ancien et du

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