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pas pour diriger les opérations de deux capitaines qui étaient des maîtres dans l'art de la guerre, mais parce que sa haute noblesse lui donnait plus de titres à représenter la personne du roi dans les traités à conclure, et dans toutes les mesures à prendre pour l'administration du pays conquis.

La campagne commença au mois de mai 1458 sous les plus heureux auspices. Rodrigue, sans se dessaisir de Fumel, où il laissa garnison, réduisit tout en son pouvoir jusqu'à la Garonne qu'il traversa victorieusement. Aussitôt le Bordelais fut parcouru dans toute sa longueur, le Médoc mis hors d'état de se défendre par la prise de Blanquefort et de Castelnau, ravagé jusqu'à la pointe que forme l'embouchure de la Gironde1'.

On dirait qu'il n'y eut de résistance nulle part. Un des meilleurs généraux de l'Angleterre, qui tint la campagne, ne trouva jamais l'occasion propice pour se mesurer avec les Rodrigais. Ou bien il les harcelait de loin, ou bien, s'il s'avançait pour les attaquer, aussitôt qu'il avait vu leur contenance, il jugeait à propos de battre en retraite.

Hernando del Pulgar a fait de l'une de ces approches un récit que l'on croirait emprunté à un roman de che

1 Monstrelet, 1. II, ch. ccxxxvII; et dans l'enquête pour la canonisation de Peyre Berland, archevêque de Bordeaux : « Fuit magna caristia et devastatio in patria et diocesi burdeg lensi per gentes armorum, et specialiter per quemdam capitaneum vocatum Rodericum de Vinhandrando, cum magno et feroci exercitu; qui applicuit ad partes burdegalenses quas crudeliter devastavit, et specialiter terram de Esparra et patriam de Medulco, sic et taliter quod gentes peribant fame. » Archives historiques de la Gironde, t. III, p. 446.

valerie. Nous le traduisons en lui conservant, autant que possible, la couleur qu'il a dans l'original.

«< Rodrigue étant dans la province de Guienne, il lui advint de se trouver un jour sur le point de combattre avec un grand capitaine d'Angleterre, qui s'appelait Talbot. Le capitaine anglais, qui savait par ouï dire les prouesses de ce chevalier, eut envie de connaître aussi sa personne, pour savoir ce que semblait un homme qui, de si petit état, s'était élevé si haut en fortune. Ils convinrent donc tous deux, par leurs poursuivants, qu'ils s'avanceraient en vue de leurs osts retranchés en bon ordre de bataille, et qu'ils se parleraient seul à seul sur le bord d'une rivière appelée Leyre. Et quand ils furent en présence, le capitaine Talbot dit : « Je dési<< rais voir ta personne, et puisqu'à présent nous avons « fait connaissance, qu'il te plaise pendant que nous nous << trouvons ensemble de manger avec moi quelques bou«chées de pain et de boire un trait de vin par-dessus; « et après sera la bataille au plaisir de Dieu et à l'aide << de Monsieur saint Georges. » Mais le capitaine Rodrigue lui répondit : « Si c'est là tout ce que tu as à me << demander, ma volonté est de n'en rien faire; car, si

nous devons en venir aux mains, je n'aurais plus la <«fureur qu'il convient avoir en bataille, ni mon épéc «<e frapperait assez fort sur les tiens, s'il me souve<< nait d'avoir partagé le pain avec toi. » Et en disant ces nots, il tourna bride et alla se remettre avec sa compagnie. Et le capitaine Talbot, quoiqu'il fût un chevalier accompli, conçut telle opinion de ces paroles à cause d'elles, comme aussi parce que sa position

que,

en ce lieu n'était pas la meilleure, il résolut de ne pas combattre; et si était-il venu là à plus grande puissance que le dit Rodrigue. 1»

1

Offrir de boire à l'ennemi, sur le point de combattre, était une coutume anglaise qui fut observée par le duc de Bedford avant la bataille de Verneuil. Son invitation fut apportée par un héraut d'armes au comte de Douglas, général en chef de l'armée française. Le colloque rapporté par Hernando del Pulgar est donc dans la vérité historique; mais ce biographe a fail erreur sur le nom du capitaine anglais qui commandait en Guienne. Ce fut le comte de Huntingdon, et non pas Talbot; car on sait que Talbot s'employa pendant toute cette année 1438 à recouvrer pour son gouvernement les frontières de la Haute-Normandie, envahies par les Français. Quant au lieu où doit être placée l'entrevue des deux capitaines, il faut le chercher sur la petite rivière qui va se jeter dans le bassin d'Arcachon après avoir traversé les Landes bordelaises. C'est là le cours d'eau qui porte le nom de Leyre.

Cependant la Gascogne, menacée sur toute l'étendue de ses côtes par la flotte espagnole et occupée à défendre ses ports grands et petits, subit avec encore moins de résistance que la Guienne l'assaut des routiers. Poton

1 Ci-après, Pièces justificatives, no 1.

2 Chronique de Berri, dans Godefroy, p. 371.

3 Monstrelet, 1. II, ch. ccxxviii.

4 Défense par le gouvernement anglais aux habitants de Biarritz, de Cap-Breton et de Saint-Jean-de-Luz, de conclure aucune trêve avec les Espagnols, sans l'autorisation du gouverneur de Bayonne (11 juillet 1438). Rymer, Pacta, fœdera, etc., t. V, p. 54.

de Xaintrailles et le sire d'Albret entrèrent par la frontière du Béarn, en faisant le dégât devant eux et en prenant tout ce qu'ils rencontrèrent de bonnes forteresses à proximité des grandes villes. Ils traversèrent ainsi le pays dans toute sa longueur, pressés d'atteindre le Bordelais; car ils y avaient pris rendez-vous avec le comte de Ribadeo, afin de tenter ensemble le coup décisif de la campagne, qui était la prise de Bordeaux.

Lorsqu'ils eurent fait leur jonction, ils s'emparèrent sans beaucoup de peine de la paroisse de Saint-Seurin qui, dans ce temps-là, était un faubourg à la distance de cinq cents mètres de la ville. Mais ce succès, en mettant l'ennemi sur le qui-vive, rendit impossible l'escalade ou toute autre surprise; et cependant il n'y a qu'une surprise qui aurait pu mettre Bordeaux en leur pouvoir. Leur armée n'avait ni canons ni le matériel nécessaire pour faire un siège dans les règles; et d'autre part, le blocus qui avait procuré la réduction d'Albi perdait son efficacité avec la Garonne, qui était là pour amener aux assiégés tout ce dont ils auraient besoin, sans que les assiégeants pussent songer à y mettre obstacle.

Il serait invraisemblable que des hommes de guerre aussi expérimentés que Xaintrailles et Rodrigue eussent concerté de si loin l'attaque de Bordeaux, s'ils ne s'étaient pas crus assurés d'avoir, le moment venu, tout ce qu'il faudrait pour mener à fin cette grande entreprise. Sans doute on leur avait promis de leur envoyer des munitions et de l'artillerie, qui n'arrivèrent point;

de sorte qu'ils n'eurent pas mieux à faire qu'à convertir le faubourg Saint-Seurin en un camp approprié au genre de manœuvres dans lequel excellaient leurs troupes. Des détachements allaient dans toutes les directions achever le ravage des lieux où il restait quelque chose à prendre.

Telle de ces courses eut l'importance d'une expédition. On en connaît une qui fut poussée jusqu'à l'Adour par le comte de Ribadeo lui-même. Un acte du roi d'Angleterre, daté du 11 juillet 1438, reconnaît les charges supportées par les habitants de Bayonne, afin de résister « à l'ennemi nommé Rodriguo », et ce sacri. fice est représenté comme d'autant plus méritoire, que dans le même temps la ville faisait assiéger les forteresses d'Arien et de Gamarthe, et qu'elle entretenait six cents hommes-d'armes sur ses vaisseaux, pour tenir tête à l'escadre espagnole'.

Ce doit être dans cette campagne que Rodrigue captura l'un des barons allemands du Rhin, de la famille de Heinsberg, qui tenait alors le redoutable château d'Ehrenbreitstein en face de Coblentz. Ce seigneur faisait ses dévotions à Compostelle pendant qu'on se battait sur la frontière franco-espagnole. On l'arrêta comme sujet d'une puissance alliée de l'Angleterre. Conduit à Burgos, il y tint prison jusqu'à ce qu'il eut trouvé le moyen de se faire échanger contre des marchands castillans arrêtés en Allemagne. Sa mauvaise fortune voulut. que la route par laquelle il entra en France, à son

1 Ci-après, Pièces justificatives, n° LX.

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