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reste l'aventure presque triviale d'un veuf inconsolable séduit par une coquine qu'un mauvais jeu du guignon doue de ressembler violemment dans ses traits à la sainte qu'il perdit. Se figure-t-on un tableau de Carrière monté en tableau vivant? Rodenbach lui-même serait l'ouvrier de ce remaniement : tant pis; déplorable le jour où lui en vint l'imagination et damnable qui la lui insinua; car il était d'àme trop artiste pour y spontanément songer! Que sera-ce à la scène? Espérons, pour sa mémoire, que ce n'y viendra point.

F. FAGES

LOUIS ERNAULT: Au Palais de Circé, poème dramatique (Librairie de l'Art Indépendant).

Une œuvre bizarre et par certains points attachante, des scènes très bien traitées, éloquentes, hautes, voisinent avec d'autres scènes très inférieures, où il eut fallu une fantaisie agile qui semble faire tout à fait défaut à M. Ernault. Au contraire, quand il peut se développer dans le tragique et dans l'oratoire, M. Ernault montre ses qualités. Souvent il s'arrondit trop, et sous prétexte de tragédies à l'antique, remonte sinon au Déluge, au moins par delà la chute d'Ilion, et les choeurs où il place ses digressions ne rachètent pas suffisamment, par leur beauté, leur longueur: il s'en faut de beaucoup. Mais Circé est assez bien campée, et il y a là un curieux essai de reconstitution de drame satyrique antique, reconstitution évidemment dont il ne faudrait point exiger grande fidélité, même dans les lignes principales.

LES POÈMES

HENRY MUCHART: Les Balcons sur la Mer (Éditions de la Plume). M. Henry Muchart est un Parnassien résolu; il le montre et il le dit; il le dit, non sans finesse, en déclarant que le vers tel qu'il le conçoit ne peut donner toutes les nuances, ni toutes les subtilités, ni ce qu'il appelle des brouillards, mais qu'il célébrera les réalités belles.

Il est évident qu'une forme plus libre que la sienne pourra donner tout ce à quoi il renonce et ce à quoi il se voue; mais enfin, c'est le droit de M. Muchart de n'envisager qu'un côté de la question. Au moins a-t-il pour lui que, s'il aime la forme parnassienne, elle le lui rend; il y est très habile ouvrier, et l'abord de son livre captive; en regardant de près, on s'aperçoit très vite que des façons semblables de dire se répètent très fréquemment, que ces rimes rares cessent d'être rares parce que redonnées, et on trouve passablement de rhétorique dans son affaire. Mais une série d'enluminures espagnoles qu'il est assez naturel de traiter en vers pleins et sonores sont très bien venues. Il y a un accent large et assez neuf dans une pièce qui s'appelle la Fête des Mulets, et qui marche bien dans son rythme sec, et enfin dans ce premier volume on voit un poète se présenter avec quelques habitudes particulières de dire et de peindre: ce qui est intéressant, encore que les choses dites ne soient pas d'une importance sans seconde.

THÉODORE MAUSER: Les Femmes de Shakespeare (A la Maison des Poètes).

On a publié autrefois des collections d'images représentant les héroïnes de Shakespeare; pour l'une de ces publications ce fut Henri Heine qui fut chargé des textes; il n'eut recours qu'à la prose pour gloser d'Ophélia, de Perdita, de Béatrice, de Desdémone. M. Théodore Mauser se passe de l'image et couvre chaque feuillet d'un sonnet où une femme et une fée shakespearienne sont chantées. M. Mauser a suivi là le conseil de M. Albert Mérat qui lui dit en vers liminaires :

Dis-nous combien elles sont belles,
Puisque ton vers en est plus beau,
Touchant la poudre de leurs ailes
Ou la cendre de leur tombeau.

Le volume contient d'autres sonnets, un Cantique des Cantiques où l'on rencontre des vers heureux, des Sonnets Évangéliques, et des sonnets décoratifs, purement, groupés sous ce titre, Sur la Cimaise, qui sont des mieux venus parmi ce volume. Comme la plupart des Parnassiens, M. Mauser met en un coin en épigraphe la strophe de Gautier sur la forme au travail rebelle, et loue ses amis de leur solidité de facture avec force comparaisons tirées de la splendeur du marbre; c'est tout de même de mots qu'il s'agit, matière supérieure au marbre à cause de sa ductilité. ALBERT BOISSIEÈRE: Aquarelles d'âme (Maison d'Art).

M. Albert Boissière s'est fait connaître récemment par de vigoureux romans réalistes. Parallèlement il aime extraire le symbole, et aussi se jouer en une grave fantaisie; les Aquarelles d'áme sont une série que le poète n'a nullement cherché à faire concordante d'impressions brèves. Encore que l'auteur prétende n'avoir point cherché à innover en technique et n'avoir jamais lancé le moindre manifeste, on voit qu'il n'a pas cru devoir lacer le demi-cothurne qui convient aux expansions pondérées et méticuleuses, en même temps qu'échevelées, et il a laissé sa fantaisie lui dicter ses modulations. Il y a de la verdeur et de l'audace dans l'expression qui se soucie beaucoup plus de revêtir l'idée avec netteté et de traduire son caractère que de collaborer à un tissu harmonieux, de nuances égales, et c'est à cette présentation stricte de la pensée non atténuée qu'est dù l'aspect d'admirable originalité de ce volume. On lira avec plaisir l'Aquarelle XIX.

Les voiles de regrets blancs piquent l'horizon bleu ;
L'embrun de l'île estompe au loin les terres
De Mystère où pèse et resplendit un ciel plus bleu.
Sur les eaux, l'effroi sourd frémit au vent du large
Et la proue monstrueuse à gueule de chimère
Fend la vie, éventre le passé et roule et vogue
Droit à l'anse embellie des terres de Mystère...

GUSTAVE KAHN

BEAUX-ARTS

OLIVIER MERSON: La Peinture française : XVII®, XVIIIe siècles Henry May).

Le xvr siècle étiole, asphyxie tous groupements particuliers: provinciaux, corporatifs et autres. En art, la « Renaissance italienne » moins Venise, et l'Espagne n'envahira que les Lettres), pétrifie les nationalités, flamande, française, allemande, que reliait harmonieusement l'Ecole bourguignonne.

Avec le xvr agonisent sous la fatalité de la centralisation, les maîtrises. et les écoles provinciales, qui finissent glorieusement par Callot, Poussin, les Lenain, Puget; tâche en vain de les soutenir, sous Colbert et Lebrun, le pouvoir central. Bienfaisant d'abord; Lebrun, ce généreux bâtard de Poussin, crée le style Louis XIV, le premier sorti d'un homme, et plus (hélas) épanouissement commun de toute une race, les artisans se déforment en ouvriers: soit reproducteurs de modèles émanés du patron. Tant que le patron fut un maitre une splendeur subsista; sous l'universel Lebrun, activité fantastique ne laissant point ouvrer aux Gobelins (son œuvre comme l'Académie de peinture) une targette dont il n'eût au moins dressé le croquis, y travaillaient des sculpteurs, graveurs, peintres, orfèvres, ébénistes, jardiniers, de la taille de Girardon, Coysevox, Caffieri, Anguier, Audran, Leclerc; Coypel, Boulogne, Lepautre, Lemoyne; Van der Meulen, Ballin, Verbeck, Boulle, Macé, Lenôtre... (etc., etc!). Bien mieux: sous Richelieu, le surintendant des bâtiments appelle le Poussin alors à Rome (1.000 écus de pension, logement du Louvre, commandes) et Louis XIII insiste par une lettre pressante, affectueuse ». L'accueil fut un triomphe, et Poussin : Je fus conduit à l'endroit qui m'avait été destiné pour ma demeure. C'est un petit palais... au milieu du jardin des Tuileries... neuf pièces en trois étages sans les appartements du bas... un grand et beau jardin rempli d'arbres fruitiers, un parterre de fleurs, trois petites fontaines, un puits, une fort belle cour, une écurie.. un vrai paradis... J'ai trouvé le premier étage rangé et meublé noblement avec toutes les provisions nécessaires, jusqu'à du bois et un tonneau de vin, vieux de deux ans... S. E. le cardinal de Richelieu m'embrassa et me prenant les mains me témoigna un grand plaisir de me voir... S. M. remplie de bonté et de politesse daigna me dire les choses les plus aimables... De retour dans ma maison on m'apporta dans une belle bourse de velours bleu 2.000 écus en or... » Toute individualité chérit les individualités. Aussi les xvII, XVIII° siècles cultivent rien qu'en peinture, au-dessus de talents décisifs (Philippe de Champagne, Simon Vouet, les Lenain, Lesueur, Mignard, Van der Meulen, les Parrocel, Santerre, Largillière, Rigaud, les De Troy, les Lemoyne, Doyen, Nattier, Coypel, Jean Jouvenet, Natoire, les Van Loo, Pater, Lancret, Oudry, Desportes, Boucher, les Saint-Aubin, Hubert-Robert, Joseph Vernet, Fragonard, Greuze, Vien, Isabey, Girodet, Boilly, etc.)

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ces énormes solitaires: Poussin, Claude Gellée, Watteau, QuentinLatour, Chardin. Des peintres de campagne, les Lenain: brevetés peintres du Roi, et académiciens dès la fondation.

Mais rares les individualités clairvoyantes : Lebrun, Colbert, Louis XIV mourront; tout s'étrécit et s'affaiblit; Boucher exorcise Michel-Ange et Raphaël (voir Virgile Josz: Fragonard), et Fragonard s'épeure d'eux; c'est pis. Et David immine.

VIRGILE JOSZ Fragonard (Mercure de France).

(Les Goncourt à qui nous devons tant, s'achèvent, sous le survivant qui survécut trop, en vieille fille numismate. Virgile Josz les continue sans les suivre. Il s'introduit, en voisin, dans la vie bonnement familière de l'artiste et de tous ceux qu'il pouvait voir: et nous à sa suite. Soustitre de son livre, Mœurs du XVIIIe siècle: il sait ce qu'il fait, il nous montre comment ça se passait en ce temps-là.) En ce temps-là encore, hauteur, servilité, ignorance, envie, sentiments si démocrates, existaient peu entre élèves et maîtres, gens en place et artistes, public et fonctionnaires. L'autorité prétendait développer l'individualité; le grand Coypel, l'illustre Van Loo ouvrent dans un tel but aux jeunes une académie libre: et le roi paye. Le Leygues d'alors songe aux pensionnaires de Rome, et pour les exhorter << à ne regarder des grands maîtres que ce qui caractérise en eux une imitation vraie de la Nature... à prendre confiance en leur talent... à choyer ces tons frais, hasardés par l'enthousiasme. »

<< Tout est fini, tout est fondu » est reproche sous sa plume! Leur directeur répond « qu'il faut laisser à leur génie sa liberté » Favorites, grands seigneurs, financiers, dans des palais qui sont des merveilles d'art, se forment eux-mêmes, à grands frais, des collections de vrais vieux maîtres, de vrais jeunes dont ils découvrent la maîtrise. Le roi loge au Louvre 26 ménages d'artistes et d'artisans... 89-93 éclate, et l'avènement du peuple doue la centralisation d'une acception collectiviste et autoritaire; l'individu n'est plus un homme mais un chiffre; le chef n'est plus un homme mais un principe, une abstraction de la société Robespierre, Napoléon, David: Notion nouvelle de « l'Art et sa destination sociale », selon que spécifiera Proudhon : quand celui-ci fixera le bonheur du pays au jour où pousseront enfin les choux dans les Champs-Elysées, il ne fait que donner l'autorité d'un principe à l'acte par quoi Robespierre sème des « parmentières» au jardin des Tuileries: le salus populi veut de ces options; il chasse du Louvre les artistes qu'il remplace par les spéculateurs et par un édicule d'utilité publique aussi, et c'est à Saint-Lazare qu'il fait voisiner Roucher, Chénier, HubertRobert; il dépouille Fragonard, qui, fugitif, meurt de misère ou de la douleur de voir ses bonnes toiles offertes pour 8 livres, et refusées; il met au creuset d'un coup 800 médailles antiques, c'est qu'on a besoin d'argent; il brise les figures de Germain Pilon. Aujourd'hui il les restaure la séance continue.

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LEON ROSENTHAL : La Peinture Romantique, 1815-1830 (IIenry May).

David, qui est à Lebrun ce qu'à Louis XIV Robespierre, guillotine l'ancien régime en art; plus favorisé que Robespierre et Napoléon, sa dictature lui survit ; l'Académie, momification des maîtrises, s'ossifie l'Ecole, impersonnelle : la Grande-Armée; Code: autocratie du pseudo art hellène qui n'est que gréco-romain (le vrai ne se révèle qu'en 1816) et des faux maîtres italiens, Carrache, le Guide; le canon esthétique: Winckelmann-Laocoon-Lessing-Quatremère de Quincy; le beau idéal ; nature morte, paysage, vie intime, histoire contemporaine ou moderne, christianisme, pittoresque, couleurs excommuniés, avec le « dévergondage» de Rubens et Watteau; aussi bien le Bois sacré..., le Satyre, le Paganisme enfin rien que l'allégorie, une inouïe histoire ancienne, la mythologie; bouffis et rotuliens! grisaille calquant le bas-relief, et sous l'égalitaire clair-obscur, l'intérêt plastique murant l'intérêt dramatique et le pictural; mais mainte visée philosophique, morale, civique: théâtral et rhéteur, art à destination sociale, qui pérore au peuple; d'ailleurs héroïque. Or la révolte sourdit; Napoléon, guerrier faste vestiaire, batailles par tout l'univers, impose l'actualité, la foule, le mouvement multicolore, le portrait, le cheval, l'ethnogéographie : Isabey, Gros, aïeul des coloristes, David même; Châteaubriand, Goethe, Schlegel, Mme de Staël, Raynouard, Michaud, W. Scott insufflent christianisme, moyen-âge, exotisme (immiscé dès le xvII), dont on pille d'abord le bric-a-brac. Le Louvre, devenu un moment musée de tous les musées, dévoile tous les vrais maîtres... Surgissent, de concert, fraternels eût-on cru, non rien que parallèles : - Produit du tumultueux et magnifique insubordonné Gros, et de l'insoumis Prudhon (ce Chénier qui refleurira en Carrière), un insurgé épique, furieux de réel, mais de réel condensé, et frère de Rude: Géricault, d'où sortiront aussi Barye, Daumier, Degas, Forain, tous les statuaires de la vie, d'une vie outrée jusqu'à l'angoisse ou jusqu'au rêve ; Delacroix, Bonington, Decamps: les vrais Romantiques; et, Ingres, impénétrable encore. Bataille, mêlée. 1819. Géricault: le Radeau de la Méduse, Ingres : l'Angélique; 1822, Delacroix: Dante aux Enfers, et (1824) Les Massacres de Scio; 1825, Vou de Louis XIII, Mort du Vinci, Saint-Symphorien: Ingres, par tous les camps exalté; or (1823 à 1828) David et Girodet, Prudhon, Géricault, Bonington meurent : devant l'Ecole décapitée, Ingres reste seul: Delacroix c'est l'Antéchrist. 1827, Sardanapale, le Christ aux Oliviers, voient Delacroix plus bafoué que jamais, et l'Apothéose d'Homère est celle d'Ingres. Toutes les grenouilles implorant un roi se ruent à lui au faux grec David le faux Raphaël, au bourgeois héroïque le bourgeois étroitement probe et soigneux (1), au beau idéal un autre beau idéal, au patron le patron,

(1) Se reporter à un essai sur Ingres (La revue blanche du 15 juin 1901).

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