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recevait en Épire un culte public1, avait pu figurer comme acteur principal d'une scène de nécy omantie, sur le territoire de Cumes, ainsi que nous le voyons dans le poëme d'Homère. Ce même territoire de Cumes nous offre, dans le nom du lac Aornos, devenu l'Avernus des Latins, une autre homonymie dérivée de l'Épire2, qui ne peut non plus ne pas être puisée à ces antiques sources d'une histoire qui avait pris, dans la mémoire des peuples, la couleur de la poésie sans perdre son caractère de réalité positive. Il en est de même de la légende de la fameuse sibylle, dont le nom d'Amalthéa, porté à Cumes comme en Épire3, appartient sans nul doute à tout cet ensemble de fables locales, patrimoine commun de l'Épire et de la Campanie, dont le fond historique a été récemment mis en lumière par un savant allemand, qui joignait à une érudition immense un rare esprit de combinaison, Klausen. Je ne puis donc que m'en référer aux résultats des recherches du docte auteur d'Æneas et des Pénates, pour tout ce qui touche aux origines pélasgiques de Cumes, sans m'étendre davantage sur ce sujet, que je ne pouvais me dispenser de rappeler ici en peu de mots, à cause de l'occasion qui me sera fournie par plus d'un des monuments sortis du sol de Cumes, de m'appuyer sur des considérations de cet ordre. Je n'ajouterai plus qu'un mot à cet égard, c'est que Festus cite, à propos de l'origine pélasgique des Aborigènes de l'Italie, un ancien auteur d'une histoire de Cumes: Historie Cumanæ compositor 5, qu'il ne nomme pas", mais qui, à en juger par cette citation même, devait s'être occupé des origines pélasgiques de Cumes; et c'est là un témoignage précieux, ignoré ou négligé par Niebuhr, qui répond à l'assertion si hasardée, que cette ville n'avait point de livres historiques.

J'ai dû me borner à cet exposé sommaire des traditions qui concernent les origines pélasgiques de Cumes antérieures à l'établissement des colonies helléniques des Chalcidiens de l'Eubée et des Cuméens de l'Éolide, sans compliquer cette question d'hypothèses qui tendraient à reconnaître, soit des Phéniciens, soit des Egyptiens, pour les premiers

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1 Klausen, Æneas und die Penaten, t. II, p. 1133, 2287). — Plin. IV: Thesproti... locus Aornos, et pestifera avibus exhalatio. — ' Les témoignages classiques à cet égard ont été rapportés par Klausen, Eneas und die Penaten, t. I, 365), 432), 433), et t. II, 2283 a). Eneas und die Penaten, t. II, p. 1131-1135.- Fest. v. Romam, t. I, p. 224, ed. Lindemann. Klausen présumait que cet historien, que Festus n'a pas nommé, pouvait être l'Hyperochus, auteur des Kupaixá, cités par Athénée, 1. XII, p. 528, le même auteur dont Pausanias, X, XII, 4, fait mention comme d'un citoyen de Cumes, àvýp Kvμaños, qui avait écrit sur la sibylle de Cumes; et ces deux témoignages concourent bien à prouver, contre l'opinion de Niebuhr, que Cumes posséda des histoires nationales, ouvrages de ses citoyens.

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habitants de Cumes. Mais j'avoue que je n'accorde pas un caractère sérieux à ces hypothèses, qui ont pour auteurs des écrivains napolitains, placés sous l'empire de ces illusions d'un patriotisme mal éclairé, dont on a tant abusé de tout temps et même du nôtre, dans des questions qui doivent rester purement scientifiques. L'un de ces écrivains, de Atellis', n'hésite pas à donner des Phéniciens pour fondateurs à Cumes, sur la foi d'une fausse leçon d'un texte de Strabon2, qui lui a fait admettre dans l'Eubée des Arabes venus à la suite de Cadmus et passés de là en Italie. Mais une opinion qui n'est appuyée que sur une base aussi ruineuse tombe d'elle-même avec la leçon fausse rectifiée par la critique; et le fait d'une influence phénicienne, prouvée par des fragments d'anciennes poteries recueillies sur le site de la nécropole de Cumes3, se justifie si facilement par la notion d'un établissement pélasgique sur ce territoire, qu'on est dispensé de recourir à des suppositions privées de tout fondement historique. Quant à l'opinion d'une colonie égyptienne établie à Cumes, qui a pour auteur un autre écrivain napolitain, Cam. Minieri Riccio, elle ne se fonde que sur le fait d'une danse de trois squelettes, représentée en bas-relief dans un tombeau de Cumes", où cet écrivain a vu un monument égyptien, contre toute évidence, quand il est reconnu par tous les antiquaires que ce bas-relief, aussi bien que les deux autres qui l'accompagnaient, sur les deux parois latérales du même tombeau, sont du pur style grec. Et quant au second monument, le collier composé d'objets d'antiquité égyptienne trouvé, dans un autre tombeau de Cumes, sur un squelette de femme, et qui est encore allégué par l'auteur à l'appui de son hypothèse, ce collier prouve bien que les superstitions égyptiennes, qui avaient fait invasion dans le monde romain à partir du r siècle de notre ère, avaient pénétré à Cumes comme en d'autres lieux de la Campanie; mais il est trop contraire à toutes les notions de la science de voir dans des objets égyptiens d'un travail romain, provenant d'un tombeau romain, la preuve d'une colonie égyptienne établie à Gumes avant les temps historiques, pour qu'une pareille idée mérite d'être sérieusement réfutée.

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P.

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1 Principj della civil. de' selvaggi d'Italia, t. II, p. 364. — Strab. 1. X, p. 446. -3 Tels que celui que j'ai publié dans mon Mémoire sur l'Hercule assyrien, pl. IX, n° 9; voy. p. 379, 4). Cenni storici sulla distrutta città di Cuma, Napoli, 1846, Je reviendrai, dans mon prochain article, sur ce monument, l'un des plus curieux qui aient été trouvés, de nos jours, dans les tombeaux de Cumes. Voy. dans les Monum. ined. di antichità (Napoli, 1820, 4°) la description qui a été donnée de ce collier, p. 17-34, accompagnée d'une planche, tav. III. Cette dissertation de M. Seminola a été reproduite dans une publication particulière, intitulée : Illustrazione di una collana egizia, Napoli, 1844, in-8°.

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Après ce petit nombre d'éclaircissements historiques, dont j'avais besoin de faire précéder le compte que je me propose de rendre des dernières fouilles de Cumes, j'aborde le champ de ces découvertes, qui m'offrira plus d'un sujet de considérations neuves et curieuses. Rien n'est plus connu et plus familier aux nombreux voyageurs qui visitent le royaume de Naples que le site de Cumes, resté, depuis des siècles, entièrement inhabité, à quelques heures seulement de distance de la capitale. En s'y rendant par la voie de terre ordinaire, qui est celle de Pouzzoles, on arrive bientôt à une superbe ruine romaine, qui s'appelle vulgairement l'Arco felice, et au voisinage de laquelle il fut découvert, il y a près d'une trentaine d'années, un grand tombeau romain, au centre duquel était placé un superbe sarcophage de marbre blanc, orné, sur le devant, d'un bas-relief de la fable de Pélops et d'OEnomaüs. Je me trouvais alors à Naples, où je fus bientôt averti de cette découverte par la rumeur publique. Je visitai ce tombeau, et j'y fis dessiner le sarcophage qui s'y voyait encore, avec l'intention de le publier dans la seconde partie de mes Monuments inédits; mais des circonstances, dont il est inutile de rendre compte, m'ayant fait renoncer à cette publication, c'est, du moins, avec satisfaction que j'ai vu le beau bas-relief de Pélops et d'ŒEnomaüs, resté inédit depuis tant d'années, publié tout récemment dans le Bulletino archeologico Napolitano 1. Je reviens, après cette courte digression, à la route de Cumes et à l'Arco felice.

Cet arc, de construction romaine en briques, orné, dans sa façade, dirigée vers Pouzzoles, de plusieurs rangs de niches, certainement remplies autrefois de statues, a donné lieu aux suppositions les plus étranges, même de la part d'antiquaires instruits. L'un d'eux, notamment, le P. Paoli, croyait que cet arc avait été construit pour servir de substruction au célèbre temple d'Apollon de Cumes; idée si bizarre et si contraire à tous les témoignages antiques, qu'il suffit de l'énoncer pour la réfuter. D'autres y ont vu un aqueduc, sans la moindre apparence de raison; et d'Ancora, qui n'ose pas prendre sur lui de prononcer entre ces diverses opinions, se borne à dire que c'était probable. ment une porte de la ville 2; ce qui n'est pas possible, d'après la distance où l'Arco felice se trouve du site de Cumes, et d'après toutes les circonstances du terrain, qui ne permettent pas d'y asseoir une ville par la pensée, et qui n'en offrent pas le moindre vestige à la vue. Le fait

'Bullet. archeol. napolet. nuova serie, t. II, tav. 1, 2. L'explication de ce bas-relief n'a pas encore paru; mais elle ne saurait manquer d'être digne du savoir et de la critique de M. Minervini, de qui on est en droit de l'attendre. — 1 Guida ragionata per le antichità di Pozzuoli, etc. (Napoli 1792, in-8°), p. 121.

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est que l'Arco felice fut construit pour soutenir les deux côtés d'une montagne que les Romains avaient dû percer, pour y faire passer la voie qui conduisait de Pouzzoles à Cumes. Cette montagne, ainsi taillée, ne pouvait rester dans sa nudité naturelle, sans blesser le regard et sans déshonorer la route. L'art et la puissance des Romains firent de ce passage un arc magnifique, dont le faîte atteignait au haut de la montagne, de manière à offrir encore, à cette hauteur, une voie de communication. En descendant vers Cumes, après avoir passé l'Arco felice, on trouve, à la distance de deux cent vingt palmes, une grotte, qui conduit par une pente douce, en se repliant sur elle-même, jusqu'à la sommité de l'arc. Ce n'était pas là, assurément, comme on l'a cru, la grotte de la sibylle; c'était un de ces nombreux passages, pratiqués dans le cœur des montagnes, comme le site de Ĉumes en offre tant d'exemples, dont quelques-uns peuvent bien remonter jusqu'à la haute antiquité grecque; d'autres, tels que la fameuse grotte du Pausilippe, près de Naples, appartiennent à l'époque romaine.

La route qui passait sous l'Arco felice, et qui était la via Domitiana, a conservé quelques restes de son pavé antique, en quartiers irréguliers de cette roche volcanique, qui forment généralement, comme l'on sait, le pavé des voies romaines. En continuant de descendre par cette route jusqu'au site de Cumes, pendant un espace d'un demi-mille, on chemine presque constamment sur cette voie, restée à découvert avec son pavé, et l'on arrive ainsi au mur d'enceinte de la ville de Cames. Ce mur, construit de magnifiques assises de pierres taillées carrément et assemblées sans ciment, du plus bel appareil hellénique, appartient certainement à la cité grecque, aussi bien que la porte qui y était pratiquée, et dont il subsiste encore la partie inférieure des deux jambages, ornée de moulures du haut style grec. C'est donc là une antiquité grecque qu'on ne saurait voir sans un profond intérêt, quand on songe à la haute importance historique de la ville dont cette porte formait l'entrée, et quand on réfléchit à la longue suite de siècles qui a passé sur cette ruine. A partir de ce point, on se trouve, sans le moindre doute, sur le site même de Cumes, et l'on n'a plus qu'à se rendre compte, dans une contemplation pleine d'un douloureux intérêt, de l'aspect désolé qu'il offre dans son état actuel.

Le terrain, converti tout entier en vignobles, n'offre, à l'extérieur, presque aucune apparence de restes de constructions antiques; mais il est semé de petites éminences, qui sont, à n'en pouvoir douter, autant de monceaux de décombres, où se cachent les misérables débris de l'antique splendeur de Cumes. Le sol de cette ville, naturellement iné

gal et encore exhaussé en beaucoup d'endroits par cette circonstance, s'élève insensiblement dans la direction du midi au nord jusqu'au faîte d'une montagne, taillée à pic des trois côtés du nord, du couchant et du levant, et seulement accessible, du côté du midi, par une pente encore très-roide. Cette montagne, qui porte encore aujourd'hui le nom de Rocca di Cuma, était l'acropole de Cumes, le siége de l'habitation de la population primitive, devenu plus tard un lieu de refuge pour les habitants, quand cette population, accrue par le temps, s'était répandue sur les pentes de la montagne, et avait fini par occuper la plaine qu'elle protége jusqu'à la mer. Cette mer, que les poëtes latins appelaient Euboïque1, en souvenir de la colonie chalcidienne, bat de ses flots soulevés le pied de la montagne, au nord et au couchant; et c'était de cette circonstance que l'esprit subtil des anciens avait tiré l'étymologie du nom de Cumes, en le dérivant du mot grec xúpaτa, flots; mais j'ai déjà dit ce que je pense de cette étymologie, qui n'a pas la moindre vraisemblance, bien que rapportée par le grave Strabon 2.

C'était sur le haut de cette montagne, absolument inaccessible de trois côtés, qu'existait ce temple si célèbre d'Apollon, que la tradition faisait remonter jusqu'à l'époque mythique de Dédale, et dont Virgile nous donne une idée si magnifique, en le représentant enrichi d'or, aurea tecta, avec une porte dont les battants métalliques étaient ornés de bas-reliefs d'ivoire in foribus letum Androgei3, Toute cette magnificence, qui ne pouvait certainement convenir au siècle de Dédale, mais qui avait bien pu appartenir aux beaux temps de l'opulence de Cames, sans que Virgile fût taxé pour cela d'anachronisme, n'existe plus, depuis bien des siècles, que dans les admirables vers du grand poëte. Mais on n'en recherche qu'avec plus d'intérêt les faibles vestiges qui peuvent s'être conservés jusqu'à nous de ce temple d'Apollon, si ancien, si richement décoré, qui fut, à cette place même où l'on parvient aujourd'hui sans obstacle, mais non pas sans quelque fatigue, un des plus beaux sanctuaires de l'antiquité grecque. Le site qu'il occupa, et qui fut nécessairement le plateau de la montagne, est si étroit, qu'on a peine à se rendre compte des expressions employées par Virgile pour le désigner, immania templa; et c'est jà une particularité qui n'a pas peu embarrassé les antiquaires; mais, à mon avis, Virgile, qui se sert aussi du même mot, pour désigner l'oracle de la sibylle: Horrendaque procul secreta sibyllæ, antrum immane petit, Virgile comprenait, dans la notion du temple, celle des galeries souterraines, qui établissaient une Virg. Æneid. VI, 2 : « Et tandem Euboicis Cumarum adlabitur oris. » — * Strab. Virgil. Æneid. 1. VI, v. 20. Virgil. Æneid. 1. VI, v. 10-1 1.

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1. V, P. 243.

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