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triompher de sa faiblesse physique. Malgré ses quatre-vingt-seize ans, sa figure était à peine ridée, et un sourire se jouait toujours sur sa bouche. Elle marchait droite dans son appartement, et parfois seulement, quand elle ne se croyait pas observée, elle s'affaissait sur un meuble. Quand sa femme de chambre accourait pour la soutenir, elle se défendait en disant : « Il faut que le corps obéisse au commandement de l'esprit. >>

C'était une maxime vraiment gothienne. Ulrique de Levetzow mourut le 13 novembre 1899, la dernière survivante des femmes qui ont été aimées de Goethe et qui lui font cortège dans l'immortalité.

LE FAUST » DE GOETHE

SES ORIGINES ET SES FORMES SUCCESSIVES

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CHILLER disait, dans une de ses épigrammes, à propos de Kant et de ses interprètes : « Que de mendiants un seul riche peut nourrir! Quand les rois bâtissent, les charretiers ont à faire. » Goethe n'a pas nourri moins de critiques indigents que Kant, et les charretiers n'ont pas chômé pendant le long espace de temps qu'a duré la publication de Faust. Lui-même éprouvait un malin plaisir à jeler aux commentateurs «< un os à ronger », et il se plaisait même à intriguer ses amis à propos des mystères plus ou moins transparents que contenait son poème. Eckermann lui disait un jour : « Oui, il y a là de quoi exercer la pensée, et un peu d'érudition y est de temps en temps nécessaire. Je suis content, par exemple, d'avoir lu le petit livre de Schelling sur les divinités de Samothrace et de savoir à quoi vous faites allusion dans le fameux passage de la Nuit classique de Walpurgis. » Et Goethe lui répondait en riant : « J'ai toujours trouvé qu'il était bon de savoir quelque chose 1. »

1. Conversations d'Eckermann, 17 février 1831.

Non seulement Schelling, mais Fichte et surtout Hegel ont été mis à contribution pour l'explication du Faust, et Schopenhauer, le dernier de la grande lignée des philosophes allemands, n'aurait pas manqué d'être invoqué à son tour, si le système de l'interprétation philosophique n'avait déjà été abandonné à l'époque où le pessimisme s'empara de l'attention publique1. On sentait bien que le Faust n'était pas un poème comme un autre, qu'il soulevait à chaque page les plus hauts problèmes de la vie et du monde : réfléchir à ces problèmes, recueillir chemin faisant les mots caractéristiques dont le poète les éclairait, ajouter ainsi un intérêt de plus à l'intérêt dramatique du sujet, c'eût été une tâche élevée, captivante, conforme à l'esprit et au but d'une grande œuvre littéraire. Mais cela ne suffisait pas on voulait systématiser la pensée du poète, la réduire en formule, ramener à un plan uniforme, nettement conçu dès le début et rigoureusement suivi jusqu'à la fin, des fragments qui avaient mis soixante ans à se grouper, à se compléter, et qui avaient été rédigés sous les influences les plus diverses.

Aujourd'hui, l'interprétation philosophique a fait place à l'interprétation historique. Il ne s'agit plus

1. Un des premiers disciples de Schopenhauer, David Asher, professeur à l'Ecole de commerce de Leipzig, essaya cependant d'expliquer le Faust au moyen de la doctrine pessimiste (Arthur Schopenhauer als Interpret des Gotheschen Faust, Leipzig, 1899).

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