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peuplée d'Egyptiens. Ego imperitus, ego ignarus nesciens Ægyptiacam scholam in palatio Davidicæ versari gloriæ. Ego abiens Latinos ibi dimisi. Nescio quis subintroduxit Ægyptios. » Ce mot d'Egyptien est inju– rieux. Il rappelle aux Irlandais qu'ils avaient longtemps prétendu soutenir le cycle pascal d'Alexandrie, contre l'usage de Rome et de tout l'Occident. C'est là l'opinion d'Ozanam (1). Il faut y ajouter aussi celle de M. Hauréau : "Cette classification est à la fois ingénieuse et précise. La ville savante de l'Egypte, c'était Alexandrie, et l'hérésie des Scots au sujet de la Pâque, leur morgue sophistique, leur méthode, leurs doctrines, en un mot tout leur hellénisme, était bien la tradition Alexandrine (2).» En appelant les Irlandais Egyptiens, Alcuin leur a donné leur vrai nom. Leur patrie littéraire, c'est l'Egypte. Ce sont des Egyptiens introduits par fraude dans une école de fondation latine. Et l'Anglo-Saxon, dans la ferveur de son zèle pour la cause des Latins, demande qu'ils en soient chassés (3). »

Ozanam voudrait bien établir que Rome à cette même époque, ne laissait baisser dans les terres soumises à son autorité ni la science théologique, ni la poésie. Il remarque en ce qui nous intéresse, que la persécution des Iconoclastes avait peuplé Rome de moines grecs, qu'ils y venaient abriter leurs livres et leurs images; que les papes hospitaliers leur livrèrent les églises de Sainte-Marie in cosmedin(*), de Saint-George au Vélabre, de Saint-Saba, de Saint-Apollinaire, des Saints Etienne et Sylvestre, que la langue de Saint Jean Chrysostome propagée par tant de colonies, conservait ses droits en présence de la liturgie latine, que, le jour de Pâques, (1) Ibid. p. 512.

(2) Ibid. p. 26. (3) Ibid. p. 26.

(4) Ce nom de Cosmedin est celui d'un quartier élégant de l'ancienne Constantinople.

après l'office du soir, quand les échansons versaient le vin d'honneur au pape sous le portique de Saint-Venance, pendant que la coupe passait de main en main, les chantres entonnaient un chant grec; que Paul Ier tirait de ses archives, pour le roi Pépin-le-Bref, un volume d'Aristote: tous ces faits sont vrais, mais pourtant nulle part, on ne voit en Occident une culture hellénique pareille à celle des Irlandais.

Rome demeurait fidèle à son origine, à ses traditions, à son rôle; elle était la capitale du monde latin. Tant qu'elle avait fleuri dans la victoire et dans l'opulence, elle avait pu se donner le luxe d'une éducation étrangère et le grec lui avait prêté sa parure.Obligée maintenant de se défendre, ruinée par les invasions des barbares, amoindrie d'abord par la translation de l'Empire, il était naturel qu'elle eût renoncé à ces études, délassements ordinaires de la richesse et de la paix. Ce n'est donc point faire un reproche à Rome que d'accuser chez elle une décadence de la science grecque. Ce serait fausser l'histoire que de prétendre le contraire. Sans doute jamais Rome n'a proscrit le savoir, jamais elle n'a sciemment et volontairement répudié les livres grecs; mais ce serait lui donner un éloge qu'elle ne mérite pas que de prétendre qu'elle les a toujours feuilletés avec ardeur, qu'elle leur a accordé toujours une attention bienveillante. C'est là ce que semblerait croire Ozanam dans son zèle pieux.

Il est bien plus dans la vérité lorsqu'il dit, que déjà dans l'Espagne on s'était entendu pour laisser de côté toute littérature profane, et qu'à Rome l'on suivait cet exemple. Ajoutez que des docteurs, des saints de l'église d'Occident, déclamaient avec une vivacité souvent éloquente contre Virgile, Tite-Live ou Cicéron. Saint Ouen, par exemple, cite au tribunal du Christ tous les poètes, tous les orateurs, les histo

riens, les philosophes du paganisme; il les défie de rien apprendre à des chrétiens: «quid enim legentibus nobis diversa grammaticorum argumenta proficiunt, quum videantur subvertere potius quam ædificare» ('). Il va même plus loin, il les appelle en propres termes des scélérats (*), « Sceleratorum neniæ poetarum.

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Au siècle où les Irlandais donnaient tant de preuves d'une instruction formée par l'étude des Grecs, nous pouvons voir dans l'Occident combien les notions se brouillent et prennent chaque jour l'inconsistance d'un souvenir qui s'efface. Saint Ouen, dont nous venons de parler, cite encore les noms de Pythagore, de Socrate, de Platon, d'Aristote, d'Homère, de Ménandre, d'Hérodote; il fait entrer dans la même énumération Lysias, Gracchus, Démosthène, Tullius, Horace, Solon, Varron, Démocrite, Plaute et Cicéron. Tout cet étalage d'érudition ne doit pas nous imposer; l'ignorance s'y révèle, puisque Tullius et Cicéron sont désignés comme deux auteurs différents.

L'auteur de la vie de Saint Bavon commet encore une plus lourde méprise et trahit bien au VIIe siècle l'abandon des études grecques, quand il s'exprime ainsi:

Nous savons qu'Athènes a été la mère de tous les arts libéraux, de toutes les doctrines humaines. Là fleurit anciennement la langue latine sous l'autorité de Pisistrate et de là découlent tous les arts libéraux que nous avons en partage. » L'auteur après cela pouvait se dispenser d'écrire: « Mais ni l'Hespérie, ni Rome, ni l'Ausonie (qu'il écrit Ausonius) ne m'ont possédé, engendré, nourri; Tityre ne m'a pas enseigné, je ne me suis point appuyé sur les arguments d'Aristote, de Varron, de Démocrite, de Démosthène et des autres

(1) Vita S. Eligii ap. d'Achery spicilegium, prologus, cité par Ozanam, p. 467. (2) Ampère. t. II, p. 387.

docteurs ('). » Il est inutile après cette citation de chercher à montrer davantage quelle distance sépare le monde latin du monde grec.

XVI.

C'est de la Gaule que nous sommes partis pour visiter au Ve siècle les écoles de l'Irlande et de l'Angleterre, nous y revenons maintenant. Nous la trouvons envahie par les barbares. Les Francs, les Goths, les Visigoths, et les Burgondes s'y sont établis. Ils ont porté de toutes parts la dévastation et la ruine. Pour les contemporains il semblait que le monde fût près de mourir. Salvien, qui a composé sa Cité de Dieu vers 440, nous a laissé le tableau de cette société remuée jusque dans ses plus profondes entrailles. Il a peint ces peuples Goths, Alains, Saxons, Francs, Gépides, Huns, Allemands, perfides, menteurs, cruels, infidèles, parjures, inhumains, impudiques, trompeurs, ivrognes, amateurs du pillage, rachetant mal tous ces vices par quelques impressions de chasteté et d'humanité. Il fait voir les veuves, les orphelins, les moines exposés à la tyrannie et à la violence de toutes les personnes un peu puissantes, des villes saccagées jusqu'à trois fois, comme Trèves, les peuples captifs et réduits à une extrême pauvreté (2). Et pourtant au milieu de ces infortunes, qui semblaient devoir suspendre la vie, se continuait une société qui tâchait d'être élégante et polie. Toute frivolité n'avait pas disparu. Quoiqu'il n'y eût plus de spectacles dans toutes les villes où l'on avait l'habitude

(1) Ampère, p. 388.

(2) Voir dans Tillemont, t. VI des Empereurs. art. XVIII. p. 225.

d'en représenter, parce qu'elles étaient ou ruinées ou possédées par les barbares, ou parce que la misère empêchait de trouver l'argent nécessaire pour ces divertissements, on en représentait toujours dans les principales villes, comme à Rome, comme à Ravenne, et, lorsque ceux qui n'en avaient point dans leur ville se trouvaient dans celles où il y en avait, ils prenaient part avec la même passion que les autres à ces plaisirs, Les habitants de Trèves, au milieu des ruines de leur cité, trois fois saccagée, dans l'attente d'un quatrième désastre, demandaient les spectacles de l'amphithéâtre et du cirque.

Les études se poursuivaient donc troublées et précaires. Jamais pourtant il n'y eut plus de beaux esprits, jamais on ne déploya dans les vers plus de subtilité, de finesse et de puérile élégance. On lisait Virgile, Ovide et Térence. « On néglige Paul et Salomon, dit Marius Victor, pour aller applaudir ce que Virgile a chanté de Didon, Ovide de Corinne, pour la lyre d'Horace, la scène de Térence. » Nous n'avons pas à refaire le tableau de la littérature latine à cette époque. Sidoine Apollinaire, Fortunatus, quelle que soit leur instruction, quoiqu'ils semblent ne pas ignorer le grec, Sidoine surtout, ne nous offrent pas de traces directes de leur communication avec les Grecs.

Nous notons avec plus de curiosité les écrits de Paulin. Il semblait destiné à écrire en grec : il compose ses poèmes en latin; c'est à peine si le titre de l'un d'eux, Eucharisticon, rappelle sa première éducation. En effet, il était né à Pella, dans la Macédoine. A trois ans, il fut amené à Bordeaux où vivait encore son grand-père, Ausone. Le rhéteur gaulois, Ausone ne s'appliqua pas à étouffer l'hellénisme dans son petit-fils. Il avait à peine cinq ans qu'on lui fit étudier la philosophie de Socrate et la poésie d'Ho

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