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Mais Louis XVI, comme le remarquera souvent M. de Vaublanc dans ses Mémoires, n'eut qu'une passion : l'amour du bien public. Il croyait retrouver le même sentiment dans tous les cœurs. Louis XVI! Que son nom réveille de souvenirs douloureux et commande de pieux égards! Tant de malheurs s'attachent à son règne et tant d'intérêt à ses malheurs qu'il faut en accuser surtout le concours des plus fatales circonstances. Jamais l'inexpérience d'un jeune prince ne fut entourée de plus de périls. Un père et ses sages conseils, une mère et sa tendresse manquèrent à son adolescence. Il n'eut pas même de gouverneurs qui songeassent à l'élever pour son rang. Le vieillard voluptueux qui le voyait, après lui, sur les premières marches du trône ne prit aucun souci de lui en faire enseigner les devoirs. Peut-être, dans son égoïsme ombrageux, prétendait-il que son successeur le fit regretter. C'était aller loin! Eut-il, en effet, ce cruel espoir? On peut du moins, en parlant de Louis XVI, mettre au nombre de ses malheurs celui de n'avoir appris de personne, quand il en était temps encore, à voir, à penser, parler, agir, ordonner, punir ou pardonner en roi.

Un historien a dit : « Jamais Louis XV n'a permis que << son petit-fils fût initié aux affaires; il y est donc resté «< complétement étranger. Il a l'esprit juste. Il aperçoit << la difficulté et le remède; mais, comme ses lumières << manquent d'étendue et son caractère de force, il ne << saura point persévérer dans les mesures que ses plus << sages conseillers lui suggèrent. Trop d'incertitude dans « la marche du gouvernement fera succéder les murmu«res à la reconnaissance. Cependant aucun roi ne semble « plus digne de l'amour de son peuple; çar aucun ne l'a

-a.

<< aimé davantage. L'exemple de toutes les vertus des«< cend du trône. Il est plus moral que le temps où il vit; « et ses contemporains, sa cour à leur tête, s'emparent de « ses défauts pour ridiculiser ses vertus et secouer le freins « qu'elle semblent leur imposer. Il règne sur la France, « mais sans gouverner les opinions, sans modifier les "mœurs, sans diriger les esprits; roi débonnaire qui, dans << un autre siècle, eût passé pour un des meilleurs mo<< narques dont l'histoire garde la mémoire (1). »

le

De ce portrait, où l'affection d'un serviteur fidèle et dévoué n'ôte rien à l'impartialité de l'historien, de ce portrait, dont M. de Vaublanc, par ses témoignages et ses regrets, va constater la ressemblance, nous n'extrairons que ce peu de paroles : Il est plus moral que son temps. Ces mots sont vrais. Au milieu de la corruption brillante, hardie, spirituelle, des dernières années de Louis XV, jeune couple qui devait lui succéder paraît, aux regards surpris, comme l'image retrouvée d'un autre âge. La jeune Dauphine, devenue reine, n'aima, du rang suprême, que le pouvoir de secourir plus souvent l'indigence. Qu'elle était heureuse d'oublier la grandeur dans un cercle intime, et d'échapper aux galeries dorées de Versailles, à Trianon, sous de frais ombrages! Le poëte qui louait alors sa beauté, sa jeunesse, et qui resta depuis si fidèle à son infortune, Delille disait, en parlant de Trianon :

Pour elle il s'embellit et s'embellit par elle.

On lui fit un crime des sentiments affectueux de son cœur! un bien plus grand crime encore, vive, naturelle,

(1) M. le comte de Tocqueville.

aimable, de se soustraire au joug de l'étiquette. Son insupportable contrainte pesait autant à Louis XVI qu'à la reine. Le poëte le constate encore :

Un nouveau règne enfin sourit comme un beau jour;
Un couple auguste en fut l'ornement et l'amour;
Mais, moins fiers en secret de régner que de plaire,
Leur bonté détruisit l'étiquette sévère;

La foule de plus près put voir son souverain :
La royauté perdit son magique lointain,

Elle perdit beaucoup : l'oubli de ces anciens usages, de ces usages conservateurs, excita les regrets des esprits, nous ne dirons pas chagrins, mais observateurs et réfléchis. « Les princes, ces augustes esclaves, a-t-on dit, sont « obligés de rester renfermés dans leur dignité. » Gêne salutaire, qui asservit, mais qui protége. L'illusion sert les rois et les dieux, et la familiarité française a besoin du respect pour barrière. Avouons donc, si l'on veut, ces torts heureux, de la bonté, de l'abandon, de la jeunesse ; mais, ces torts, qui les avait grossis à plaisir dès le lendemain du mariage entre le Dauphin et la Dauphine? Tous les Mémoires du temps le diront : c'étaient le duc d'Aiguillon et tous les ennemis du duc de Choiseul, furieux qu'il eût demandé à l'Autriche une jeune et charmante reine; c'était encore, c'était Mme Dubarry, outrée du froid dédain que la Dauphine opposait à ses avances. Il était juste, en effet, qu'elle s'indignât d'une atteinte aux lois de l'étiquette, celle qui n'avait cessé de fouler aux pieds les plus chastes lois de son sexe!

Puisqu'on leur reprochait l'oubli du rang, sans doute on ne supposera pas qu'ils en aient voulu conserver le faste. Logique des passions haineuses! On les en accusa

précisément quand les réformes projetées, par Turgot dans les finances, par M. de Saint-Germain dans l'armée, vinrent échouer contre les cabales de la cour. Turgot était un administrateur plus habile et plus hardi que sage, qui, dans ses utiles projets, n'avait assez calculé ni ses forces ni les résistances. Les plans qu'aurait réalisés le contrôleur général, de concert avec M. de Malesherbes, son ami, auraient produit de nombreuses améliorations; on ne leur en laissa pas le temps. La cour détestait Turgot; on le croit bien : il eût réduit de cinq millions les dépenses de la maison du roi ; il n'eut pas continué d'employer un attelage et sept hommes pour porter six louis! Sans réductions, les difficultés des finances étaient grandes. Qu'allaientelles devenir quand Maurepas se jetait aussi gaiement dans une guerre maritime que s'il se fût agi, pour lui, de vers satiriques à composer contre ses bienfaiteurs ou ses amis? Aucune offense de l'Angleterre ne justifiant des hostilités contre elle, la droiture de Louis XVI y répugnait. M. de Vergennes disait avec un grand sens dans le conseil : « La puissance anglaise sera bien plus affaiblie par <«< une longue guerre avec ses colonies que par leur perte. » D'une façon ou de l'autre nous y avions tout à gagner sans courir aucun risque. Était-il de bon goût, d'ailleurs, qu'à l'occasion de Franklin, de la foudre, et sous le couvert d'un vers latin, on traitât déjà, dans Versailles, à la cour, les rois de tyrans? Mais comment, répétaient toutes les femmes, et les gens du monde avec elles, « Comment ne « pas embrasser la cause d'un peuple dont l'envoyé parle « de liberté, a des cheveux sans poudre et des cordons <au lieu de boucles à ses souliers? » Une raison d'un si. grand poids emporta la balance.

Il est curieux toutefois de s'arrêter un instant à considérer ces partisans improvisés d'une simplicité antique; il est curieux, sans trop scruter leurs mœurs, d'arriver à l'austérité de leurs principes par la connaissance de leurs occupations et de leurs modes. Nous emprunterons, pour cette fois seulement, quelques lignes à M. de Vaublanc, parce qu'ici son témoignage est bien plus convainquant que tout autre. « Au moment où j'arrivai de Saint-Domingue << à Paris, dit-il, on portait encore beaucoup de rouge et des << mouches; le goût de la reine n'avait encore pu les << faire disparaître. Le bon ton voulait que le rouge fût « très-épais et qu'il touchât les paupières inférieures. Cela, << disait-on, donnait du feu aux yeux. On tenait tant à ce « rouge que toutes les femmes avaient dans leur poche << une boîte plus ou moins riche, dans laquelle étaient les « mouches, le rouge, le pinceau, et surtout le miroir. « Plusieurs dames renouvelaient, sans façon, à leur aise, << leurs belles joues rouges partout où elles se trouvaient. »

« Si je veux parler de la toilette des hommes à la même « époque, ajoute-t-il plus loin, je présenterai des tableaux « aussi bizarres. Ils avaient des coiffures à l'oiseau, en << cabriolet, à la grecque, en marrons. La grecque surtout ⚫ était remarquable; les cheveux frisés, et surtout crêpés, « s'élevaient sur la tête, poudrés à la grande houpe. Les « élégants, c'étaient les plus merveilleux, avaient un ca«binet particulier destiné à cet usage. Quand l'écha<< faudage de la coiffure était achevé, le coiffeur, armé de « sa longue et grosse houpe de soie et rempli d'un noble << enthousiasme, lançait de toute sa force la poudre la plus << fine en l'air, contre le plafond. Lorsqu'elle en retom« bait, l'élégant se plaçait de manière à la recevoir sur la

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