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AVERTISSEMENT

DES LIBRAIRES-ÉDITEURS.

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Marmontel a dit : « Il n'y a que des traits de caractères pi« quants et rares, des situations, des aventures d'une singularité « marquée ou d'une moralité frappante, qui puissent mériter la peine qu'on se donne de raconter sérieusement ou ce qu'on a <«< fait ou ce qu'on a été. » Ces conditions, que Marmontel impose aux auteurs de Mémoires, nous ont toujours dirigés, nous dirigeront toujours, dans le choix de ceux que nous publions. Le tour facile, vif, intime, animé. confidentiel, propre à ce genre d'écrit, plaît au public, et nous aimons à consulter en tout ses penchants. Il nous semble aisé d'expliquer ses préférences.

Le lecteur qui demande l'expérience aux faits s'adresse naturellement à l'histoire; mais l'historien, placé souvent à distance des hommes, des événements, des temps dont il parle, considère forcément tout l'ensemble, et, pénétré de ses devoirs, se recommande en quelque façon le calme et la gravité, pour conserver à ses récits, à ses arrêts, leur impartialité sévère. Celui qui écrit ses Mémoires raconte, au contraire, comme M. de Vaublanc, dans les pages attachantes qu'on va lire, ses impressions, ses luttes, ses dangers, ses succès, ses revers A mesure qu'il se souvient, il s'émeut, s'indigne, se passionne : il en a le droit; mais par ce droit il nous associe à ses craintes, à ses espérances. Nous pénétrons avec lui dans le secret des cœurs; nous partageons les agitations du sien, et les enseignements historiques prennent ainsi, dans une lecture recueillie, le

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mouvement et l'intérêt que par une singulière avidité d'émotions on demande souvent à la scène.

C'est à ce besoin tout à la fois vif et sérieux des esprits que notre collection doit répondre. M. le comte de Vaublanc s'y trouve on ne peut mieux placé. L'énergie de son caractère, ses opinions, ses talents l'ont mis aux prises, dans les situations les plus variées, avec les circonstances les plus graves. On en aura la preuve dans ses Mémoires; ils embrassent précisément l'époque la plus orageuse et la plus dramatique de notre histoire.

FIRMIN DIDOT FRÈRES.

AVANT-PROPOS.

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L'aimable, le spirituel, le brillant prince de Ligne, dont Marie-Antoinette aimait la politesse exquise et l'agréable entretien, entre un jour, à Fontainebleau, chez la reine. Tout respirait en lui l'enjouement. « D'où vient donc une aussi bonne humeur? Oh! vraiment, Votre Majesté daignera la partager, j'en suis sûr. A quel sujet? Je viens de rencontrer dans les cours du château, partant pour Paris, un fourgon attelé de quatre chevaux avec deux postillons, un piqueur, et pour escorte quatre gardes du corps. On lisait sur le fourgon : Cassette de la Reine. Eh bien! la reine, hier soir, à son jeu, m'a fait l'honneur de me dire qu'elle n'avait pas six louis dans sa cassette; et c'est pour traîner six louis à Paris que tout cet équipage, bêtes et gens, sont sur pied? Que voulez-vous? dit Marie-Antoinette; c'est ainsi réglé depuis Marie Leckzinska, et vous savez quelles tempêtes soulèvent ici les moindres réductions. >>

Eh bien?

L'orage creva sur la tête de Turgot, alors contrôleur gé– néral. Le premier ministre Maurepas le voyait avec plaisir en butte aux mécontentements. Un homme qui consultait le bien public avant tout, un contrôleur général économe, devait avoir pour ennemis déclarés tous les courtisans, et pour ennemi secret un premier ministre capable d'entreprendre, dans ce moment même, une guerre aussi déloyale qu'impolitique. Les colonies anglaises s'insurgeaient contre

III

leur métropole; la France allait soutenir la révolte. Vieillard frivole, courtisan consommé, railleur redoutable, ministre chansonnier, qu'occupait, avant tout, le succès d'un couplet, et mari docile, par des raisons connues de toute la cour, Maurepas n'était pas fâché de guerroyer pour acquérir une réputation de vigueur qu'il n'avait pas. Le pouvoir, il faut bien l'avouer, avait la main forcée par l'opinion, et nul n'avait appris au jeune roi à la maîtriser. Ceci nous force à prendre les choses d'un peu loin. On a dit de Louis XVI:

Il aurait su régner s'il avait su punir.

Si la remarque est vraie, l'alternative est douloureuse. Mais à quel prix n'est pas une couronne! Jetés à des rangs inférieurs, perdus dans la foule, la plupart des hommes n'ont pas à se tenir toujours en garde contre eux-mêmes. La droiture et l'honneur satisfaits, ils peuvent, dans leurs intérêts modestes, écouter l'amitié, faire céder le droit, désarmer la rigueur. Heureuse obscurité!

La royauté, au contraire, quel fardeau! quels devoirs ! quelle contrainte! On n'est pas roi pour son plaisir, pour céder à son caractère, pour écouter ses plus nobles penchants. Le maintien des lois et la répression des désordres sont des obligations qu'imposent aux souverains la tranquillité des États, le bonheur des peuples. Les princes en sont comptables envers Dieu comme envers les hommes; car, sans aller jusqu'aux sévérités, sans faire couler ni le sang ni les pleurs, une main ferme peut imprimer au pouvoir une énergie qui contienne par le respect sans recourir au châtiment. Très-heureusement pour les rois (car autrement qui voudrait l'être?), punir n'est pas toujours nécessaire; prévenir suffit.

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