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« cette confiance magnanime sans laquelle il ne pourrait rien « faire de grand.

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Je n'ose parler des étranges paroles dites au roi par les commissaires de la Chambre des députés, de l'assurance qu'ils lui donnèrent que deux cent mille hommes marchaient contre lui, et de la confiance qu'il eut dans leurs paroles; mais je puis dire qu'ils ont souvent répété ces étranges discours, avec la satisfaction d'eux-mêmes et une froide dérision envers le prince qu'ils avaient trompé en le menaçant d'un péril imaginaire. Il est mille détails devant lesquels je recule en frémissant. Tout fut consommé en deux jours : le trône tomba sans être défendu. La famille royale alla chercher un asile dans les rochers de l'É

cosse.

:

Ainsi donc, un monarque, héritier d'une longue suite de rois, qui avait un trésor, une armée, des administrateurs accoutumés à lui obéir, tombe devant les paroles d'un petit nombre de factieux qui se vantent quelques jours après de l'avoir trompé. Ce n'est pas la plus imprudente des ordonnances qui est la cause immédiate de la catastrophe: toute autre cause aurait pu l'amener, après quinze années d'un gouvernement qui confondait deux choses si différentes administrer et gouverner. Dans une de mes premières circulaires aux préfets, j'avais écrit ces mots : << Dans les circonstances actuelles, il faut gouverner bien plus qu'administrer. » Les ministres trépignaient de joie devant la hausse des fonds et ouvraient une grande bouche pour dire. « Les rentes sont au pair. » Après cette si facile révolution, on a connu les sociétés secrètes, celle des Droits de l'homme, qui travaillait nuit et jour à saper les fondements du trône.

Louis XVIII avait d'avance fait tout le mal en donnant une amnistie à ceux qui l'avaient suivi à Gand comme s'ils avaient été coupables envers lui; en déclarant dans une séance solennelle qu'il repoussait le zèle des royalistes; en signant les ordonnances de Gouvion-Saint-Cyr, qui remplissaient l'armée d'un

esprit de faction d'autant plus contagieux que la loi même l'autorisait et le propageait.

Il faut m'arrêter ici pour dire à la postérité quelle fût l'indigne et coupable conduite des ambassadeurs étrangers : pas un seul ne se présenta auprès de Charles X, et cependant. tous avaient suivi Louis XVIII à Gand. D'où vient.cette différence? Louis XVIII à Gand était appuyé par l'armée des alliés; Charles X, à Saint-Cloud, incapable de faire agir les troupes fidèles, avait devant lui les faubourgs révoltés. Et comme, pendant toute la Restauration, les ambassadeurs n'ont cessé de montrer leur condescendance pour le parti libéral, j'ai le droit de regarder la conduite dont je parle comme la suite de cette condescendance. Avaient-ils oublié qu'ils ne sont pas envoyés par leur souverain pour les représenter uniquement dans les fêtes et dans les banquets, et que c'est au contraire dans les moments du danger qu'ils doivent accourir avec un noble empressement auprès du monarque malheureux ou placé dans un péril imminent? Ils auraient dû se rappeler la conduite du comte de Guiscar, ambassadeur de France auprès de Charles XII, roi de Suède. Lorsque ce prince s'embarqua pour attaquer le Danemark, il le congédia au moment du départ; l'ambassadeur déclara qu'il devait résider auprès de lui en tout temps, et qu'il ne le quitterait pas dans de si beaux moments. Auprès de Charles XII était le poste du danger, et par conséquent de l'honneur. En 1744, lorsque le roi de Naples fut surpris par l'armée autrichienne dans Velletrie, le marquis de l'Hôpital, ambassadeur de France auprès du roi, fut promptement réveillé par le bruit, courut avertir le monarque, et le sauva en s'exposant lui-même au plus grand danger.

Dans la bataille de Culloden, où le prince Édouard fut vaincu, il avait auprès de lui l'agent de France, qui fut fait prisonnier. Je regrette de ne pas me rappeler son nom; je me souviens seulement que c'était un ancien magistrat; mais l'honneur l'entraîna dans le combat, quoiqu'il ne fût pas militaire.

M. Hyde de Neuville, ambassadeur en Portugal, se rappela les anciennes maximes; il courut dans un moment dangereux `auprès du roi Jean, près duquel il représentait la France. Il aurait eu la même conduite auprès de Charles XII.

Nous venons de voir M. de Reyneval, ambassadeur de LouisPhilippe auprès de la reine régente d'Espagne, accourir dans son palais à l'instant où elle venait de recevoir le plus sanglant outrage d'une soldatesque révoltée. M. de Reyneval y est mort presque subitement; on n'en sait point la cause. Les ambassadeurs de France et d'Angleterre ont eu la même conduite auprès de dona Maria, dans un moment dangereux.

Pourquoi les ambassadeurs qui étaient à Gand auprès de Louis XVIII n'ont-ils point paru auprès de Charles X dans les journées de juillet? Ce n'était pas certainement par la crainte du danger, car il n'y en avait point; c'était par cette funeste influence qu'avait sur eux l'esprit révolutionnaire, et dont peutêtre ils ne se rendaient pas compte à eux-mêmes. J'ai droit de penser ainsi, moi, si souvent le témoin indigné de leurs moqueries envers le parti royaliste et de leur inepte condescendance envers les libéraux; moi, le témoin de la manière dont ils entraînaient le duc de Richelieu dans le relèvement de la démocratie, dans la flétrissure de la monarchie, dans la conception d'un traité honteux, et dans l'obligation, qu'ils lui imposèrent sans doute, de ne pas présenter un seul article de ce traité à l'examen du conseil des ministres.

Tout cela est une nouvelle et imposante preuve de ce caractère débile qui a saisi toutes les âmes, en Europe comme en France, et qui ne leur laisse plus que la bravoure. La bravoure appartient au soldat comme à des ministres et à des ambassadeurs; elle n'a aucun rapport avec le courage de l'esprit, lequel demande cette vigueur native que notre prétendue instruction énerve tous les jours de plus en plus.

Ce qu'il y eut de plus déplorable, au moment de la catastrophe, c'était de jeter huit mille hommes au milieu de Paris, et

de croire contenir ainsi son immense population. Les conseils du bon sens, autant que les règles de l'art militaire, disent, depuis des siècles, qu'il faut être hors d'une ville pour la prendre; qu'en y pénétrant les armes à la main et en vainqueur on y trouve un peuple soumis; que si, au contraire, on commence par se placer au milieu de ce peuple, avant qu'il soit soumis, on n'est point maître de ses mouvements; qu'on peut être attaqué à la fois sur ses flancs, sur son front, et du haut des toits. Après la catastrophe, les enfants répétaient ce mot du grand Condé ; « Je suis poltron pour la guerre des pots de chambre. » Le duc de La Rochefoucault raconte cette anecdote différemment ; suivant lui, Condé s'écria : « Je n'ai pas le courage de faire une guerre de tisons et de pavés. » Ce prince si courageux se servait exprès de cette expression pour montrer l'immense danger de livrer des combats au milieu des rues. Henri IV pensait de même; car, après tant de combats et de siéges dont il était toujours sorti vainqueur, après la célèbre bataille d'Ivry, ayant des intelligences dans le quartier de l'Université, il voulut en profiter, mais avec sa prudence ordinaire; il força l'épée à la main les faubourgs Saint-Jacques, SaintVictor, Saint-Marceau. Le peuple le reçut comme on reçoit toujours un roi victorieux, en élevant au Ciel des cris d'admiration. C'était la veille de la Toussaint. Le lendemain, il permit à ses officiers catholiques d'entendre la messe dans l'église de Saint-Jacques. Il monta dans le clocher et regarda attentivement si quelque mouvement se montrait dans le quartier de l'Université. Quand il fut convaincu que tout était tranquille et qu'on lui avait donné de fausses espérances, il fit sonner la retraite. Il rangea son armée en bataille dans la plaine, afin de montrer qu'il était prêt à combattre si on voulait l'attaquer. Sa conduite était d'autant plus prudente que Mayenne était sorti de Paris pour aller au-devant du duc de Parme. Comment un tel exemple n'était-il pas présent à la mémoire de Charles X? On m'objecterait en vain qu'Henri IV,

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dans un autre temps, avait pénétré dans la ville de Cahors avant d'en être le maître; il y courut les plus grands dangers. On peut à peine croire ce merveilleux combat, et sa résolution de ne point se retirer, malgré les conseils de ses généraux ; mais il avait ordonné au vicomte de Turenne d'attaquer la ville par un autre endroit; il attendait à chaque instant l'effet de cette attaque, et il répétait à ses amis ces paroles inspirées par sa grande âme : « Turenne ne nous manquera point de parole. « Le voilà! » s'écria-t-il aussitôt qu'il entendit l'explosion d'une porte de la ville et les trompettes de Turenne qui annonçaient sa victoire. La ville se soumit aussitôt. Ainsi ce grand capitaine ne fut pas imprudent. Il devait espérer le concert de l'attaque de Turenne et de la sienne, et le retard qu'il éprouva ne sert qu'à montrer encore plus la valeur surnaturelle de ce prince.

L'histoire ancienne nous a laissé un grand exemple. Pyrrhus, roi d'Épire, si renommé par son courage et sa capacité mililitaire, pénétra imprudemment dans Argos, et y fut tué par une femme qui du haut de son toit lança sur sa tête une grosse tuile au moment où elle voyait son fils prêt à périr de la main de Pyrrhus. Il périt au milieu d'un désordre effroyable, qui montre bien le danger qu'entraîne l'imprudence de se jeter au milieu d'une ville.

De nos jours, lors de la révolte de Varsovie contre les Russes, le grand-duc Constantin ne s'obstina point à combattre dans la ville; il fit sa retraite en bon ordre, et emmena même avec lui des régiments polonais. Lors de la révolte de la Belgique, les troupes du roi de Hollande placées dans Bruxelles furent accablées par le peuple et forcées d'en sortir en désordre. Cette ville n'aurait pu résister à une attaque en règle faite par l'armée entière du roi Guillaume.

Nous avons vu, au contraire, dans une insurrection de Lyon, sous Louis-Philippe, un général de Bonaparte, le général Roguet, faire retirer ses troupes aussitôt qu'il vit une forte ré

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