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tidienne. J'y rétablissais la vérité des faits, et j'ajoutais que ces prêtres n'étaient point des missionnaires; que le vrai caractère d'un missionnaire est d'être autorisé par l'autorité civile et religieuse; que je protégeais, par ordre du gouvernement, les bons missionnaires, et que j'empêchais d'ignorants fanatiques d'alarmer les consciences par des prédications dangereuses. Je terminais cet article par ces mots : « Si j'avais reçu << l'ordre de persécuter des prêtres religieux et utiles, j'aurais désobéi, comme j'ai refusé deux fois d'obéir à des ordres évidemment injustes; j'aurais quitté ma place avec honneur, « comme je suis sorti d'un ministère dont la marche n'était « pas conforme à mes principes, et sans avoir rien fait qui « tendît uniquement à conserver ma place.

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Une chose singulière se renouvelait souvent à Metz. Je recevais des lettres anonymes qui renfermaient des calomnies contre les fonctionnaires publics, et même contre des femmes. J'en parlai à M. le sénateur Eymerie, qui était de Metz et habitait une maison de campagne aux environs. Il me cita plusieurs anecdotes qui me firent espérer d'en découvrir les auteurs. Je reçus une de ces lettres, dont je fus très-frappé à cause de l'extrême méchanceté qui l'avait inspirée. L'écriture ne paraissait pas contrefaite. Je la gardai plusieurs années, et, toutes les fois que je voyais une écriture qui me rappelait cette lettre, je la confrontais avec celle qui m'offrait quelque ressemblance dans l'écriture. Une jeune personne, non mariée, me présenta un jour, pour son père, une pétition dont l'écriture me frappa. Je lui demandai si elle l'avait écrite. D'après sa réponse affirmative, je pris dans mon bureau la lettre gardée si longtemps; je confrontai les deux écritures, et je n'eus aucun doute. Je la présentai à cette personne et je l'interrogeai. Elle hésita d'abord; mais accablée bientôt par mes questions, elle s'avoua l'auteur de la lettre et perdit presque connaissance. Je lui reprochai son indignité, en lui remettant la lettre accusatrice.

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MÉMOIRES DE M. LE COMTE DE VAUBLANC.

Dans une de mes tournées j'allai à Luxembourg : j'étais curieux de voir cette forteresse. Je vis auprès de cette ville une cérémonie annuelle très-singulière. On raconte dans ces contrées qu'au quatorzième siècle tous les troupeaux furent saisis d'un désir violent de danser, qu'ils se mirent à sauter et danser jusqu'à perdre leurs forces et mourir. On invoqua un saint, qui fit cesser cette maladie. Depuis co temps, afin que les animaux ne se mettent plus à danser, les hommes, et surtout les femmes, dansent un certain jour de l'année. Le clergé arrive, en chantant des psaumes, dans le lieu destiné à la cérémonie. Les danseurs parcourent plusieurs fois une certaine enceinte, en avançant de trois pas et reculant d'un pas, toujours sautant. C'était au mois de juin; la chaleur était trèsforte. Les danseurs furent bientôt en nage; des femmes, épuisées de fatigues, haletantes, continuaient ce pieux exercice, buvaient de l'eau fraîche qu'on leur offrait, et sautaient encore en avant, puis en arrière, jusqu'à l'extinction totale de leurs forces. La nuit se passait sous des tentes et dans les plaisirs, et l'on se quittait, bien convaincu que les troupeaux ne danseraient point cette année.

CHAPITRE XXVI.

Campagne de 1815 à 1814. Abdication de Napoléon.

Les guerres de Napoléon et l'expédition de Russie sortiraient du cadre de mes Mémoires. Mon plan ne me permettra même de parler que très-brièvement des derniers événements de son règne; mais je dois remarquer que, le 11 février 1814, le marquis de Wibranges, à la tête de la députation de la ville de Troyes, demanda à l'empereur Alexandre le rétablissement de la maison de Bourbou. Ce prince, dans sa réponse, parla de consulter l'opinion publique, et dit ces paroles :

<< Nous ne venons pas pour donner nous-mêmes un roi à la « France. Nous voulons connaître ses intentions; c'est à elle à « se prononcer, mais hors de notre ligne militaire; car il importe qu'on ne croie pas que l'opinion a pu être influencée « par la présence des armées. »

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Le marquis de Wibranges répondit avec autant de raison que de dignité. Il parla de la crainte qu'inspirait Napoléon, et de l'impossibilité de se prononcer tant qu'on n'aurait pas la certitude d'être appuyé par les alliés. Il représenta le danger d'engager ainsi les peuples à changer à volonté la dynastie de leurs souverains. Il réclama les droits de la légitimité. Les idées contraires répandues dans toute l'Europe par la révolution française avaient germé dans les têtes mêmes des souverains. Ils fléchissaient devant ce qu'ils appelaient aussi l'opinion publique, expression vide de sens dans un vaste pays habité par un peuple nombreux, car il est impossible de la constater. Les souverains montrèrent, pendant toute cette campagne, une résolution décidée de ne pas reconnaître les Bourbons. Après cette

réponse de l'empereur Alexandre et les tentatives que firent les alliés pour conclure la paix, tentatives que j'aurai soin de rappeler, comment peut-on dire et répéter tous les jours cette phrase mensongère : Les Bourbons sont revenus à la suite des bagages de l'armée! Montesquieu a eu bien raison de dire : « Il est des choses qu'on répète toujours, uniquement parce « qu'elles ont été dites une fois. » Les Bourbons ne furent cause ni des désastres de Moscou et de la perte de la plus belle armée, ni de la défaite de Leipsick, ni des derniers revers de la campagne que je décris, ni de l'abdication de Napoléon. Tout cela fut l'ouvrage du seul Napoléon; lui seul a creusé l'abîme où il s'est englouti, comme tous les princes qui, une fois assis sur le trône, n'en sont jamais tombés et n'en peuvent tomber que par leurs propres fautes.

Les alliés ne parlèrent des Bourbons dans aucune de leurs proclamations. Tels furent les événements, et telle fut la conduite des princes alliés, que, si Bonaparte avait eu plus de sagesse et de modération, il serait resté sur le trône de France. Les alliés furent souvent prêts à traiter avec lui. Il eut une occasion favorable après la victoire de Montmirail; il fit alors les manœuvres les plus hardies; il écrasa le corps russe commandé par le général Sacken. Le prince Guillaume de Prusse se trouva dans un péril imminent. Bonaparte attaqua ensuite l'armée du fel·lmaréchal Blücker, qui se retira sur Châlons. On ne cessa de combattre pendant trois jours. L'armée prussienne, beaucoup moins nombreuse, échappa au plus grand danger.

Ainsi Bonaparte, dans les premiers jours de février 1814, avait ramené la fortune sous ses drapeaux ; il aurait pu, dans ce moment, traiter de la paix. L'exagération peignit ces succès comme décisifs. Le célèbre abbé Maury, archevêque de Paris, publia un mandement où l'on lisait ces mots : « O mon Dieu !

daignez nous conserver le héros que vous avez donné pour « souverain à la France, et dont nous bénissons l'autorité tuté«laire comme le plus grand de vos propres bienfaits. » Une

colonne de six mille prisonniers ennemis, et quelques généraux, furent conduits en triomphe dans Paris. Les habitants leur offrirent des secours et se conduisirent avec beaucoup d'humanité. L'argent, les vivres et les vêtements furent prodigués.

Les combats continuaient; les Français furent encore vainqueurs dans plusieurs actions, et, vers le 17 février, la grande armée alliée, qui avait menacé la capitale, était en pleine retraite. C'était encore un moment bien favorable pour traiter de la paix. Il est certain que, dans cette campagne, les alliés, si supérieurs en nombre, semblaient abattus par les moindres revers. Bonaparte paraissait victorieux. Les souverains n'ayant pas voulu proclamer les Bourbons, les esprits ne pouvaient être réunis ni excités par une pensée générale, par un désir national. La France ne pouvait voir que deux choses frappantes : des étrangers qui la dévastaient, et Napoléon qui cherchait à les chasser, et qui montrait dans cette lutte autant de courage que de constance. Les alliés demandèrent un armistice; Napoléon rejeta les préliminaires de la paix. On assure qu'en déchirant le papier qui les contenait il s'écria : « Je suis mainte<< nant plus près de Vienne qu'ils ne le sont de Paris. » Je demande si ces offres des alliés et ces refus de Bonaparte étaient dictés par les Bourbons?

Monsieur, comte d'Artois, entrait alors en France par la Franche-Comté. Il fut reçu partout avec un enthousiasme bien vrai, et conduit jusqu'à Nancy au milieu des bénédictions des peuples. Ce mouvement se serait étendu dans toute la France si les alliés s'étaient prononcés pour les Bourbons; mais la destinée de la guerre était encore incertaine; la paix était mêmẹ probable alors; elle eût été conclue sans l'aveugle obstination de Bonaparte.

Les alliés, cependant, s'attachèrent alors à faire une guerre prudente; ils rallièrent l'armée de Silésie à la grande armée austro-russe; mais c'était une retraite, faite, il est vrai, dans l'ordre le plus imposant. Napoléon fut ébloui par l'idée qu'il

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