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avait un couteau et les coupa, en riant du tour qu'on lui racontait. M. de Châtaubrun lui proposa de le régaler dans un des cabarets qui sont aux Champs-Élysées. Pendant ce petit repas, il paraissait attendre que ses camarades vinssent lui rendre son chapeau; ne les voyant pas arriver, il pria son convive de porter un billet à un de ses amis, qu'il voulait prier de lui apporter un chapeau, parce qu'il ne voulait pas traverser les rues la tête nue. Il ajoutait que cet ami lui apporterait de l'argent, et que ses camarades avaient pris sa bourse en jouant avec lui. Ce brave homme crut tout ce que lui disait M. de Châtaubrun, se chargea du billet, et revint une demiheure après avec cet ami.

Ainsi un accablement naturel porta insensiblement un condamné du rang de ses infortunés compagnons dans le dernier rang du peuple. L'attention des spectateurs et des gardes à la longue réparation de l'horrible instrument déroba une victime à leur joie féroce, et la conduisit, en peu d'heures, du pied de l'échafaud dans les bras de ses amis et de sa famille.

Peu de mois après mon arrivée, je fus témoin de l'insurrection des faubourgs de Paris contre la Convention, elle fut apaisée par le général Pichegru, qui revenait victorieux, après sa belle campagne de Hollande. La Convention le félicita, comme le sauveur de la patrie; elle avait vu tomber la tête du député Féraud au milieu de son enceinte.

CHAPITRE XIX.

Retour à Paris après la Terreur.

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Ma condamnation à mort. - Mon élection par le
Généreuse tentative de MM. Pastoret et
Élection de Barthélemy au Directoire.

13 vendémiaire.
college de Seine-et-Marne.
Borne en ma faveur.

Je

défends la colonie de Saint-Domingue. Entrevue à ce sujet avec MM. de Talleyrand et Barras. On rétablit le club des jacobins. - Je concours à le faire fermer. Anecdote singulière sur des approvisionnements.- Le général Pichegru.

Je continue l'ouvrage que j'ai commençé, et toujours sur le même plan. J'expose, autant qu'il m'est possible, les causes des événements, et j'en montre les effets. Je recherche surtout celles qui dérivent de notre caractère, et celles aussi par lesquelles notre ignorance des choses qui forment et affermissent un gouvernement agit d'une manière terrible sur notre caractère politique. Il me semble que cette étude doit être celle de tous les Français qui s'intéressent à la prospérité de leur patrie; car si nous continuons, par une inconstance qu'on ne trouve chez aucun autre peuple, à marcher de changements en changements, comme nous avons fait depuis quarante ans, la France subira des révolutions pendant des siècles et finira par s'anéantir de ses propres mains. Dans le plan que j'ai conçu, je suis forcé de parler de ma conduite, parce que je ne suis bien certain que des choses que j'ai vues, auxquelles j'ai pris part, et qui ont agi sur moi. J'entre aussi dans des détails moins importants, lorsqu'ils marquent plus spécialement les causes que je recherche. J'avouerai aussi que, par un sentiment bien légitime, je m'occupe des détails qui peuvent me concilier l'estime du parti avec lequel j'ai combattu, toutes les fois que ma posi

tion me l'a permis. Mais je ne connais pas de manière plus certaine de lui prouver mon attachement qu'en montrant la vérité sur nos fautes et leurs funestes résultats.

J'arrivai à Paris dans un moment où les esprits étaient trèsagités. Les journaux avaient pris une entière liberté ; non-seulement ils vouaient à l'exécration publique les hommes qui avaient servi la tyrannie par des crimes, mais encore ils discutaient la forme de gouvernement qu'il était possible d'adopter. J'écrivis un ouvrage que j'intitulai : Réflexions sur les bases d'une Constitution. Il fut présenté au public et à la Convention par M. Bresson, membre de cette Assemblée. Après avoir prononcé, dans le jugement de Louis XVI, un vote étonnant par sa fermeté et par le mépris dont il couvrait les assassins du roi, il avait été mis hors la loi, et enfin rappelé à son poste, après le 9 thermidor. Il continuait noblement sa carrière politique, en rendant aux proscrits tous les services qui dépendaient de lui. Il était beaucoup plus jeune que moi. Je ne m'attendais pas à lui survivre, et que j'aurais un jour la douleur de partager l'affliction de son honorable famille et de ses nombreux amis.

On sent bien que, dans cet ouvrage, je ne parlais pas du rétablissement de la royauté : c'eût été l'action d'un insensé ; une semblable proposition, même indirecte, eût causé un grand mal sans produire aucun bien; mais je demandais les deux Chambres, et un seul homme à la tête du gouvernement. C'était beaucoup pour ces temps, où les folies révolutionnaires conservaient encore leur empire sur un grand nombre d'esprits, et principalement sur la majorité de la Convention.

Cet ouvrage eut le plus grand succès; il fut loué et soutenu, surtout par Fréron, dans un journal très-répandu. C'était une nouveauté hardie, que la demande des choses les plus simples; elles étaient réclamées par la cruelle expérience que nous venions de faire. Il faut se reporter à ces temps si extraordinaires, où l'esprit humain, après s'être égaré dans la plus obscure mé

taphysique, l'avait appliquée au gouvernement d'un grand empire, et l'avait ainsi plongé dans la plus épouvantable anarchie. Je puis dire qu'on s'arrachait cet ouvrage. Un libraire du Palais-Royal me dit qu'il en avait fait une seconde édition et qu'il en avait vendu un grand nombre d'exemplaires.

Ainsi, après avoir été dénoncé, en 1792, par le fameux Brissot, comme le chef criminel de ceux qui auraient voulu les deux Chambres, j'étais le premier qui, après l'horrible règne de la Terreur, osais demander cette institution, et un chef unique à la tête du gouvernement.

La Convention avait nommé un comité qu'elle avait chargé de lui présenter le plan d'une nouvelle Constitution. Baudin des Ardennes, qui le présidait, m'écrivit en son nom, pour m'engager à me rendre auprès de lui, afin de joindre mes avis à ceux de ses membres. Je répondis que je ne pouvais accepter une invitation si honorable, parce que j'étais convaincu que le comité n'oserait point proposer des choses qui me paraissaient indispensables, et qu'il ne ferait même pas ce qu'il jugerait luimême le plus nécessaire. Quelque temps après, il présenta son rapport à la Convention. Je publiai un second ouvrage, dans lequel je critiquai ses propositions, et surtout celle d'établir cinq directeurs. Je prouvai l'impossibilité de maintenir l'harmonie entre cinq hommes chargés du gouvernement d'un grand État et revêtus d'une puissance égale entre eux.

Un article de la nouvelle Constitution ordonnait qu'un tiers des membres de l'Assemblée législative cesserait ses fonctions tous les ans. La Convention voulut que les deux tiers de ses membres conservassent leurs pouvoirs. Cette disposition révolta toute la France. L'horrible tyrannie dont cette Assemblée avait accablé la France était présente à tous les esprits. Les pouvoirs, conservés aux deux tiers de ses membres, alarmaient tous les Français, excepté ceux qui avaient partagé les crimes et les fruits de la tyrannie. L'indignation éclata surtout dans la capitale, et, le 5 octobre 1795, les gardes nationales prirent les armes dans

toutes les sections. La résistance fut générale; mais elle ne fut point dirigée par une seule tête. Le général Danican prit un instant le commandement; il n'avait pas un assez grand ascendant pour réunir les vœux et la confiance. J'avais été malade; j'avais passé quelques jours dans la famille du général Mathieu Dumas, et j'arrivais de la campagne depuis deux jours lorsque le mouvement éclata dans Paris. J'étais domicilié dans la section Poissonnière. Chaque section avait nommé un président ; celui de la section Poissonnière cessa ses fonctions le jour même, et dans l'instant le plus critique. On m'invita à le remplacer. Je ne balançai pas, j'acceptai ces dangereuses fonctions. Cette journée, connue sous le nom du 13 vendémiaire, fut fatale à la liberté. D'un côté, on ne voyait que de l'ardeur, de l'indignation, sans aucun accord dans les mesures et dans l'attaque dirigée contre la Convention; de l'autre côté se trouvait l'avantage immense de commander à des troupes régulières, accoutumées à obéir. Barras en fut nommé le général; il en donna aussitôt le commandement au célèbre Bonaparte. L'artillerie foudroya la colonne de citoyens qui attaquaient le quartier où résidait la Convention; malgré leur courage la victoire se décida promptement contre eux.

Certes, ce qu'on appelle l'opinion publique s'était bien déclarée alors à Paris ; c'était celle de toute la France: vous voyez ce qu'elle a produit. Cinq cents conjurés déterminés, conduits par un seul homme, auraient renversé la Convention; mais cette chose indéfinissable, qu'on appelle opinion publique, fortifiée par le souvenir tout récent de tant d'horreurs, accrue par une haine violente, tous les jours de plus en plus manifestée, n'a servi qu'à faire mitrailler de bons citoyens pour une cause qu'ils n'ont jamais su défendre. Jamais ils ne la feront triompher, même dans les circonstances les plus favorables. Bientôt j'en donnerai une centième preuve. Cela vient de notre caractère. En France, l'autorité seule peut agir, seule peut se maintenir ou se détruire. Hors d'elle, point d'action, par l'impuis

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