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par l'histoire du monopole de l'Angleterre envers l'Irlande et des concessions faites ensuite à l'Irlande. Jusqu'en 1780 ce pays a été tenu dans une sorte de dépendance coloniale. En 1779 on demanda que l'Irlande fût admise à faire un commerce direct avec les Indes occidentales, pour en tirer le sucre nécessaire à sa consommation et qu'elle pût exporter ses verreries. La chambre des Communes s'y opposa vivement. On prétendit que, si cette liberté de commerce lui était accordée, elle préparerait la ruine de l'agriculture, de la navigation et du commerce de l'Angleterre. On permit cependant à l'Irlande, pendant la guerre d'Amérique, d'exporter ses beurres et ses salaisons. Elle demanda la permission d'habiller du produit de ses manufactures une armée irlandaise, qui combattait en Amérique; des pétitions repoussèrent cette demande. On remarqua surtout celle de Glasgow, qui prétendit que cette ville avait des droits héréditaires au commerce du sucre. Manchester allait plus loin; elle traitait la chose comme une question de loyauté et d'allégeance. Liverpool déclarait que, si l'on adoptait cette mesure, la conséquence inévitable serait de réduire la ville et le port de Liverpool à son état d'insignifiance primitif. Mais les circonstances forcèrent à la fin de 1779 à concéder tout ce qu'on avait repoussé avec tant de chaleur.

Ces concessions étaient bien justes; on ne pouvait en faire de plus justes. Quel en fut le résultat? Depuis ce moment, l'Irlande n'a cessé de faire de nouvelles demandes; elle a obtenu la plus importante: l'admission des catholiques aux droits politiques. Dès le premier jour, les Pairs catholiques irlandais, excepté un seul, se placèrent sur les bancs de l'opposition. Un grand nombre d'Irlandais catholiques entra dans la chambre des Communes; depuis cet instant, les chefs des Irlandais ne se souviennent plus de ce qu'ils ont obtenu et ne cessent de faire de nouvelles demandes. Ils vont jusqu'à demander toutes nos sottises : le vote au scrutin secret, que les Pairs ne soient point héréditaires et soient nommés aussi au scrutin par les électeurs. Enfin,

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MEMOIRES DE M. LE COMTE DE VAUBLANC.

la chambre des Communes ne parle que de réforme, et rappelle nos misérables assemblées politiques; elle est saisie comme elles de la rage des innovations. Tel est l'effet constant et inévitable des concessions. Ajoutez à ces exemples ce que vous voyez en Espagne et en Portugal, où les demandes succèdent aux demandes et les fureurs à d'autres fureurs. Tout cela met les bons esprits en Angleterre dans la position où ils se sont trouvés en France. En effet, la position des bons Français, pendant les cinq premières années de la Révolution, les obligeait à dire ce qu'ils ne pensaient pas, à louer l'acte qu'ils méprisaient, à paraître seconder les fruits de ce détestable ouvrage. Cette position était bien honteuse et bien amère; plus d'une fois j'ai versé sur elle des larmes de douleur. De quelle ignominie le nom français se couvrait alors! Mais comment pouvions-nous sortir de cette fange où nous plongeait incessamment la main respectée par nous? Lorsque la seconde Assemblée cut prononcé la déchéance du roi, je dis aux fameux Brissot : « Vous allez porter le der<< nier arrêt contre ce malheureux prince; vous lui devez << au contraire des remercîments. C'est nous qui devrions l'ac«cuser, si c'était possible. Il a tout fait pour vous, ingrats que << vous êtes; il a tout fait contre nous, serviteurs toujours fi<< dèles et soumis. » Beaucoup de députés entendaient ces mots, que je prononçai à la fin d'une séance. Ni Brissot ni les libéraux ne me contredirent. Ils étaient dans une sorte de stupéfaction de ce qu'ils venaient de faire; ils en voyaient d'avance les suites; ils les redoutaient; mais, enchaînés par la divinité de la France, la peur, ils disaient tout bas ce qu'ils pensaient et hautement ce qu'ils ne pensaient pas. Oui, la peur a établi pendant quarante ans le mensonge en France, et, durant cet espace de temps, même dans les moments les plus tranquilles, jamais la majorité des Chambres n'a été ouvertement ce qu'elle était en secret; elle a toujours menti à elle-même, au Ciel et à la terre.

CHAPITRE XII.

Remarques sur Mirabeau, l'abbé Maury et Lafayette. — Éloignement de Louis XVI de toute éducation militaire.

Vous voyez quels furent les effets des concessions dont j'ai parlé; elles furent toutes inspirées par ces sentiments irréfléchis de bien public et d'humanité, si dangereux parce qu'ils ne se présentaient jamais qu'avec un prestige trompeur et cachaient les fruits amers qu'ils allaient produire. C'est ainsi que les vertus de Louis XVI furent la cause de ses malheurs et des nôtres. Au moment où l'on prononçait sa déchéance, les auteurs de cet attentat étaient presques tous, comme on vient de le voir, stupéfaits de ce qu'ils venaient de faire ; mais ils n'en convenaient qu'en secret. La peur de leur propre parti les dominait, et ne permettait à leur voix, comme à toute la France, d'exhaler d'autres pensées que celles du mensonge.

Le plus grand menteur de tous fut certainement Mirabeau. Il ne concevait pas de gouvernement sans monarchie, et cependant il ne cessa, dans les premiers temps, de parler comme un factieux républicain. Il n'a été éloquent que lorsqu'il parlait en destructeur. Toute sa force venait alors de ce qu'il prêchait le mal en démagogue. Les applaudissements l'enivraient et lui donnaient sa force. Ces sortes de discours étaient ordinairement très-courts et quelquefois très-éloquents. Mais qu'est-ce que l'éloquence qui prêche le mal? Rien n'est plus facile; le succès est alors toujours certain. Quand il voulut réparer le mal auquel il avait tant contribué, il ne put réussir. Il s'opposa à la Déclaration des droits de l'homme; il soutint que le roi devait avoir le veto absolu, et non ce ridicule veto sus

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pensif, le comble de l'absurdité humaine; il voulut que le roi eût le droit de paix et de guerre, et qu'il pût commander les armées; il s'opposa à la loi sur l'émigration; il combattit la démarcation de la France en départements; il demanda, la chose la plus importante, que le roi pût prendre ces ministres parmi les députés. Il succomba dans toutes ces questions, et toujours devant de misérables petits rivaux. Ainsi donc la véritable gloire de Mirabeau fut d'avoir soutenu les principes monarchiques; mais les discours écrits et qu'il lisait à la tribune ne répondaient point à la force des discours destructeurs qu'il prononça d'abord. J'entends dire tous les jours qu'il faisait ce qu'on appelle si ridiculement improviser. Non, il n'improvisait pas, excepté dans les discours véhéments et courts dont plusieurs ont produit tant de mal. Dans les autres occasions il lisait les discours écrits par Clavière, Dumont de Genève, Ramon et un autre dont le nom m'est échappé, qui depuis ce temps fut secrétaire du prince de Kaunitz. On sait qu'il avait promis au roi et à la reine de soutenir leur cause chancelante; il débuta franchement par quelques discours. Interrompu un jour par la troupe agglomérée des factieux, il s'écria, en les regardant avec hauteur: « Silence! les trente voix! » Mots énergiques et éloquents, qui désignaient leur petit nombre et leur déclaraient la guerre.

Quelques jours après cette déclaration, il eut l'imprudence d'aller à la société des jacobins et d'y parler suivant les vrais principes du gouvernement; il succomba devant Alexandre de Lameth, qui l'accabla en lui opposant les déclamations démagogiques. Sa force fut dans leur déraison et dans les applaudissements d'une multitude de factieux; car d'ailleurs personne ne parlait plus mal que cet Alexandre. Il était verbeux et traînant, et empruntait toute sa force de la démence qui l'applaudissait.

L'abbé Maury fut le constant antagoniste de Mirabeau. Il avait raison de le combattre lorsqu'il détruisait la monarchie, mais

il aurait dû le soutenir lorsqu'il revenait aux bons principes. Maury parlait beaucoup, avec facilité; il ne lisait jamais; mais son élocution, ses gestes, le ton de sa voix annonçaient rarement une profonde conviction de ce qu'il disait. Il semblait ne parler que pour remplir un devoir qu'il s'était imposé.. Sa physionomie peu expressive ajoutait à cet air d'indifférence: Cazalès, au contraire, ne parlait qu'avec une véhémence inspirée par de profonds sentiments. Ses gestes, son ton de voix, toute sa personne étaient d'accord avec cette conviction, et pénétraient les cœurs de toutes les personnes qui l'entendaient. Malheureusement il parla très-rarement; mais du moins ne fit-il pas la cruelle faute des cinq cents députés qui s'absentaient toujours; il resta constamment à son poste.

On a souvent examiné si Mirabeau aurait pu relever la monarchie si la mort ne l'avait arrêté. Non, il n'aurait pu y réussir par l'Assemblée. On ne persuade jamais des Français pour le bien il l'avait éprouvé; on les entraîne aisément au mal: il l'éprouva aussi. Mais il était capable d'action. On ne peut mettre des bornes au pouvoir d'un homme dominé par une énergique volonté. Cependant, pour agir avec succès, il faut une position qui donne de l'autorité. Tous les hommes qui, dans l'antiquité, ont été assez forts pour renverser ou soutenir les lois, commandaient des armées ou étaient à la tête du gouvernement. C'est ainsi que Cromwell parvint à la puissance, et ainsi des princes d'Orange, et de même de Bonaparte. Mirabeau n'aurait pu être ministre : une loi faite par des imbéciles défendait au roi de le nommer. Il n'aurait pu commander les armées. Je ne conçois qu'un seul moyen: c'eût été d'entraîner Louis XVI à une action constante et vigoureuse, comme le connétable de Richemont entraîna Charles VII. Mais quelle différence entre ces deux rois! Charles, à quinze ans, avait instruit la France et l'Europe de la résolution la plus magnanime, de la résolution de ne jamais pardonner au puissant duc de Bourgogne la mort du duc d'Orléans.

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