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CHAPITRE X.

Voyage de la reine à Fontainebleau. - Conduite du peuple des campagnes Effets remarquables de la musique causés par un musi

envers elle.

cien allemand.

Auprès de mon petit domaine, sur le bord de la Seine, était une pente légère qui facilitait la descente. La reine, grosse alors de son second enfant, l'infortuné dauphin, qui périt dans la prison du Temple, avait descendu la Seine dans un yacht que conduisait un officier de marine. Arrivée à l'endroit où le rivage était en pente, elle descendit, environnée des personnes qui l'accompagnaient. Le peuple des campagnes s'était réuni en grand nombre. Il applaudissait la reine; je fus frappé du ton respectueux qui accompagnait ces applaudissements. Il ne criait point, les voix ne s'élevaient pas, et ne troublaient point les airs d'un bruit confus. C'était une unanimité dont les voix basses annonçaient le respect. C'était par une espèce d'instinct qu'ils célébraient ainsi une reine et une femme enceinte. Toutes les personnes qui m'accompagnaient firent la même remarque. La reine s'inclina de tous côtés et remercia le peuple avec cette grâce pleine d'aisance qui lui était particulière. Le duc de Luynes, colonel général des dragons, était à la tête d'un escadron de son régiment; il descendit de cheval et présenta à la reine une espèce de livre en maroquin rouge. C'était la carte de la forêt de Fontainebleau. La reine monta en voiture, accompagnée de cet escadron et du colonel général. Elle se rendait à Fontainebleau, où le roi devait passer une partie de l'automne.

Le duc de Luynes était de la plus grande taille, et d'une

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corpulence remarquable. Il montait un cheval dont la grandeur et la force attiraient tous les regards.

Je reçus à la campagne un jeune Allemand, nommé Steibelt, qui avait un grand talent sur le piano; il savait à peine quelques mots français. Quoiqu'il n'eût pas une belle voix et qu'il chantât en allemand, nous avions beaucoup de plaisir à l'entendre. Depuis ce temps, il a eu une grande réputation à Paris. Sa manière de toucher le piano devint à la mode. Un soir que j'avais beaucoup de monde chez moi, il chanta en allemand plusieurs airs d'un opéra qu'il nous dit être de sa composition. Il produisait sur nous le plus grand effet, quoique nous ne pussions comprendre le sens des paroles, ou peutêtre parce que nous ne les comprenions pas. Une dame fut saisie tout à coup d'une attaque de nerfs; une seconde et deux autres encore furent subitement dans le même état. Leurs convulsions était violentes; nous les fimes sortir dans le jardin, et nous avions beaucoup de peine à les tranquilliser, quand on vint m'apprendre que le musicien lui-même était tombé auprès du canal, et qu'il était étendu à terre, sans connaissance et baigné dans son sang. Je courus à lui, et, avec le secours d'une autre personne, je vins à bout de le soulever. Je lui demandai comment il se trouvait dans cet état. Il me fit entendre qu'ayant vu deux dames dans des souffrances extraordinaires il avait cru qu'elles étaient mortes, et que, saisi d'effroi, il était tombé dans le jardin; qu'il avait beaucoup saigné au nez et bien de la peine à se remettre du saisissement qu'il avait éprouvé.

Le lendemain, pendant le déjeuner, il n'était question que de l'aventure de la veille. On cherchait les causes de ce qu'on avait vu et éprouvé. Presque toutes les personnes s'étonnaient de l'impression reçue, parce qu'elles ne comprenaient point les paroles allemandes. Je fus d'un avis opposé. Je leur dis que c'était précisément parce qu'elles ne comprenaient pas les paroles qu'elles y avaient attaché un sens conforme aux pen

sées qui les agitaient, et que la musique seule les avait pénétrées de sensations profondes qui prenaient leur source dans leurs cœurs. La dame qui la première s'était évanouie nous déclara qu'en effet, transportée hors d'elle par le chant accompagné du piano, elle avait pensé à son mari, jeune officier de marine qui courait alors sur les mers. Nous dissertâmes beaucoup sur les autres causes. Un magistrat nous dit qu'il avait vu dans l'église de Saint-Roch deux cents jeunes personnes, à genoux, prêtes à recevoir la communion, et qu'aussitôt après l'exhortation qui leur fut adressée par le prêtre une d'elles eut des convulsions; deux autres en éprouvèrent aussitôt, et presque toutes successivement les unes après les autres. De tels effets se sont manifestés souvent dans des circonstances à peu près semblables.

CHAPITRE XI.

Commencement de la Révolution en 1789. Marche du gouvernement.

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Réflexions de Bossuet relatives à la conduite de Charles VII et du connétable de Richemont. Ministres de Louis XV, de Louis XVI.Le comte de Provence, depuis Louis XVIII, dans l'Assemblée des notables. Mon discours à Louis XVI. Réflexions sur lord Wellington et M. Peel. - Preuves du mauvais effet des concessions, tirées de celles qui ont été faites en Irlande, en Espagne et en Portugal. · Mon entretien sur ce sujet avec Brissot. Remarques importantes sur Mirabeau et l'abbé Maury.

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Il ne manquait à mon bonheur que de ne pas m'occuper de la politique du moment; mais c'était impossible; l'orage grondait au loin et s'approchait tous les jours. Une vive agitation régnait dans les esprits et les remuait dans tous les sens. Tout homme qui savait lire devenait un profond politique. On ne parlait que des abus du gouvernement, et on étudiait la Constitution anglaise. C'était le sujet de toutes les conversations Maintenant, après cinquante années d'épreuves, tout homme qui ne gémit pas de nos sottises est un imbécile ou un homme de mauvaise foi.

La première, et la plus funeste alors, fut la permission que Louis XVI donna d'écrire sur les questions politiques qui fermentaient alors dans toutes les têtes. Je recevais toutes les brochures et tous les pamphlets qui paraissaient alors. J'y voyais les misérables et dangereuses querelles des parlements et du roi, la conduite du duc d'Orléans et la ligue de tous les parlements du royaume. J'ai conservé plusieurs de ces feuilles du jour; il est impossible de les lire sans un profond dégoût. J'ai conservé aussi les arrêts et remontrances des parlements, et surtout de celui de Paris. Vous y trouvez le langage révolution

naire des beaux temps qui suivirent, l'amour des innovations, le mot de liberté sans le comprendre, un petit commencement de vœux pour l'égalité, qui n'osait encore se produire ouvertement. Que faisaient les ministres? Ils riaient de tout cela, restaient dans une sécurité parfaite, et obsédaient le pauvre roi pour lui arracher des concessions.

A leur tête était le vieux Maurepas, homme d'esprit, cette faculté si dangereuse quand elle n'est pas jointe à une vaste intelligence et à un caractère assez fort pour tempérer les saillies désordonnées de ce qu'on appelle esprit. Cet homme avait été ministre de la marine dans sa jeunesse ; il avait eu de bons moments dans ce ministère. Il avait ce qu'on appelle de bonnes intentions, qualité qu'on reconnaît toujours dans les hommes médiocres. Elle suffit aux yeux des hommes faibles, et, sous cette égide, la faiblesse a fait tout le mal de la Révolution.

Dans les temps dont je parle, et avant eux, les ministres ne s'occupaient que d'administration; mais la marche du gouvernement, le changement qui se faisait dans les esprits, la ligue qui commençait à se former entre les régiments, l'abandon de toute dignité et par les grands seigneurs et par les princes, tout cela ne les occupait point, ou plutôt ils ne les voyaient que pour les favoriser. Non content d'avoir soutenu la rébellion de l'Amérique, lorsque des troubles s'élevèrent en Hollande, ce fut le roi de France qui favorisa la démocratie. L'impératrice Catherine eut alors grande raison de s'étonner de ce que Louis XVI ne profitait pas de ces circonstances pour commencer une guerre qui aurait détourné les esprits d'un mouvement convulsif prêt à perdre la France. Elle fit cette observation à M. de Ségur, ambassadeur de France auprès d'elle. Elle voyait donc alors se préparer un orage que n'apercevaient ni Louis XVI ni ses ministres.

Après un examen attentif de ces temps, il est impossible d'y voir autre chose qu'une marche journalière du gouvernement pour abaisser la noblesse, relever le tiers-état, et ren

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