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1159 plaine de Solo. Un essaim de jeunes filles de huit à douze ans les y suivirent et les charmèrent par leur grace et leur gentillesse, que relevait encore le contraste de trois affreuses naines chargées de porter le siri, le vase indispensable à ceux qui usent de cette drogue dégoûtante, et le chasse-mouche. Des rafraîchissemens avaient été préparés dans ce lieu élevé, où l'on reçoit l'air de trois côtés. Des esclaves servirent les convives avec cette exagération d'humilité qui est le propre des mœurs orientales. Du belvédère on se rendit aux appartemens intérieurs. La faveur de visiter ces appartemens n'est pas accordée à tout le monde; quant aux femmes de l'empereur, il fallut renoncer à les voir. Elles ne paraissent que lorsque des dames viennent les visiter. L'empereur daigna cependant présenter à l'amiral sa fille aînée, âgée de vingt ans, et qui n'a guère que sa jeunesse pour attrait. Ponoto-Gomo a deux filles, et point d'enfant mâle; sa succession ira donc à la branche collatérale.

L'appartement intérieur est somptueux, mais tout ce qu'il renferme est arrangé sans goût. Le lit de l'empereur est placé sous un vaste baldaquin en forme d'alcove; quatre chambres, deux à droite et deux à gauche, sont destinées aux quatre femmes que la loi lui permet d'avoir. Ces chambres, dont deux seulement sont habitées, occupent tout un côté d'un grand salon assez sombre. Les autres côtés sont garnis de meubles de toutes les formes; la plupart de ces meubles sont européens, et les murailles sont couvertes de tableaux représentant des sujets empruntés à l'histoire de l'empire français. On remarque une statuette du roi des Français à côté de celle de Napoléon, et un grand nombre d'objets de nos manufactures, pendules, vases, etc. Ponoto-Gomo, qui paraît très au courant de l'histoire contemporaine, et sait fort bien que Java fut un moment sous la domination française, semblait prendre un véritable plaisir à montrer à notre amiral ces souvenirs d'une gloire passée. Il jouissait évidemment de l'impression que ces objets produisaient sur son hôte, et tout indiquait chez le prince javanais une réelle sympathie pour la France.

On avait sans doute appris à Ponoto-Gomo le désappointement causé à l'amiral par le bal européen de Djocjokarta. Quand les visiteurs rentrèrent dans la cour d'honneur, ils virent réunies sous un hangard, dont le sol avait été exhaussé de quelques pieds, une vingtaine de bayadères, qui exécutèrent plusieurs danses nationales. Ponoto-Gomo eut soin de retenir les spectateurs à quelque distance de la scène où dansaient les bayadères. Le contre-amiral l'ayant questionné à ce sujet, il répondit que les danseuses, commandées à l'improviste, n'avaient pas eu le temps de prendre leurs beaux costumes, et qu'obligées de danser dans une toilette un peu simple, elles l'avaient prié de ne pas les laisser voir de trop près. En effet, excepté les sarrons serrés autour de la taille, et qui enveloppent la partie inférieure du corps, excepté les écharpes légères dont elles tiraient habilement parti, ces danseuses, il faut le dire, étaient assez peu vêtues.

L'empereur voulut avoir les noms du contre-amiral et de ses compagnons

correctement écrits. Ceux-ci satisfirent à ce désir bienveillant, et se rendirent ensuite chez le prince Mangkoénégoro, qui les reçut à la tête de son étatmajor, composé en grande partie de ses parens, tous en grande tenue. Plusieurs des officiers du prince portent des décorations hollandaises gagnées sur le champ de bataille. Mangkoénégoro n'est pas marié; son luxe est tout militaire et consiste dans un grand nombre de très beaux chevaux.

Le soir, un dîner somptueux réunit à la résidence, outre les voyageurs français, les personnes les plus considérables du pays, le prince Mangkoénégoro et quelques officiers de la maison de l'empereur. Ce dîner fut suivi d'une soirée dansante, à laquelle Ponoto-Gomo, qui aime la société, vint prendre part. Il se retira fort tard et engagea l'amiral à aller voir sa maison de campagne à Karta-Soura. L'amiral y consentit, quoique cela l'éloignât un peu de sa route. La maison de campagne de l'empereur contient, comme son palais de Solo, un grand nombre de tableaux français. On remarque un salon où les portraits de tous les maréchaux de l'empire sont réunis comme pour tenir compagnie au portrait de Napoléon. De Karta-Soura, les voyageurs allèrent coucher à la sous-résidence de Salatiga, où il y a un fort et une garnison assez nombreuse. Le lendemain, ils étaient à Ambrava, où ils rejoignirent M. de Lagrenée, qui, parti le 10 de Buitenzorg, avait parcouru une autre partie de l'île. Ambrava est une place fortifiée très importante, à 'aquelle on travaille depuis plusieurs années. Les constructions intérieures, -c'est-à-dire les logemens de l'état-major général, des officiers, des troupes, Japital, les magasins et les écuries, calculées pour recevoir quatre mille s Humes et deux cents chevaux en temps de guerre, sont achevées. Elles ont exécutées sur une vaste échelle et avec un luxe d'architecture extraordiIl reste à faire les fossés et les terrassemens, qui sont à peine indiMille à douze cents travailleurs y sont occupés journellement, et, e les travaux soient poussés avec activité, on pense qu'il faudra encore deux ou trois ans pour les achever. Bâtie au milieu d'une plaine marécageuse, dans la partie centrale de Java, cette forteresse sera inabordable par trois de ses fronts; le quatrième, faisant face à des hauteurs éloignées, pourra seul être attaqué, et c'est de ce côté que doit être la principale défense. Mais quand on réfléchit que pour réduire cette place il faudrait de la grosse artillerie, quand on se rend compte des difficultés que présenterait le transport de cette artillerie depuis la côte jusqu'à Ambrava par un terrain coupé de rivières, de marais et de gorges profondes, on en vient à reconnaître que cette citadelle est inattaquable autrement que par la famine. Un puits artésien, qui donne en abondance une eau légèrement minérale, a été percé au milieu de la forteresse.

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Depuis quelques années, les Hollandais s'occupent sérieusement de compléter le système de défense de Java. Des sommes considérables sont votées chaque année à cet effet, et les fortifications d'Ambrava ne sont pas le seul ouvrage important qui soit en construction. Sourabaya doit devenir une place forte de premier ordre, qui renfermera la ville dans son enceinte.

On espère en faire en même temps un port militaire accessible aux grands bâtimens. Une redoute nouvelle a été faite à Samarang, une autre à Veltevreden, et la rivière de Batavia sera protégée par un système de défense mieux entendu et plus considérable que celui qui existait anciennement. Les Hollandais veulent être en état de soutenir une lutte sérieuse dans le cas d'une invasion étrangère ou d'une révolte intérieure. Sous ces deux points de vue, la position d'Ambrava est parfaitement choisie.

Si l'on jugeait de l'établissement néerlandais de Java par les apparences, on pourrait croire que les Hollandais n'ont rien à redouter des populations indigènes. Cependant la dernière guerre est venue démentir cette supposition, et, à en croire des personnes qui connaissent bien le pays, si une expédition un peu considérable était tentée contre Java, si en même temps on promettait aux indigènes de les délivrer du joug qui les astreint à un travail excessif dont le produit sert à enrichir quelques régens (1) ou des étrangers, on trouverait de nombreux auxiliaires dans cette population qu'on évalue à 6 millions d'individus. Quoi qu'il en soit, Java est en ce moment l'objet de toute la sollicitude des Hollandais. Depuis que les colonies des autres nations produisent des épices, depuis que l'on peut se procurer le poivre dans la partie indépendante de Sumatra et ailleurs, les Moluques, dont les Hollandais ont été si jaloux autrefois, n'ont plus à leurs yeux qu'une médiocre importance; on ne les conserve que par amour-propre et pour que d'autres ne s'y établissent pas Il en est de même de Sumatra cette colonie n'offre, pour la culture d terres, ni les ressources, ni les élémens de prospérité qu'on trouve à et jusqu'à ce jour elle a été plus à charge qu'utile à ses possesseurs. Le landais ont abandonné la Nouvelle-Guinée; le pays est si malsain, . garnisons n'y pouvaient vivre. L'expérience a prouvé d'ailleurs que la lation indigène est tout-à-fait impropre au travail et au commerce.

L'armée néerlandaise des Indes est sur un bon pied; elle se comr 18,000 hommes environ, dont un tiers européen, et suffit à la garde de toutes les possessions hollandaises de l'Orient. La marine se compose de quatre bâtimens à vapeur, de quelques corvettes, bricks, et de petits bâtimens de flottille principalement employés contre la piraterie.

D'Ambrava, M. de Lagrenée et le contre-amiral Cécille revinrent en quelques heures à Samarang; ils avaient parcouru en six jours près de 250 milles à travers les provinces centrales de Java. On ne peut se faire une idée de la richesse et de la beauté de ce pays. Partout s'étendent des plantations de riz, de cannes à sucre, de caféiers, d'indigotiers, de cotonniers, sans compter le blé, le maïs, les légumes, les fruits d'Europe, qui trouvent dans les régions élevées de l'île un climat favorable à leur culture. Du haut des montagnes, la vue plane sur un immense jardin arrosé de mille ruisseaux et animé par de nombreux villages qui s'élèvent çà et là sous l'ombre bienfaisante des cocotiers et des bananiers. Il serait difficile de dire ce que l'on doit le plus ad

(1) On cite des régens qui gagnent jusqu'a 150 et 200,000 florins par an.

TOME XI.

SUPPLEMENT.

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mirer : la beauté du paysage, la perfection des cultures, ou la patience d'une population soumise à de rudes travaux qui produisent des richesses énormes et lui rapportent si peu de profit.

Le 22, l'ambassadeur et le contre-amiral s'embarquèrent sur le Mérapi, steamer de la marine royale qui devait les ramener à Batavia. Après une traversée de trente-deux heures, ils assistèrent, le soir de leur arrivée, à un bal offert par les officiers de la garnison, et le lendemain à un second bal paré et masqué, donné par la société de Veltevreden. Le 26, le contre-amiral retournait à bord pendant les vingt-cinq jours passés sur cette rade réputée si pernicieuse, la santé des équipages n'avait aucunement souffert. Cet heureux résultat ne doit pas être attribué seulement à l'époque de la saison : le contre-amiral avait eu la précaution, en arrivant, de faire consigner les équipages; il avait en outre prescrit de suspendre les travaux pendant la grande chaleur du jour, et d'employer les Javanais pour le service des embarcations. C'est grace à ces sages mesures qu'on n'a eu à déplorer aucun accident pendant le séjour de la Cléopatre et de la l'ictorieuse à Java. De telles expéditions sont à la fois honorables et utiles, honorables pour le ministre qui les encourage, pour les chefs qui les dirigent, utiles pour notre marine dont elles fortifient l'expérience, et pour le commerce, dont elles servent les intérêts.

- Le xvre siècle n'a pas été seulement pour la France une époque de rénovation littéraire; à côté des poètes et des érudits, il vit marcher les libres penseurs, et notre littérature politique sortit tout armée des luttes ardentes dont le bruit ne put couvrir ni les chants de Ronsard, ni la libre causerie de Montaigne. C'est un ami de l'auteur des Essais, c'est un des pères de cette littérature politique dont la France oublie trop les origines, que M. Leon Feugère a voulu rappeler à notre attention un peu distraite, dans un livre curieux sur la Vie et les Ouvrages d'Étienne La Boëtie (1). Cette noble physionomie, que beaucoup ne connaissaient que par d'admirables pages de Montaigne, méritait d'être étudiée dans les écrits mêmes où elle revit tout entière, avec ses inquiétudes, ses tristesses généreuses et son énergie toute romaine. Telle est la tâche qu'a remplie M. Léon Feugère; et son livre ne nous laisse rien ignorer ni sur l'homme, ni sur le publiciste, ni sur le poète. La biographie y complète heureusement la critique. Il est à désirer que de pareilles études se continuent sur les écrivains, trop peu connus, qui, bien avant le XVIIIe siècle, donnèrent dans notre pays le signal de l'alliance de la politique et des lettres. M. Léon Feugère est entré dans une voie où il y a d'utiles recherches à faire et de légitimes succès à obtenir.

(1) Un vol. in-8°, chez Labitte, quai Voltaire, 3.

V. DE MARS.

DES MATIÈRES DU ONZIÈME VOLUME.

(nouvelle série.)

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- LI.

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Desaugiers,

POETES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.
par M. SAINTE-Beuve..
ÉTUDES SUR L'Angleterre. — Les Classes inférieures du Royaume-Uni, par

5

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DES TRAVAUX RÉCENS SUR LE XVIII® SIÈCLE EN ALLEMAGNE ET EN ANGLE-
TERRE. Le docteur Schlosser, lord Brougham et Swinburne, par
M. PHILARETE CHASLES.

MOEURS MILITAIRES DE L'INDE ANGLAISE.

Vijayanagar, par M. ÉD. DE WARREN.

112

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- Une Excursion aux Ruines de

148

LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. — Voyage d'un Slave autour de la Chambre,

-

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LA CONQUÊTE DU MEXIQUE PAR FERNAND CORTEZ, d'après de nouveaux
Documens américains, par M. Michel ChevALIER.
L'ALTAÏ, SON HISTOIRE Naturelle, ses minES, SES HABITANS ET LE GOU-
VERNEMENT RUSSE (Voyage dans l'Altaï oriental et les parties adja-
centes de la frontière de Chine, de M. Tchihatcheff), par M. A. DE
QUATREFAGES.

LES CHEMINS DE FER ET LES CANAUX. De la Rivalité actuelle des lignes
de fer et des voies navigables en France, en Angleterre et en Belgique,
par M. CHARLES COQUELIN. .
HISTOIRE LITTÉRAIRE.

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197

236

269

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Une Polémique religieuse au XVIIe siècle, par

302

M. D. NISARD.
SOPHIE-DOROTHÉE, FEMME de george Ir, Drame-Journal de sa vie, écrit
pendant sa captivité, par M. PHILARÈTE CHAsles.
DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

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DES IDÉES ET DE L'ÉCOLE DE FOURIER DEPUIS 1830. Les Écrivains et

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