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SUR

LES ANNALES LITTÉRAIRES,

OU

DE LA LITTÉRATURE

AVANT ET APRÈS LA RESTAURATION;

OUVRAGE DE M. DUSSAULT.

L

Zévrier 1819.

ORSQUE la France, fatiguée de l'anarchie, chercha le repos dans le despotisme, il se forma une espèce de ligue des hommes de talent pour nous ramener, par les saines doctrines littéraires, aux doc

trines conservatrices de la société. MM. de La Harpe, de Fontanes, de Bonald, M. l'abbé de Vauxcelles, M. Guéneau de Mussy écrivoient dans le Mercure; MM. Dussault, Feletz, Fiévée, Saint-Victor, Boissonnade, Geoffroy, M. l'abbé de Boulogne, combattoient dans le Journal des Débats. « On a vu, dit M. Dussault en parlant >> de cette époque si remarquable pour les lettres, » on a vu des talents du premier ordre entrer » dans cette lice des écrits périodiques, pour combattre tous les faux systèmes.

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y

>> Tout le système de l'opinion publique étoit, » pour ainsi dire, à recréer. Le mauvais sens et >> l'erreur avoient tout infecté en politique, en » morale, en littérature; les vrais principes en >> tous genres étoient méprisés, proscrits, ou» bliés; tout ce qui sert de garantie et de lien à >> l'ordre social étoit brisé, et les règles du goût, >> plus unies qu'on ne pense aux autres éléments >> conservateurs de la société, avoient subi la » destinée commune. »

La littérature révolutionnaire fut foudroyée, et le goût reparut dans le style avec l'ordre dans l'Etat.

Buonaparte favorisoit cette entreprise, quoiqu'il sût bien que presque tous ceux qui la soutenoient étoient ennemis de son gouvernement. Il disoit un jour à M. de Fontanes : « Il y a

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» deux littératures en France, la petite et la grande; j'ai la petite, mais la grande n'est pas » pour moi. » Et pourtant il laissoit faire à cette grande littérature qui, de son aveu, n'étoit pas pour lui, mais qui recomposoit les principes de la monarchie, en détruisant ceux de la révolution. Or, comme il vouloit régner, peu lui importoit de quelle main il recevoit le pouvoir. Aujourd'hui le gouvernement a aussi pour lui la petite littérature; la grande se tait.

II y a un monument précieux de l'état de la littérature sous Buonaparte, c'est le recueil que nous avons déjàcité plus haut. Si on écrivoit aujourd'hui la plupart des articles qui composent les Annales littéraires, non-seulement on crieroit au gothicisme, au fanatisme, à la réaction; mais il est probable que ces articles ne seroient pas admis à la censure. Quel censeur, par exemple, seroit assez téméraire pour laisser passer le morceau suivant?

<< Sans doute nos prudents penseurs, dit l'auteur » des Annales littéraires, ne doivent point pro» noncer, sans un secret effroi, le nom de Boi>> leau. Ils doivent craindre qu'il ne sortît de ses >> cendres pour les démasquer. Quelle matière en >> effet le siècle dernier n'auroit-il pas offerte à sa >> verve satirique! Combien n'auroit-il pas trou» vé, sous les étendards de la philosophie, de

TOME XXI.

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» mauvais écrivains à railler, de charlatans à dé» voiler, de prétentions à confondre, d'injustes réputations à renverser! de quel œil auroit-il >> vu, de quels traits de ridicule auroit-il marqué un rhéteur boursoufflé comme Thomas, un » déclamateur frénétique comme Diderot, un bel-esprit pincé comme d'Alembert, un rêveur » de systèmes ridicules comme Helvétius, et ces >> auteurs de tragédies à la Shakspeare, et ces fai> .seurs de drames aussi ennuyeux que lugubres, >> et ces marchands de comédies à la glace, et cette >> foule d'intrigants littéraires de toute espèce, qui connoissoient aussi peu l'art d'écrire qu'ils >> connoissoient bien l'art de se faire des réputa» tions, cette foule de Cottins et de Pelletiers »> nouveaux, qui s'emparoient subtilement de >> l'admiration d'un siècle dont ils ne méritoient que le mépris? Mais, puisque la >> nature ne prodigue pas les hommes tels que Boileau, et puisqu'elle ne produit pas or>> dinairement deux talents de cette force dans » un espace de temps si borné, qu'on se figure » seulement Voltaire, avec le rare talent qu'il >> avoit pour se servir de l'arme du ridicule, dont >> il a tant abusé, tournant cette même arme, si >> redoutable entre ses mains, contre ceux dont >> il s'étoit déclaré l'appui et le chef, et se mo» quant d'eux en public, comme il s'en mo

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>> quoit quelquefois en secret. Croit-on que tout » cet édifice de réputations factices, bâties sur >> le sable et sur la boue, auroit pu résister aux >> traits qu'il auroit su lancer? S'il avoit seule» ment dirigé contre la fausse et dangereuse philosophie de son siècle la moitié de l'esprit qu'il a prodigué contre les institutions les plus >> utiles et les plus sacrées, c'en étoit fait de tant » de beaux systèmes, de tant de brillantes re>> nommées, de toute cette sublime doctrine » dont nous avons pu apprécier les effets, après » en avoir admiré si long-temps et si stupide>ment les théories. >>

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Nous le répétons, présentez aujourd'hui de pareils articles à la censure, et l'on y verra, avec une conspiration contre le roi, la destruction de la charte, le rappel des moines et le retour à la féodalité.

Toutefois, à l'époque où l'on manifestoit ces pensées, elles sembloient si naturelles à chacun, qu'elles trouvoient à peine des contradicteurs. M. de Barante, dans un ouvrage remarquable sur la Littérature françoise pendant le dixhuitième siècle, ne parle pas avec plus de respect des écrivains de cette époque. « Ce sont, » dit-il, des écrivains vivant au milieu d'une so>> ciété frivole, animés de son esprit, organes de >> ses opinions, excitant et partageant un enthou

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