« Noble fils de Priam, ah! parle, réponds-moi, >> Quel féroce ennemi s'est acharné sur toi? » Quel monstre a pu sur toi, signalant sa furie, » A cet excès d'horreur porte sa barbarie? >> Est-ce un tigre? est-ce un homme? Hélas! on m'avoit dit » Tes soins compatissans (pouvois-je plus attendre?) » Entroit gros de malheurs, d'armes et de soldats, >> Pour mieux dissimuler sa barbare allégresse, » Je sommeillois alors : ce sommeil homicide, » Dérobe à mon chevet ma défense fidèle, » Il entre; et, dans l'instant, sa lâche perfidie » D'expier envers lui son infidélité. Que vous dirai-je ? On entre, on fond sur la victime; » Ulysse les suivoit, cet orateur du crime: » Vous voyez son ouvrage. O toi! qui sais mes maux, » Dieu ! venge l'innocence, et punis mes bourreaux! » Mais vous, fils de Vénus! quel malheur, quel naufrage, » Ou quel dieu vous conduit sur cet affreux rivage, >> Dans ce séjour de deuil, de trouble et de terreur, » Dont le soleil jamais ne vient charmer l'horreur? » L'Aurore, au teint de rose, avançoit sa carrière; Déjà du temps prescrit fuyoit l'heure dernière; Tous deux ils s'oublioient dans ce doux entretien: C'est trop, dit la prêtresse au monarque troyen; » Prince, l'heure s'envole, et vos regrets stériles » Consument un temps cher en larmes inutiles: » Avançons. C'est ici qu'en deux chemins divers, » Se sépare, pour nous, la route des enfers. » A gauche, des tourmens c'est le séjour barbare, >> C'est-là qu'il faut marcher. - O divine prêtresse! >> Dit alors Déiphobe, excusez ma tendresse. » Je pars; vous, prince illustre autant que généreux, La porte inébranlable est digne de ces murs: Vulcain la composa des métaux les plus durs. Devant le seuil fatal, terrible, menaçante, » Qui prononça leur peine, et quels furent leurs crimes? » Parlez, instruisez-moi. — Prince religieux, >> Répond-elle, gardez d'approcher de ces lieux. » Les contraint d'avouer les forfaits exécrables Qu'ils ont cachés dans l'ombre, et qu'au sein de la mort >> Ne peut plus expier un stérile remords. >> Tisiphone aussitôt, vengeresse des crimes, >> Prend ses fouets, ses serpens, et poursuit ses victimes; » Tonne, frappe, redouble; et, lassant ses fureurs, >> Appelle à son secours ses effroyables sœurs. » Elle parloit: soudain avec un bruit terrible, Sur ses gonds mugissans tourne la porte horrible; Elle s'ouvre « Tu vois dans ce séjour de deuil » Quel monstre épouvantable en assiège le seuil! » Plus loin, s'enflant, dressant ses têtes menaçantes, » Une Hydre ouvre à la fois ses cent gueules béantes. » L'œil n'ose envisager ses antres écumans. >> Enfin, l'affreux Tartare et ses noirs fondemens » Plongent plus bas encor que de leur nuit profonde > Il ne s'étend d'espace à la voûte du monde. > Là, de leur chûte horrible encor épouvantés, » Roulent ces fiers géants par la terre enfantés. » Là, des fils d'Alous gissent les corps énormes; » Ceux qui, fendant les airs de leurs têtes difformes, » Osèrent attenter aux demeures des dieux, » Et du trône éternel chasser le roi des cieux. » Là, j'ai vu de ces dieux le rival sacrilège, >> Qui, du foudre usurpant le divin privilège, » Pour arracher au peuple un criminel encens, » De quatre fiers coursiers aux pieds retentissans » Attelant un vain char dans l'Élide tiemblante, » Une torche à la main y semoit l'épouvante: » Insensé qui, du ciel prétendu souverain, » Par le bruit de son char et de son pont d'airain, »Du tonnerre imitoit le bruit inimitable! >>> Mais Jupiter lança le foudre véritable, >> Et renversa, couvert d'un tourbillon de feu, >> Le char, et les coursiers, et la foudre, et le dieu. |