Imágenes de página
PDF
ePub

« Noble fils de Priam, ah! parle, réponds-moi,

>> Quel féroce ennemi s'est acharné sur toi?

» Quel monstre a pu sur toi, signalant sa furie, » A cet excès d'horreur porte sa barbarie?

>> Est-ce un tigre? est-ce un homme? Hélas! on m'avoit dit
» Que dans la nuit, qui fut notre dernière nuit,
»Sanglant et fatigué d'un immense carnage,
» Toi-même avois péri dans ce confus ravage.
» J'honorai ta mémoire; et, d'une triste voix,
» Auprès d'un vain tombeau je t'appelai trois fois.
>> Ton nom y vit encor; mais tes amis fidèles
» N'ont pu mêler ta cendre aux cendres paternelles.
»Je n'ai pu découvrir tes restes malheureux ! »>
Déiphobe répond : « Ami trop généreux,

» Tes soins compatissans (pouvois-je plus attendre?)
» Ont honoré mon ombre, ont protégé ma cendre.
» Hélas! c'est mon destin, c'est un monstre odieux,
» Hélène, à qui je dois ee traitement affreux :
» Voilà les monumens de sa tendresse extrême.
>> Dans notre nuit fatale, à notre heure suprême,
»» Quand ce colosse altier apportant le trépas,

» Entroit gros de malheurs, d'armes et de soldats,
>> Lorsque tous les fléaux alloient fondre sur Troie,
>> Vous n'avez pas sans doute oublié quelle joie
» Enivroit nos esprits ; et comment l'oublier?
» Hélène secondoit ce colosse guerrier.

>> Pour mieux dissimuler sa barbare allégresse,
>> D'une trompeuse orgie elle échauffoit l'ivresse,
>> Secouoit une torche; et, des tours d'llion,
» Appeloit et la Grèce et la destruction.

» Je sommeillois alors : ce sommeil homicide,
» Du repos de la mort, avant-coureur perfide,
» A mes vils ennemis livroit un malheureux.
» Ma digne épouse alors, ce cœur si généreux,
» Écarte du palais les armes qu'il récèle,

» Dérobe à mon chevet ma défense fidèle,
» Ce glaive qui, la nuit, protégeoit mon sommeil;
» Appelle Ménélas à mon affreux réveil :

» Il entre; et, dans l'instant, sa lâche perfidie
>> Lui livre mon palais, mes armes et ma vie,
>> Sans doute se flattant par cette lâcheté

» D'expier envers lui son infidélité.

[ocr errors]

Que vous dirai-je ? On entre, on fond sur la victime; » Ulysse les suivoit, cet orateur du crime:

» Vous voyez son ouvrage. O toi! qui sais mes maux, » Dieu ! venge l'innocence, et punis mes bourreaux! » Mais vous, fils de Vénus! quel malheur, quel naufrage, » Ou quel dieu vous conduit sur cet affreux rivage, >> Dans ce séjour de deuil, de trouble et de terreur, » Dont le soleil jamais ne vient charmer l'horreur? » L'Aurore, au teint de rose, avançoit sa carrière; Déjà du temps prescrit fuyoit l'heure dernière;

Tous deux ils s'oublioient dans ce doux entretien:

[ocr errors]

C'est trop, dit la prêtresse au monarque troyen; » Prince, l'heure s'envole, et vos regrets stériles » Consument un temps cher en larmes inutiles: » Avançons. C'est ici qu'en deux chemins divers, » Se sépare, pour nous, la route des enfers.

» A gauche, des tourmens c'est le séjour barbare,
» Le séjour des forfaits, l'inflexible Tartare;
» A droite est de Pluton le superbe palais :
» Là, l'heureux Élysée étale ses attraits;

>> C'est-là qu'il faut marcher. - O divine prêtresse! >> Dit alors Déiphobe, excusez ma tendresse.

» Je pars; vous, prince illustre autant que généreux,
>> Adieu; plaignez mon sort, et soyez plus heureux. >>
Il dit, et dans la foule en pleurant se retire.
Énée alors regarde, et de ce sombre empire
A gauche il apperçoit le séjour odieux,
Que d'un triple rempart enfermèrent les dieux.
Autour le Phlégéhton, aux ondes turbulentes,
Roule d'affreux rochers dans ses vagues brûlantes.

La

porte inébranlable est digne de ces murs:

Vulcain la composa des métaux les plus durs.
Le diamant massif en colonnes s'élance;
Une tour jusqu'aux cieux lève son front immense :
Les mortels conjurés, les dieux et Jupiter,
Attaqueroient en vain ses murailles de fer.

Devant le seuil fatal, terrible, menaçante,
Et retroussant les plis de sa robe sanglante,
Tisiphone bannit le sommeil de ses yeux;
Jour et nuit elle veille aux vengeances des dieux.
De-là partent des cris, des accens lamentables,
Le bruit affreux des fers traînés par les coupables,
Le sifflement des fouets dont l'air au loin gémit.
Le fils des dieux s'arrête, il écoute, il frémit :
« O prêtresse, dit-il ! quelles sont ces victimes?

» Qui prononça leur peine, et quels furent leurs crimes? » Parlez, instruisez-moi. — Prince religieux,

>> Répond-elle, gardez d'approcher de ces lieux.
» La vertu doit de loin voir le séjour des vices;
» Mais je puis des méchans vous tracer les supplices:
» Diane à sa prêtresse a tout dit, tout montré.
>> Rhadamanthe en ces lieux juge, absout à son gré:
» Terrible, il interroge, il entend les coupables,

» Les contraint d'avouer les forfaits exécrables

[ocr errors]

Qu'ils ont cachés dans l'ombre, et qu'au sein de la mort >> Ne peut plus expier un stérile remords.

>> Tisiphone aussitôt, vengeresse des crimes,

>> Prend ses fouets, ses serpens, et poursuit ses victimes;

» Tonne, frappe, redouble; et, lassant ses fureurs,

>>

Appelle à son secours ses effroyables sœurs. »

Elle parloit: soudain avec un bruit terrible,

Sur ses gonds mugissans tourne la porte horrible;

Elle s'ouvre « Tu vois dans ce séjour de deuil » Quel monstre épouvantable en assiège le seuil! » Plus loin, s'enflant, dressant ses têtes menaçantes, » Une Hydre ouvre à la fois ses cent gueules béantes. » L'œil n'ose envisager ses antres écumans.

>> Enfin, l'affreux Tartare et ses noirs fondemens » Plongent plus bas encor que de leur nuit profonde > Il ne s'étend d'espace à la voûte du monde. > Là, de leur chûte horrible encor épouvantés, » Roulent ces fiers géants par la terre enfantés. » Là, des fils d'Alous gissent les corps énormes; » Ceux qui, fendant les airs de leurs têtes difformes, » Osèrent attenter aux demeures des dieux, » Et du trône éternel chasser le roi des cieux. » Là, j'ai vu de ces dieux le rival sacrilège, >> Qui, du foudre usurpant le divin privilège, » Pour arracher au peuple un criminel encens, » De quatre fiers coursiers aux pieds retentissans » Attelant un vain char dans l'Élide tiemblante, » Une torche à la main y semoit l'épouvante: » Insensé qui, du ciel prétendu souverain, » Par le bruit de son char et de son pont d'airain, »Du tonnerre imitoit le bruit inimitable!

>>> Mais Jupiter lança le foudre véritable,

>> Et renversa, couvert d'un tourbillon de feu, >> Le char, et les coursiers, et la foudre, et le dieu.

« AnteriorContinuar »