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l'on compare aux quatre évangéliftes; leurs noms font Zuftinian, Corner ou Cornaro, Bragadin & Bembo; celle de Cornaro a été fur-tout illuftrée par une reine de Chypre & par beaucoup d'anecdotes glorieuses.

La premiere claffe de nobleffe contient encore huit autres familles, qui étoient diftinguées long-temps avant la premiere fixation de la nobleffe & du confeil, il ferráre del configlio; ces fammilles font Quirini, Dolfini Soranzo, Zorzi, Murcello, Sagredo, Zane & Salomon.

La nobleffe de Venife ne s'accorde que rarement & difficilement; les rois de France, foit de Valois, foit de Bourbon, l'ont reçue comme une marque de diftinction; & Henri III. roi de Pologne, revenant prendre poffeffion de la couronne de France, paffa à Venise, & y fut reçu noble Vénitien; quelques-uns de leurs généraux étrangers ont reçu cet honneur pour prix de leurs fervices; quelques papes l'ont obtenu pour leurs

neveux.

Depuis l'année 1450 jufqu'à 1620, il y avoit une espece de convention faite entre les nouvelles familles pour conferver toujours parmi elles la dignité de doge; les anciennes familles le portant trop haut & excluant les nouvelles familles des places importantes, il y en eut dix-neuf qui entrerent dans cette confédération & s'engagerent mutuellement à donner P'exclufion à l'ancienne nobleffe; elles firent même fouvent tomber cette dignité dans des familles nouvelles qui n'étoient pas de leur ligue, mais cela leur étoit indifférent tant qu'elles avoient la principale influence dans l'élection, & qu'elles excluoient les anciennes familles. Ce fut cette ligue qui fit donner le nom de ducales à plufieurs familles; en 1620 les anciennes familles prévalurent & l'on élut un Memo; depuis ce temps-là il y a eu un Bembo, deux Cornaro, un Contarini, un Juftiniani, &c. tous des anciennes maisons, en forte que la ligue ne fubfifte plus.

Les familles Vénitiennes font ordinairement très-unies, les freres & les fœurs vivent ensemble, même après avoir perdu leur pere & leur mere, fans avoir de difcuffion d'intérêts, & même fans partager les biens de la famille.

Il y a dans Venife des nobles d'un mérite diftingué & d'un génie fupérieur à ceux même qui font employés dans les ambaffades & dans les grandes charges que les talens ne procurent pas; ceux-là vivent affez retirés & fe communiquent peu; ce font ceux dont la converfation eft la plus inftructive; & il y a plus à profiter avec eux qu'avec beaucoup d'am baffadeurs; cependant en général les Vénitiens font trés-inftruits des intérêts des autres nations, & même de la forme des gouvernemens; deux fois la femaine, ils entendent les dépêches de leurs ambaffadeurs, ils y apprennent ce qui fe paffe dans chaque Etat, & ils entendent les réponses qu'on leur fait. Quand un ambassadeur revient, il leur rend compte de fa commiffion; c'eft ainfi qu'ils fe mettent au fait de toutes les cours; cet objet même fait une de leurs études dans les conférences de la jeunesse,

& ceux qui ont voyagé dans les différentes cours de l'Europe font confidérés & recherchés à raifon des connoiffances qu'ils ont acquifes dans leurs voyages.

Les ambaffadeurs de la république font obligés de rendre compte à leur retour, par un mémoire détaillé de l'état, & des forces des pays & des cours où ils ont été, des intérêts politiques, des ufages & des caracteres de ceux qui gouvernent, & des événemens dont ils ont été les témoins.

La jeune nobleffe reçoit pour l'ordinaire une fort bonne éducation : on l'envoie hors de Venise en terre ferme à Padoue, quelquefois même hors des Etats de la république; ces jeunes gens y cultivent les talens de l'efprit après quoi on leur fait apprendre à monter à cheval, danfer, nager, jouer à la paume, au billard, &c. Les jeunes gens n'entrent dans le monde que fort tard; à 22 ans ils paroiffent à Venile, & jufqu'à 25 ans, c'està-dire, avant de prendre l'habit de fénateur, ils s'affemblent fous un ancien fénateur pour y faire des conférences, apprendre les loix du pays, s'exercer à parler en public; on leur donne des thêmes de politique; on feint des dépêches qui exigent réponse, & chacun fournit des mémoires; c'eft ainfi qu'ils s'accoutument aux affaires, pour paroître enfuite au pregadi avec quelque avantage.

Les Venitiens font fobres autant & plus que les autres Italiens; ils boivent peu de vin ou de liqueurs, & mangent peu de ragoûts : les ris, les pâtes, les légumes, la viande & le poiffon, cuits fimplement; le chocolat, les glaces font leurs alimens les plus ordinaires.

Le peuple de Venife n'eft ni remuant ni féroce, mais doux, tranquille, & facile à contenir.

La ville eft éclairée pendant la nuit par 3000 lanternes, il y a peu de gardes pour la police, & il n'y a point de troupes réglées à Venife; cependant on entend parler moins qu'ailleurs d'affaffinats ou de crimes; l'autorité redoutable du confeil des dix tient tout le monde en refpe&t; la gondole de ce confeil, annoncée par une flamme rouge, fuffit pour appaifer le défordre le plus animé; s'il arrive dans une églife un des inquifiteurs d'Etat, il fe fait un vide fenfible par-tout où il paffe, perfonne n'ofe toucher fa robe ou foutenir fes regards, tant on eft circonfpe&t & craintif, On eft attaché à l'extérieur de la religion, comme dans le refte de l'Europe, mais il femble que cela influe peu fur la conduite; le peuple perfuadé que l'abfolution remet tous les péchés, fe livre tranquillement, comme chez les autres catholiques, à fes paffions; on en voit beaucoup qui ne feroient pas maigre un vendredi pour toute chofe au monde, mais ils vont fe confeffer d'avoir une maîtreffe, reçoivent l'abfolution, communient, & retournent le foir chez la maîtreffe qui a fait la même chofe de son côté, Le tribunal de l'inquifition quoiqu'établi à Venife, n'eft fufceptible d'aucun abus; trois fénateurs affiftent à toutes les délibérations, & il ne s'y paffe rien contre les loix civiles de l'Etat.

ANALYSE

ANALYSE

DE L'HISTOIRE DU GOUVERNEMENT DE VENISE,

CB

Par AMELOT DE LA HOUSSAYE.

E fut la crainte qui jeta les fondemens de cette république, qui devint elle-même la terreur de l'Italie. Lorfque les Goths, fous la conduite de Radagaife, les Vifigoths, fous celle d'Alaric, les Huns, fous celle d'Attila, inonderent l'Italie, les peuples voifins des lagunes trouverent dans les ifles qu'elles baignent, un afile contre la fureur de ces barbares. Leurs premiers établissemens portoient l'empreinte de l'indigence. Des cabanes de bois & de rofeaux s'éleverent dans ces lieux, où l'ail contemple avec admiration les chef-d'œuvres de l'architecture. Des barques fragiles deftinées à la pêche, remplirent ces canaux que couvrent aujourd'hui tant de fortereffes flottantes. Tel fut l'état miférable de Venife tant que les barbares refterent en Italie; mais lorfque ne trouvant plus rien à détruire, ils eurent repaffé les Alpes, les nations fugitives regagnerent le rivage, & tranfporterent à grands frais dans leurs ifles, les ruines d'Aquilée, de Pavie & des autres villes, où la rage de ces hordes ignorantes avoit renverfé toutes les productions des arts. En moins de cinquante ans, on vit fortir du milieu des lagunes des maifons commodes, & même quelques palais fuperbes, ornés de colonnes de marbre.

Padoue, à qui Rialte avoit appartenu, fe rétablit fe rétablit peu à peu, & le fénat de cette ville reprenant fon antique fplendeur, prétendit gouverner les habitans des ifles. Mais ceux-ci aimerent mieux être gouvernés par leurs concitoyens, que d'aller chercher des loix dans le continent. Ils élurent des tribuns, & cette forme de gouvernement fubfifta pendant trois fiecles. Ce fut en 709, que les tribuns des douze principales ifles réfolurent d'élire un chef, fans doute, afin de prévenir les funeftes effets de la rivalité de ces petites républiques. On députa vers le pape Jean V, pour le prier d'abolir les droits des Padouans, & de permettre aux Vénetes de vivre libres fous fa protection & celle de l'empereur. Tel étoit dèslors l'empire de la fuperftition & de l'ignorance, qu'on ne fentit pas que, fi le droit de Padôue étoit réel, un pontife ne pouvoit l'anéantir, que, s'il étoit ufurpé, cette démarche n'étoit qu'une humiliation inutile. On élut enfin un duc ou doge, & le choix de la nation tomba fur Paul-Luce Anafefte. Celui-ci fixa le fiege & le centre de la république dans Héraclée, l'une des ifles des lagunes. L'empire des doges fut bientôt odieux. Humbles, rampans, lorsqu'ils briguoient les fuffrages, ils devenoient tyrans & defpotes, dès qu'ils étoient élus. Le troifieme doge fut maffacré, & penTome XXIX.

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dant cinq ans, les ifles furent gouvernées par des chevaliers, dont l'autorité étoit annuelle.

Le peuple fe laffa bientôt de leur gouvernement, & redemanda les doges qu'il avoit profcrits. Mais Obélerio, qu'ils revêtirent de cette dignité, fe vit prefqu'auffitôt chaffe avec ignominie, & porta fon reffentiment & fa honte à la cour de Pepin, roi de Lombardie. Ce prince réfolut de le rétablir fur fon trône, & vint, à la tête d'une nombreufe armée, attaquer les ifles. Une tempête fubmergea les radeaux qui portoient fes foldats. Défefpérant d'entrer en vainqueur dans Rialte, il voulut du moins y entrer comme ami. Il y fut reçu aux acclamations d'un peuple extrême dans fon amour comme dans fa haine. Pepin, attendri jufqu'aux larmes, jeta fon fceptre dans la mer, en s'écriant: ainfi puiffent périr tous ceux qui voudront nuire à cette république. Ce monarque remit aux infulaires le ibur annuel qu'ils lui avoient payé jufqu'alors, leur donna un territoire de cinq milles dans le continent, & leur permit de trafiquer dans tous fes Etats. On prétend que, voyant que le doge n'étoit décoré d'aucune marque extérieure qui pût en impofer au peuple, il détacha une manche de fon habit, & la mit fur fa tête en forme de bonnet; & telle eft, dit-on, l'origine de la corne ducale.

L'autorité du doge étoit abfolue; & la liberté de la république n'étoit qu'un vain nom. L'Etat n'avoit point de loix fondamentales: le prince en créoit de nouvelles auffi facilement qu'il aboliffoit les anciennes. On vit même des doges qui défignerent leurs enfans ou leurs freres pour leurs fucceffeurs, fans que la nation ofât murmurer. D'ailleurs, les élections étoient prefque toujours orageufes. Il étoit rare qu'un doge fût proclamé fans effufion de fang. Les factions subsistoient même après que le doge étoit couronné; on fentit quel avantage les ennemis de la république pouvoient tirer de ces divifions inteftines; on réfolut d'en prévenir les effets.

Après la mort de Vital-Micheli, les citoyens les plus refpectables s'affemblerent, & choifirent onze d'entr'eux, dont la probité étoit à l'abri des foupçons. Ces électeurs fe renfermerent dans l'église de faint Marc & proclamerent Sébastien-Ziani; ils établirent en même temps un confeil indépendant du doge; & ce fut de ce confeil qu'on tira depuis les électeurs. C'est ainfi qu'on mit un frein à l'ambition du prince, & aux cabales du peuple. Mais la multitude exigeoit des dédommagemens ; il étoit dangereux de les lui refufer. On lui permit d'élire douze tribuns, comme dans l'ancienne Rome. Ceux-ci eurent le droit de nommer tous les ans dans chacun des fix quartiers, quarante citoyens pour composer le grand confeil qu'on venoit d'établir..

Cette forme de gouvernement ne fut point altérée jufqu'en 1289. Ce fut à cette époque que le doge Pierre Gradenigue, homme de génie, ofa tenter une révolution, qui n'exigeoit pas moins de courage que d'habileté, foit que le gouvernement ariftocratique lui parût le plus conforme

aux intérêts & à la fituation des Vénitiens, foit qu'il voulût fe venger des familles qui avoient traversé fon élection, il publia, & fit adopter un décret qui portoit, » que tous ceux qui auroient compofé le grand confeil » des quatre années précédentes, feroient ballottés dans cette chambre, &, » que ceux qui auroient douze balles favorables, compoferoient, eux & » leurs defcendans, le grand confeil à perpétuité. »

Le duge avoit prévu qu'un pareil coup d'Etat lui feroit des ennemis, & que les familles exclues du gouvernement armeroient le peuple contre lui. Mais il avoit pris des précautions fi fages, que toutes les confpirations échouerent. Telle fut l'origine de l'ariftocratie Vénitienne qui fubfifte encore aujourd'hui, gouvernement injufte, fans doute, qui donne mille rois au lieu d'un, à un peuple qui fe croit libre. C'eft cependant cette hérédité qui, malgré la hauteur de la nobleffe, a fait la fplendeur & la force de cette république.

Le grand-confeil eft l'assemblée générale de la nobleffe; il se tient tous les dimanches, & toutes les fêtes. C'eft-là qu'on élit les magiftrats. Ce confeil eft la réunion de tous les autres, qui fufpendent leurs fonctions particulieres, lorsqu'il fe tient. C'eft ainfi qu'à Rome tous les magiftrats defcendoient de leurs tribunaux pendant la tenue des comices.

La maniere, dont on élit les magiftrats, eft la plus circonfpecte que la politique ait pu inventer. Le grand-chancelier lit à l'affemblée la lifte des charges vacantes. Les nobles tirent au fort pour devenir électeurs. Ceux-ci font au nombre de trente-fix; on les divife en quatre mains, ou bandes féparées; chaque électeur nomme un compétiteur, qui est ensuite ballotté par une main d'électeurs.

Sur trois guéridons élevés au-deffus de la hauteur ordinaire des yeux d'un homme, font trois urnes, qui renferment des boules blanches, & des boules dorées. Ceux à qui le hafard place dans la main les boules dorées font électeurs, ceux à qui les boules blanches tombent en partage n'ont point de voix dans l'élection. Chaque électeur, auffitôt que le fort l'a nommé, va fe placer devant le trône ducal, le vifage & les yeux tournés vers le prince, afin que perfonne de l'affemblée ne puiffe, par quelque figne, fe recommander à lui. Si dans une même main le fort tombe fur deux nobles d'une même famille, le fecond fe réferve pour la main fuivante, & tous les nobles de la même maison fe retirent; ainfi chaque main eft compofée de neuf gentilshommes de la même famille.

C'est dans une falle, féparée de celle du confeil, que fe font les élections. Pour qu'un compétiteur, nommé par un électeur, obtienne la com→ pétence, il faut que les deux tiers des fuffrages d'une même main se réu niffent en fa faveur; fans quoi il eft exclu, & on en propofe un autre jufqu'à ce qu'il y en ait un qui paffe. Alors les électeurs fe retirent; il n'y a que certains magiftrats, qui aient le droit de rentrer dans l'affem blée, pour faire valoir leur élection. Le chancelier lit les noms des 'com

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