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S. X V.

De la foi des traités.

AUX Lux obfervations que l'on a faites, dans le §. XH, au fujet de l'indifpenfable obligation de garder la parole & d'oblerver les traités, on ajoutera ici quelques réflexions concernant l'influence de la foi des traités fur le repos de toutes les nations & la tranquillité de la fociété univerfelle du genre-humain. En général, tout ce que le falut public rend inviolable, eft facré pour tous les individus d'une fociété; c'est par cette raifon, que la perfonne du fouverain eft facrée, puifque le falut de l'Etat exige qu'elle foit dans une fureté inviolable. Il eft inutile de s'arrêter à prouver l'importance extrême des traités; car, qui ne fait qu'ils reglent les prétentions refpectives des fouverains, qu'ils fixent les droits des nations, affurent leurs intérêts, & font l'unique nœud qui puiffe lier entre elles les fociétés politiques, indépendantes les unes des autres, & qui ne reconnoiffent aucun fupérieur fur la terre.

On entend par la foi des traités, cette volonté ferme, fincere que l'on déclare, dans un traité, avoir dû remplir & obferver invariablement les engagemens que l'on prend : or, delà que cette foi affure le repos & le falut des nations, on comprend combien il importe qu'elle foit immuablement fainte & facrée : auffi l'infamie eft, ou bien doit être la juste punition de quiconque viole fa foi: car, il fait en même temps injure à la puiffance qui devoit le plus particuliérement compter fur fa promeffe, & toutes les nations qui avoient droit de compter fur fa parole, à laquelle il ne peut manquer, fans fe déclarer hautement infracteur du droit des gens. En forte que celui qui foule aux pieds la foi des traités, autorife toutes

les nations à fe réunir contre lui, comme contre un ennemi public, & le violateur du repos & de la fureté du genre-humain. Ce n'eft cependant pas que tout fouverain qui rompt fes traités, & fe refufe à leur exécution, doive être par cela feul préfumé violer & méprifer la foi des traités, car il peut avoir des raifons qui l'autorifent à en agir ainfi : mais l'ennemi du genre-humain, eft l'Etat ou le fouverain qui fur les plus frivoles prétextes, ou même fans prétexte, manque à fes engagemens, & dont la mauvaise foi eft manifefte. Tel étoit Jean XXII, qui fe jouoit & des traités & des fermens, dont il défioit, au gré de fa turbulente ambition, les fouverains, auxquels il ordonnoit en maître, de renoncer aux alliances, aux ligues, aux confédérations le plus folemnellement jurées; & cela fur le prétexte que c'étoit à lui feul qu'il appartenoit de délier les hommes de leurs fermens; comme fi les fermens conftituoient l'obligation de garder une promeffe ou un traité. On le croyoit alors; on a pensé différemment depuis, & l'on convient généralement aujourd'hui que le ferment ne produit point une obligation nouvelle, mais qu'il ne fait que fortifier celle

que le traité impofe; en forte qu'il fuit en tout, le fort de cette obligation, & devient nul avec le traité même, dont il ne change la nature en aucune maniere.

De ce que le ferment n'impofe point d'autre obligation que celle qui réfulte du contrat même, il s'enfuit qu'il ne fauroit donner aucune prérogative à un traité sur un autre; en forte que dans le cas où il y a collifion entre deux traités d'alliance, le plus ancien doit être préféré, comme on le dit (S. 12) quand même le dernier auroit été confirmé par ferment. A plus forte raifon, le ferment ne peut-il rendre valide un traité qui ne l'eft point, ni rendre jufte & légitime celui qui eft injufte & illégitime.

Ces obfervations conduifent naturellement à ce principe qui n'a été que trop fouvent méconnu; favoir, que la foi des traités ne dépend point de la diverfité de religion, & que la plus affreufe des maximes eft que l'on ne doit point garder la foi aux hérétiques.

C'eft aux puiffances qui traitent entre elles à prendre toutes les précautions que la prudence & la bonne foi dictent, pour qu'il ne refte aucune équivoque, aucune obfcurité dans les termes, les phrafes & la fuite des articles d'un traité car c'eft une odieufe mauvaise foi d'ufer de fubterfuges, de détours, d'expreffions ambiguës, & de fe ménager le moyen d'interpréter dans la fuite le traité d'une maniere toute différente de celle que l'on a donnée à entendre à la puiffance que l'on trompe. A la honte du trône il y a eu des rois, & des chefs de nations, qui fe font avilis jufqu'à user de pareilles fubtilités, & qui fe font même enorgueillis de leur habileté dans cet art, auffi perfide qu'il eft déshonorant. Tel fut jadis Periclès, qui, ayant promis la vie à ceux des ennemis qui poferoient le fer, les fit indignement mettre à mort, fous prétexte qu'ils avoient des agraffes de fer à leurs manteaux; tel fut encore Fabius-Laber, général romain qui, ayant promis à Antiochus de lui rendre la moitié de fes vaiffeaux les fit tous fcier par le milieu, & lui envoya dire de venir en recevoir la moitié. Il est fâcheux que les exemples de ce genre foient fans nombre & qu'il y en ait autant des temps modernes que des temps reculés.

La foi tacitement donnée est tout auffi facrée, que la foi engagée expreffément; elle eft tacite lorfqu'elle eft fondée fur un confentement tacite, qui fe déduit par une jufte conféquence, des promeffes principales ou des démarches de quelqu'un. Ainfi promettre à une armée ennemie la fu reté de fon retour chez elle, c'eft s'engager tacitement à ne pas lui refuser des vivres, fans lefquels elle ne fauroit s'en retourner; de même, demander ou accepter une entrevue, c'eft promettre tacitement toute fureté, fans laquelle nul ne s'engageroit dans une entrevue. Ce fut une odieufe fourberie que celle de Sapar, roi des Perfes, qui, ayant répondu aux propofitions de paix que lui envoya faire l'empereur Valérien, que c'étoit avec l'empereur en perfonne qu'il vouloit traiter, fit faifir Valérien qui s'étoit prêté, fans défiance, à cette entrevue, le retint prisonnier jusqu'à la mort, & le traita avec la plus barbare cruauté.

§. X V I.

Des furetés données pour l'obfervation des traités.

QUELQUE étroite que foit l'obligation où l'on eft de garder la foi des trai

tés, la corruption des hommes eft telle, que l'expérience n'a que trop fréquemment prouvé que les devoirs les plus faints & les plus facrés n'ont prefque point de puiffance, quand ils ont à lutter contre les paffions, & qu'ils font communément facrifiés à l'intérêt, à la haine, à l'ambition, &c. Auffi a-t-il été d'une extrême importance de trouver, contre la perfidie, des moyens de procurer des furetés qui donnaffent à la foi des promeffes une ftabilité que la force des engagemens & la majesté du rang des fouverains ne leur donnoient pas toujours. Ces moyens font la garantie, le cautionnement, le gage, l'hypotheque & les otages.

La garantie n'eft autre chofe que l'intervention d'un fouverain puiffant, qui promet & fe rend garant de l'obfervation d'un traité entre deux ou plufieurs puiffances étrangeres, & qui s'engage à en faire maintenir les conditions. Il faut, fans contredit, que celui qui veut bien s'impofer une femblable tâche, ait de fortes raifons pour le déterminer à entrer ainfi dans un engagement d'autant plus onéreux, qu'il pourra fe trouver obligé à employer la force contre celui des contractans qui viendra dans la fuite, à manquer à fes promeffes. La garantie eft générale, quand le garant la promet également à toutes les parties contractantes; elle l'eft moins, quand il ne la promet qu'à quelques-unes; elle n'est que particuliere, lorfqu'elle n'eft affurée qu'à l'une des parties.

On peut définir la garantie, une espece de traité par lequel on promet d'affifter & de fecourir quelqu'un, dans le cas où il en ait befoin pour contraindre un promettant infidele à remplir fes engagemens. On voit d'après cette définition que le garant refte parfaitement étranger au traité, jufqu'à l'exécution de celui-ci, & qu'à moins d'en être requis par la puiffance envers laquelle il s'eft engagé, il n'a ni le droit de demander que le traité foit exécuté, ni celui d'en preffer l'obfervation. Auffi les fouverains font-ils les maîtres de s'écarter d'un commun accord & fans en avertir le garant, de la teneur du traité, d'en changer les difpofitions, & de l'annuller même. Il eft vrai que dans ce cas, le changement des difpofitions du traité dégage entiérement le garant, fans l'aveu & le concours duquel le changement a été faft; le traité qu'on a ainsi changé, n'étant plus celui qu'il a garanti.

Il eft bon d'obferver encore que le garant n'eft obligé de donner du fecours à celui auquel il a accordé fa garantie, que dans le cas où celui-ci fe trouve hors d'état de contraindre lui-même le contractant infidele; en forte qu'il ne fuffit point qu'il s'éleve quelques conteftations entre les puiffances contractantes au fujet de quelques conditions du traité, pour que

le

le garant doive tout de fuite aider à force armée celui qu'il a garanti: c'eft feulement à lui d'examiner alors de quel côté eft la juftice; &, fi les prétentions de celui qui réclame fon affiftance, font réellement mal fondées, il peut & même il doit refufer de le foutenir. Car, ce n'eft point manquer à fes engagemens, mais feulement ne pas vouloir être le défenfeur de l'injuftice. 11 eft inutile de dire, qu'en aucun cas la garantie ne doit être nuifible à un tiers; de maniere que fi le traité garanti fe trouve contraire au droit d'un tiers, & que par cela même, il foit injufte en ce point, le garant n'eft point tenu d'en procurer l'accompliffement, l'équité naturelle défendant à chacun de foutenir l'injuftice.

Lorfque la durée de la garantie n'eft pas expreffément fixée, foit pour un certain temps, foit pour la vie des contractans, ou jusqu'à la mort du garant, elle fubfifte autant que le traité, puifque c'eft pour fa fureté qu'elle

a été donnée.

Le cautionnement eft plus obligatoire encore que la garantie; auffi, lorfque dans le traité il eft queftion de chofes qu'un autre peut faire ou donner, de la promeffe de payer une fomme d'argent, un tribut, &c. c'est une caution, & non pas une garantie qui procure la fureté de l'exécution du traité; fureté d'autant plus préférable, que la caution eft obligée de remplir la promeffe, au défaut de la partie principale; au lieu que le garant n'eft tenu que de faire ce qui dépend de lui, pour que celui qui a promis rempliffe fon engagement.

Pour la fureté d'un traité, fouvent une puiffance remet entre les mains d'une autre quelques-uns de fes effets ou de fes biens. Lorfque ce font des chofes mobiliaires, des joyaux, des meubles précieux, c'eft fimplement donner des gages: fi ce font des villes, des provinces, que l'on donne en engagement, par un acte qui les affigne feulement pour fureté d'une dette ces biens engagés fervent d'hypotheque mais fi on les remet entre les mains de la puiffance créanciere, elle les tient à titre d'engagement; & quand les revenus lui en font cédés pour lui tenir lieu des intérêts de la fomme due, c'eft les lui donner à titre d'antichrefe. Ce dernier cas excepté, tout le droit de l'Etat ou du fouverain, créancier, fe réduit à garder ce qui lui a été remis ou engagé, jufqu'à ce qu'il foit fatisfait par la puiffance débitrice, mais il ne peut faire aucune forte de changement dans la ville ou la province, qui ne lui eft engagée que pour la fureté de fon payement; &, à moins que l'empire ou l'exercice de la fouveraineté ne lui en ait été expreffément engagé, il ne doit fe mêler en aucune maniere du gouvernement; il n'en eft fimplement qu'engagifte, & en cette qualité, il est tenu de veiller à la confervation de ce pays; en forte que s'il vient à être envahi, ou à fe perdre par fa faute, il eft obligé d'indemnifer l'Etat qui le lui a remis.

L'engagement ceffe au payement de la dette, & alors celui qui tient le pays engagé doit le reftituer fidellement, & autant qu'il dépend de lui Tome XXIX. Mmm

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dans le même état où il l'a reçu; mais fi, à l'expiration du terme convenu, la dette n'eft pas payée, ou fi le traité pour la fureté duquel un pays avoit été engagé n'eft point accompli, la puiffance à laquelle on a donné des gages, ou des contrées en hypotheque, eft autorisée à les retenir & à fe les approprier, du moins jufques à concurrence de la dette ou du dédommagement qu'il étoit en droit d'exiger. Ce fut ainfi que les cantons de Berne & de Fribourg s'approprierent le pays de Vaux, qui leur avoit été hypothéqué par la maifon de Savoie, & qui leur eft légitimement refté.

C'est encore une excellente & très-ancienne maniere de fe procurer la fureté de l'exécution d'un traité, que celle d'exiger des otages, qui font des perfonnes confidérables, que le promettant livre à celui envers qui il s'engage, pour les retenir jufqu'à l'accompliffement de la promeffe. Le droit que le fouverain a fur les otages qui lui font livrés, fe réduit à s'affurer de leur perfonne, & à prendre des précautions pour qu'ils ne lui échappent point mais ces précautions ne doivent point aller au-delà de ce que la prudence exige, & il y auroit de l'inhumanité à ufer envers eux de mauvais traitemens; car, il n'y a que leur liberté d'engagée, & fi quelqu'un d'eux manque à fa parole, tout ce que l'on peut faire eft de les tenir en captivité. Du refte, lorfque l'engagement, à raifon duquel des otages avoient été donnés, font remplis, ils doivent être libres & rendus fans délai : car, ce feroit abufer de la foi facrée que de les retenir, même fous prétexte de quelqu'autre fujet de plaintes. En effet, puifqu'ils ont été livrés uniquement pour fureté d'une promeffe, auffitôt que cette promeffe eft remplie, ils doivent être remis en leur premier état, c'est-à-dire, rendus à euxmêmes & à leur patrie. Si ce principe n'étoit point refpecté, s'il n'étoit pas inviolable, il n'y auroit donc plus de fureté pour les otages, attendu que les fouverains ne manqueroient jamais de prétextes pour les retenir.

Ce n'eft cependant point qu'un otage qui commet quelqu'attentat dans les Etats du prince auquel il a été livré, ou bien qui y a contracté des dettes, ne puiffe très-légitimement y être retenu : mais alors, ce n'eft que pour les propres faits, & non pas à raifon du traité, à la foi duquel certe détention ne donne aucune atteinte. C'eft au refte, à celui qui livre des. otages à fournir à leur entretien, puifque c'eft par fes ordres & pour fon fervice qu'ils fe font livrés. On dit qu'ils fe font livrés; parce qu'on fuppofe qu'ils ont volontairement confenti à fervir de fureté. Mais on n'entend point par-là, que le prince qui a le droit de difpofer de fes fujets pour fon fervice, ne puiffe auffi choifir qui il veut pour otages, & que ceux-ci ne foient tenus d'obéir, pourvu qu'ils foient fujets précisément : car un vaffal ne peut y être contraint, attendu qu'il n'eft obligé à rien de plus envers le fouverain, qu'à ce qui eft déterminé par les conditions du fief. Comme le pouvoir de donner & de recevoir des otages appartient à quiconque peut faire un traité ou des conventions, il faut en conclure que,

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