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autorifée à regarder comme une injure les efforts que le fouverain étranger feroit pour rétablir celui qu'elle a dépoffédé, & ce fut pour cette raifon que l'Angleterre déclara la guerre en 1688 à la France, parce que Louis XIV foutenoit Jacques II, que la nation angloise avoit dépofé: ce fut par la même raifon, qu'une feconde fois, au commencement de ce fiecle, l'Angleterre déclara la guerre à Louis XIV, parce qu'il avoit reconnu pour légitime roi d'Angleterre, fous le nom de Jacques III, le fils de Jacques II.

Au refte, dans les alliances réelles, comme un fouverain eft allié de l'Etat, ou de la nation avec laquelle il a traité, fi elle vient à déposer fon prince, ou même à reconnoître l'autorité d'un ufurpateur, c'eft envers elle & non envers le chef dépoffédé que la puiffance alliée doit remplir fes engagemens car, s'oppofer à ces difpofitions domeftiques, ou en contef rer la validité, c'eft s'ingérer de fon gouvernement, & c'eft-là, comme on a eu foin de l'obferver ailleurs, ce qui n'eft permis à perfonne. Enfin, quelque jufte que foit la caufe d'un roi chaffè du trône, foit par fes fujets, foit par un ufurpateur étranger, les alliés ne font nullement obligés de foutenir, pour le défendre, une guerre éternelle, & après avoir fait tout ce qu'ils ont pu pour le rétablir, ils doivent plus à leurs propres fujets qu'à leur allié; &, obligés de donner la paix à leurs peuples, il eft de leur devoir de s'accommoder avec l'ufurpateur, & de traiter avec lui comme avec un fouverain légitime, Cromwel fut, fans contredit, un perfide, un ufurpateur, & fi la nation angloife n'eût point partagé fon crime, tous les fouverains de l'Europe euffent dû fe liguer contre lui, & ne poser les armes qu'après l'avoir fait périr fur l'échafaud. Mais la nation entiere approuva fes complots & fes parricides fuccès; les fouverains Européens euffent dû fe difpenfer de rechercher fon alliance; mais enfin, ils ne pouvoient pas fe difpenfer de reconnoître la qualité de protecteur que fa nation entiere lui avoit donnée.

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§. XIIL ...

De la diffolution, & du renouvellement des traités.

NE alliance à temps, difoit-on, dans le dernier paragraphe, prend fin lorfque le temps pendant lequel elle devoit durer, vient à expirer: mais fort souvent il refte incertain fi le terme marqué dans le traité eft ou n'est pas tout-à-fait expiré, car, dans une alliance contractée entre deux fouverains pour chaffer une nation conquérante d'un pays qu'elle avoit ufurpé, ou pour rétablir l'un des deux contractans dépoffédé de fes Etats, les fuccès des deux alliés ne font pas quelquefois fi complets, que la nation ufurpatrice paroiffe tout-à-fait hors d'état de faire une nouvelle invafion du pays d'où on l'a forcée feulement de s'éloigner, ni le fouverain fi bien Tome XXIX.

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raffermi fur le trône, qu'il ne lui refte plus à craindre de la part du ra viffeur de fa couronne, le même traitement qu'il en a effuyé. Comment dans ces deux cas, fixer le véritable terme de l'alliance? On répond qu'il eft attaché à la confommation de l'entreprise pour laquelle l'alliance a été formée; en forte qu'elle finit, ou bien, lorfque le pays envahi eft entiérement rentré sous la domination de fon légitime maître, & le fouverain, paifible poffeffeur de la couronne, ou bien, quand l'entreprise des alliés échouant, ils reconnoiffent l'impoffibilité de l'exécuter.

En général, rien n'empêche que lorfque les traités à temps expirent, ils ne foient renouvellés, foit par le confentement exprès des alliés, foit de leur confentement tacite. Si c'eft de leur confentement exprès, alors c'est moins un renouvellement, qu'un traité exactement nouveau. Quant au confentement tacite, il ne peut être préfumé que par des actes de telle nature, qu'ils fuppofent néceffairement le confentement des alliés à un renouvellement de traité. Encore même ces actes, à moins qu'ils ne foient de la plus grande évidence, ne prouvent pas toujours une intention marquée de renouveller; & fouvent ils n'indiquent qu'une fimple continuation, ou une extenfion. Dans le cas, par exemple, où, dans un traité d'alliance pour dix années entre deux fouverains, l'un des deux a promis de fournir à l'autre des troupes, à condition que le dernier payeroit annuellement, pendant la durée de l'alliance, une fomme convenue; fi, à l'expiration du terme, celui des deux contractans qui s'étoit engagé à fournir de l'argent paye une année du fubfide convenu, & que fon allié le reçoive; fans contredit, le traité eft continué pour un an, mais point du tout pour dix années. Mais fi, au lieu de cette fomme annuelle, il avoit été ftipulé dans le traité, que l'un des deux alliés payeroit à l'autre, dès la premiere des dix années d'alliance, quinze millions pour les troupes que fon allié s'étoit engagé à lui fournir, & que les dix années expirant, au lieu de ne plus demander des troupes, le premier des deux contractans faffe compter à l'autre une feconde fomme de quinze millions, & que le dernier accepte; alors ce confentement tacite équivaut à un nouveau traité, & l'alliance eft renouvellée pour le même terme de dix ans.

Dans tout contrat, l'une des parties manquant à fes engagemens, l'autre eft dégagée de fes obligations, à moins qu'elle n'aime mieux contraindre la premiere, comme elle en a le droit, à remplir fes promeffes. Il en eft exactement de même en matiere de traités, qui font des promeffes parfaites & réciproques: en forte que l'allié offenfé ou léfé par le manquement de l'autre contra&tant à fes engagemens, eft le maître ou de le forcer par les armes à effectuer le traité, ou bien, à le déclarer rompu; c'est à sa prudence & à fes intérêts à choisir le parti qui lui paroît le plus convenable. Toutefois, il faut obferver que fi ces deux alliés font engagés l'un envers l'autre, par des traités antérieurs qui n'ont aucun sapport avec l'objet du dernier, le manquement aux obligations impofées

par celui-ci, ne dégage point directement l'autre allié des engagemens qu'il a pris par les traités antérieurs : mais il eft autorifé à menacer l'allié infidele, de renoncer aux traités qui les lient ensemble, & même à effectuer la menace, fi elle ne produit point l'effet qu'il en attendoit : car, les fouverains vivent entr'eux dans l'état de nature, & l'on fait que dans cet état, chacun eft autorifé à obliger quiconque lui fait du tort, à le réparer, ou même, pour le punir & s'indemnifer, à le priver de quelques-uns de fes droits. La violation d'un traité, dans un article, peut très-légitimement en opérer la rupture dans tous les autres: non que fi cet article eft de peu d'importance, fa violation donne au fouverain léfé le droit de recourir tout de fuite à la voie des armes, & de rompre pour un foible fujet de plainte, un traité d'alliance & d'amitié on veut dire feulement que cette violation lui donne le droit de refufer à fon tour, ce qu'il avoit promis en vue de l'article violé, ainsi que de demander la réparation du dommage, ou même de menacer de renoncer au traité en entier; ce qu'il peut légitimement faire fi l'allié infidele refufe de lui donner fatisfaction.

Un traité, quoique réel & fait à perpétuité, expire cependant & s'évanouit, fi la nation avec laquelle il avoit été fait eft détruite, foit que tous ceux qui la compofent viennent à périr, foit que perdant fa fouveraineté, elle ne conferve plus fa qualité de fociété politique & indépendante. Cependant, il faut diftinguer entre les traités qui portent l'obligation de preftations réciproques, & qui ne peuvent fe foutenir qu'autant que les puiffances contractantes & les traités qui donnent feulement un droit acquis & confommé, indépendant de toute preftation réciproque. Car, il est très-vrai qu'une nation qui auroit cédé à un Etat voifin le droit de chaffe ou de pêche dans une riviere, ou celui de tenir garnison chez elle, & qui viendroit à être fubjuguée ou à paffer fous une domination étrangere, n'altéreroit en aucune maniere le droit de l'Etat acquéreur, attendu que ce droit du moment qu'il a été acquis n'a plus dépendu de la confervation ou de la ruine de la nation fubjuguée, à laquelle le conquérant n'a pu prendre que ce qui étoit à elle : il en eft de même des dettes d'une telle nation qui ne fauroient être anéanties par la conquête.

On a eu occafion de dire que le traité que fait une nation avec un fouverain, ne peut nuire ni déroger aux traités antérieurs, encore fubfiftans, qu'elle a faits avec d'autres puiffances. Ainfi un peuple qui fe met fous la protection d'un fouverain, ne peut le faire fans fe réferver fes alliances; à moins qu'il n'ait été, comme on l'a observé dans le §. XII, forcé à fe foumettre à un protecteur.

Il eft de principe que, comme les contrats fe forment par le confentement mutuel des contractans, de même ils font rompus par l'accord unanime des parties, lorfqu'elles confentent l'une & l'autre à y renoncer. Il en eft de même d'un traité, qui fe rompt par la volonté libre & réciproque des contra&tans.

S. XIV.

Des autres conventions publiques; de celles qui font faites par les puissances inférieures: de l'accord, en latin, fponfio; des conventions du fouverain avec les particuliers.

Tous les pactes publics, conventions, accords, promeffes, &c. faits

entre fouverains, ne different des traités que dans leur objet, & leur validité, leur exécution, les obligations qui en réfultent, leur rupture, &c. doivent être interprétées, & entendues d'après les principes qui ont été développés au fujet des traités.

Les puiffances fubalternes contractent, au nom du fouverain, & par jun ordre exprès de celui-ci, ou par le droit que leur en donne la charge dons elles font revêtues. On appelle puiffances fubalternes, des perfonnes publiques, magiftrats, miniftres, généraux d'armée, qui exercent au nom & fous l'autorité du fouverain. Sans contredit, tout ce que ces puiffances font par ordre exprès du fouverain, eft auffi fait par lui-même. A l'égard des conventions qu'elles font fans cet ordre exprès, elles le font par le pouvoir que leur en donne leur charge, ou la commiffion qu'elles rempliffent. Et ce pouvoir, ou elles le tiennent expreffément du fouverain, où il est naturellement attaché à leur commiffion c'eft ainfi que, fans en avoir reçu l'ordre particulier, le gouverneur d'une place & le général qui l'affiege font autorisés à convenir d'une capitulation, & ce qu'ils font, c'est l'Etat même & le fouverain qui font cenfés l'avoir fait. Mais fi, au-lieu d'une fimple capitulation, ce gouverneur, ce général d'armée, de même que fi un miniftre ou un ambaffadeur, excédant leur pouvoir, & les bornes de teur commiffion, font un traité ou une convention au nom de l'Etat ou du fouverain qui ne leur en a point donné l'ordre, le traité eft nul; à moins qu'il ne foit ratifié expreffément ou tacitement par le chef de l'Etat; expreffément, en vertu d'un acte par lequel le fouverain approuve la convention & s'engage à l'obferver; tacitement, lorfqu'il fait, en vertu de ce traité, des chofes qu'il ne pourroit pas faire s'il ne le tenoit pas pour conclu & arrêté.

Les Latins donnoient le nom de fimple promeffe, fponfio, à tout accord concernant les affaires de l'Etat, fait par une perfonne publique au-delà des termes & de l'étendue de fa commiffion, & fans ordre ni mandement du fouverain. Or alors, le contractant qui excede fon pouvoir, eft cenfé promettre feulement de faire en forte que l'Etat ou le fouverain ratifiera l'accord; & jufqu'à l'événement, un tet engagement n'eft fondé que fur l'efpérance de la ratification : & il eft manifefte qu'il n'eft en aucune maniere obligatoire pour l'Etat, lorfqu'il le défavoue. A l'égard de celui qui a fait un tel accord, il faut examiner en quels termes il l'a fait : car, s'il a trompé la puiffance étrangere, & qu'il fe foit dit fuffisamment auto

rifé; fans doute qu'il eft puniffable, & non pas fon fouverain dont il a ufurpé l'autorité, & qu'il a compromis, autant qu'il étoit en lui, en traitant en fon nom, & par la puiffance étrangere qu'il a trompée, & qui eft en droit de l'obliger à la dédommager. Mais s'il s'eft conduit de bonne foi, s'il a averti la puiffance à laquelle il a fait une telle promeffe, qu'il n'étoit nullement autorisé à lier fon fouverain ni l'Etat par un traité; alors il n'eft responsable de rien, & la puiffance qui a reçu fa promeffe, a volontairement couru le rifque de l'événement, & ne doit s'en prendre qu'à ellemême, fi elle a trop imprudemment compté fur une ratification dont on ne lui a donné que de légeres efpérances. Toute l'obligation du promettant fe borne, à faire de bonne foi, tout ce qu'il croira devoir faire légitimement pour engager le fouverain à ratifier ce qu'il a promis, & il n'eft pas douteux, que fi le traité eft jufte & avantageux à l'Etat, qui par ce moyen, a été préfervé d'un péril menaçant, il doit être ratifié; & dans ce cas, fe prévaloir du défaut de pouvoir dans le promettant, ce feroit abuser, par un procédé frauduleux, de la foi des traités.

A moins de cet avantage évident & d'un danger évité, le fouverain n'eft nullement tenu à rien, quand même la puiffance qui a imprudemment reçu la promeffe, auroit, fans en attendre la ratification, rempli de fon côté, fes engagemens, en tout, ou en partie.

A l'égard des contrats privés du fouverain, il eft jufte & de bienséance, de faire décider les difficultés qui peuvent s'élever à leur occafion, par les tribunaux de l'Etat; & c'eft l'ufage reçu dans tous les Etats policés. Quant à ceux que le fouverain fait avec des particuliers étrangers, comme fouverain & au nom de l'Etat, ils font foumis aux regles & aux principes que l'on a développés au fujet des traités publics : & l'on fait que l'un de ces principes eft que le fouverain qui contracte au nom de l'Etat, oblige la nation elle-même, & tous les princes qui lui fuccéderont. Quant aux dettes qu'il contracte, fi elles lui font particulieres, il n'y a que fes biens propres qui en répondent, mais fi elles ont été faites pour le fervice de l'Etat, & créées dans l'adminiftration des affaires publiques, elles font indifpenfablement obligatoires pour la nation entiere; à moins que, par les loix fondamentales, le fouverain ne foit pas autorifé à contracter de telles dettes; comme en Angleterre, où le roi ne peut ni emprunter, ni créer des impôts, fans le concours du parlement. Il en eft à peu près de même des donations faites par le fouverain; elles font très-valables, fi ce qu'il donne eft pris de fes biens propres, ou de fes épargnes; mais il ne peut donner le bien de l'Etat, quelque portion de domaine des fiefs confidérables, &c. qu'en vue du bien public, en récompenfe des fervices effentiels rendus par le donataire, ou pour quelqu'autre caufe qui intéreffe fenfiblement la nation, car toute donation qu'il fait fans raifon, fans caufe légitime & par prodigalité, eft révocable, de même que les immunités & les privileges qui tournent au préjudice de l'Etat, & qui ne lient ni la nation ni le fucceffeur du donateur.

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