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dans la Grece, & ce qu'il devoit à fes amis, fut long-temps incertain & flottant. Il fut tiré de fes perplexités par Archelaus qui vint le trouver pour traiter de la paix. Il fut ftipulé que Mithridate renonceroit à l'Afie mineure, à la Bythinie, à la Cappadoce & à la Paphlagonie. Il eut enfuite une entrevue avec le roi de Pont dans la ville de Dardanie où le traité fut confirmé. Dès que le calme fut rétabli dans les provinces de l'Afie, il fit voile pour l'Italie où il fignala fon retour par la défaite du jeune Marius & du conful Norbanus, qui après la mort du vieux Marius foutenoit la faction populaire. Lucullus, frere de celui qui vainquit Mithridate & Tygrane, & qui fut toujours un de fes plus zélés partisans, remporta une autre victoire qui affoiblit fes ennemis fans les abattre. A peine une de leurs armées étoit détruite, qu'il en renaiffoit une nouvelle. Sylla, qui ne pouvoit remporter des avantages fans perdre beaucoup de monde, corrompoit la fidélité de leurs foldats qu'il attiroit dans fon camp par d'éblouiffantes promeffes; & ce fut par cet artifice qu'il reprit la fupériorité fur les rivaux. Dés qu'il fut maître de Rome, il s'abandonna à fes penchans fanguinaires, & les Romains s'apperçurent qu'ils n'avoient fait que changer de tyran. Il fit afficher les noms de quatre-vingts profcrits les plus refpectés du peuple qui en témoigna fon mécontentement. Le jour fuivant, pour braver le peuple, il fit afficher les noms de cent vingt, & le troifieme jour autant. Il prononça un arrêt de mort contre ceux qui donnoient l'hofpitalité aux profcrits fans en excepter les freres, les peres, les. meres, & les enfans. Le prix de l'homicide étoit de deux talens. Le fils qui avoit tué fon pere, le pere qui avoit tué fon fils, l'efclave qui avoit tué fon maître, recevolent cet infame falaire. Les maris étoient égorgés dans les bras de leurs femmes, & les enfans fur le fein de leurs meres. Les biens des profcrits étoient confifqués, & il en récompenfoit les courtifanes, les farceurs & les autres miniftres des voluptés. Quand il n'eut plus d'ennemis à redouter, il s'abandonna au torrent de fes paffions. Les plus diffolus furent fes favoris. Il admit dans fes familiarités les comédiens Rofcius, Xorexe & Metrobius, qui n'étoient célébres que par leurs farces & leurs bouffonneries. Il paffoit avec eux les jours dans les feftins, & il ne quittoit la table que pour fe livrer au plaifir de l'amour. Cette vie diffolue le fit tomber dans une maladie de langueur qui lui fit préfager que fa mort étoit prochaine. Son corps devint fucceffivement une plaie d'où fortoit un effaim renaiffant de poux. Quoique fon mal ne fit qu'augmenter, il continua à fe mêler du gouvernement. La veille même de fa mort on lui dit que Granius étoit redevable au tréfor public, il ordonna de le faire comparoître devant lui. Dès que cet infortuné débiteur fe fut préfenté, des fatellites reçurent ordre de l'étrangler. La colere où fe mit Sylla, fit crever l'abcès qu'il avoit dans le corps. Il en fortit tant de fang qu'il en mourut. On a dit de lui que jamais homme n'a fait tant de bien à fes amis, ni taut de mal à fes ennemis.

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Sa politique en fe démettant de la dictature. Mefures qu'il prit pour fa fureté.

L'ABDICATION de Sylla a long-temps été regardée comme un profond myftere de politique, comme une démarche furprenante & fort difficile à expliquer. Elle fut une action hardie pleine de bon fens & de prudence. Si Cefar eut fuivi cet exemple, il auroit probablement évité une fin tragique; & fi Sylla n'avoit point abdiqué, il auroit pu fubir le fort de Céfar. Le peuple a autant de penchant à l'oubli des injures qu'à la violence. Le rétabliffement de la liberté publique étoit, pour les Romains qui l'aimoient avec paffion, un trait de douceur qui devoit gagner tous les cœurs. Sylla avoit, pour s'emparer de la dictature, une excufe dans la diffention des partis il pouvoit faire regarder son procédé comme néceffaire à fa propre fureté & à celle de la nobleffe, contre la violence de Marius & de fes adhérens à la tête des plébéïens. Cette confidération servoit à justifier, ou du moins à excufer plufieurs actes de cruauté & d'autorité abfolue, & fon abdication fut regardée du public comme une conduite qui compenfoit & expioit tout ce qui s'étoit paffé auparavant.

Si en conféquence Sylla abdiqua uniquement dans le deffein d'être en repos & en fureté, il réuffit. Si l'on fuppofe que c'étoit un trait de grandeur d'ame, cette opinion fuffifoit pour lui attirer de grands applaudiffemens; comme à un homme animé de quelque chofe de plus grand que l'ambition, ou du moins de la plus louable des ambitions, qui lui faifoit préférer l'intérêt & la prospérité de l'Etat aux charmes & à l'éclat du pouvoir abfolu, qui l'obligeoit à chercher fa gloire perfonnelle dans le bien général, la feule gloire jufte & naturelle. Toute autre n'en mérite pas le nom; elle eft rampante, intéreffée & méprisable. L'abaiffement & l'affujettiffement de l'Etat entier, fur lequel s'élève un tyran, donne-t-il un droit à quelque portion de gloire?

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Sylla avoit des avis certains, & des preuves que fon pouvoir abfolu, dictature même, ne le mettoit pas à couvert de tout danger & ne lui procuroit pas une foumiffion abfolue. Son ami Pompée & d'autres jeunes patriciens, qui s'étoient rendus agréables au peuple, par leur adreffe & leurs belles actions, avoient acquis un grand crédit à Rome, & s'y étoient rendus affez puiffans pour le traverfer & le faire échouer dans les occafions importantes, pour l'emporter fur lui dans les élections que faifoit le peuple; car Sylla ne s'avifa point & n'ofa porter le pouvoir de la dictature jufqu'à abolir les magiftratures annuelles Céfar même n'alla pas jufques-là = il influoit feulement dans les délibérations par fon crédit. Sylla jugea bien qu'il ne lui convenoit pas de pouffer à bout tous les citoyens, fur-tout ceux

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qui avoient affez de courage & de crédit pour former un parti puiffant, gens qui étoient déjà trop forts pour lui, & qui feroient bientôt devenus capables de le forcer à abdiquer. Une abdication volontaire étoit de beaucoup préférable &plus fure. Si les antagonistes de Sylla avoient été julqu'à le forcer d'abdiquer, ils auroient peut-être jugé néceffaire d'aller encore plus loin, & de lui ôter la vie, pour affurer la leur. Une démiflion volontaire ne l'anima point à fe venger de ceux qui lui étoient oppofés, ni eux à prendre des précautions contre fon animofité.

On peut croire encore que Pompée & les autres grands de la république, bien-aifes de s'être délivrés de Sylla, & cherchant à partager au moins le pouvoir dont il étoit revêtu, avoient pris ouvertement des engagemens avec lui pour la fureté de fa perfonne, ou étoient fuppofés y être engagés par des raifons d'Etat. On avoit déjà paffé une ordonnance publique, qui confirmoit tous les actes & réglemens de Sylla, quoiqu'il y en eût pluhieurs de tyranniques & de barbares; mais d'autres en nombre étoient utiles à la confervation de la paix publique & du bon ordre; la plupart même étoient en faveur de la nobleffe, contre le pouvoir du peuple & de ses tribuns; on déclara le tout conforme aux loix, & on s'en fervit comme de modele pour les nouvelles loix de la république. Ces réglemens furent confervés & exécutés, non feulement après l'abdication de Sylla, mais même après la mort.

Sylla étoit parfaitement inftruit de la fituation des affaires, du crédit & des vues des chefs de parti, ainsi son abdication ne fut pas totalement l'effet de fa magnanimité; on doit l'attribuer à l'intérêt de fa propre tranquillité, à l'envie de conferver une forte d'empire & de hardieffe après fa réfignation. C'étoit pour avoir la liberté de fe promener dans le marché romain de fe mêler encore des affaires publiques, au point de faire mettre à mort en fa présence un homme qui venoit de lui dire des injures, dans le temps qu'il n'étoit plus dictateur. De forte que, quelque déclaration qu'il fit lors de fon abdication, il ne fe fioit pas entiérement à fon bon génie ni à fa bonne fortune.

Sylla, revêtu & en poffeffion d'un pouvoir redoutable, ne pouvoit pas prévenir l'attentat d'un défefpéré qui n'auroit pas craint la mort il n'y a aucun monarque qui le puiffe. Sylla avoit befoin de prendre fes furetés contre le peuple, contre les pourfuites publiques, ayant bien des comptes à rendre pour ce qu'il avoit fait dans la république, fpécialement contre les plébéïens. 11 trouva fa fureté dans l'état où il laiffa la république: ayant abaiffé le peuple & donné une pleine autorité aux patriciens, fes amis & ceux qui étoient à la tête des affaires, ne pouvoient pas en bonne politique fouffrir qu'on le pourfuivît.

Il s'étoit défait de fes plus redoutables ennemis, d'abord en s'en rendant le maître, & enfuite en les faifant périr. Il avoit commis toute forte de cruauté; il avoit employé le fer, là profcription, le banniflement & les

confifcations; il avoit condamné & fait périr cent mille citoyens romains, avec près de cent fénateurs & près de trois mille chevaliers romains. Ceux de fes ennemis qui reftoient en vie, fpécialement les enfans des profcrits, étoient dans l'impoffibilité de se rétablir, à cause de certaines loix qui leur en ôtoient les moyens comme on va le voir.

Parmi plufieurs réglemens fages & néceffaires, il en fit qui ne pouvoient guere avoir d'autre but que de contribuer à fa fureté dans la retraite.

Il avoit fait un don aux fideles foldats de fes légions, de toutes les meilleures colonies, & des grandes villes municipales d'Italie, qui avoient embraffé le parti qui lui étoit oppofé: il avoit ainfi en eux une armée nombreuse & expérimentée, qui ne lui coûtoit rien, & qui étoit prête à tout événement pour fa défense.

A Rome, il avoit accordé la liberté à dix mille esclaves qui avoient appartenu aux citoyens profcrits; & cela fous prétexte de peupler la ville d'un corps d'hommes libres, & de remplacer la perte de tant de milliers qui avoient péri dans la guerre civile. Ces hommes, diftingués par le titre de Cornéliens, mot pris de fon nom, lui tenoient lieu de gardesdu-corps à Rome, & lui étoient entiérement dévoués étant tous fes

créatures.

S'étant faifi des richeffes immenfes poffédées par ceux qui lui avoient déplu ou qui lui étoient devenus fufpects, il les avoit diftribuées, & s'étoit fait par-là plufieurs amis puiffans; en avançant fes créatures à tous les poftes d'autorité & de confiance dans les provinces, il s'y étoit fortifié comme à Rome.

Il s'étoit précautionné contre les attaques des plébeïens, en fupprimant, ou pour mieux dire, en diminuant le pouvoir des tribuns, ces magiftrats formidables qui maîtres dans Rome avoient fi long-temps tenu le fénat en respect, & gouverné le peuple. Par une de fes ordonnances, les feuls patriciens pouvoient être tribuns du peuple, & après avoir rempli cet of fice, ils ne pouvoient être élevés à aucune des grandes charges de l'Etat à la charge de conful ou de préteur. Cette ordonnance les empêchoit auffi d'animer & de haranguer le peuple, & de débattre en fa préfence pour ou contre aucune loi propofée. Quant à l'administration des tribunaux c'est-à-dire, l'exécution des ordres de la juftice tant civile que criminelle, il l'avoit ôtée aux chevaliers romains, & l'avoit entiérement confiée aux fénateurs changement d'une grande importance, tant pour lui que pour eux.

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Il avoit fait des actions agréables au peuple, très-honorables & trèsavantageufes pour Rome. Il venoit de conquérir la Grece, de recouvrer la Macédoine, de fubjuguer la Thrace, de vaincre Mithridate, cet ennemi formidable & invétéré des Romains, & avoit délivré de fa tyrannie les villes de la côte d'Afie.

Il étoit brave, heureux, de bonne mine, & éloquent; toutes qualités

agréables au peuple; il avoit apporté dans Rome de grandes richesses & lui avoit acquis beaucoup de gloire.

Il amufa les Romains par des fpectacles magnifiques & par des divertiffemens: il leur donna de grandes fêtes; & fit beaucoup de largeffes; tous moyens propres à gagner le peuple. Sa derniere action, fon abdication, fut la plus agréable de toutes aux citoyens; & quoiqu'elle ne fit que couvrir plutôt que réparer les maux qu'il avoit faits, elle rendit fon nom célébre dans Rome jufqu'à la fin de fa vie; fa mort fut encore accompagnée des plus grands honneurs de la part des Romains.

SYSTÈME POLITIQUE.

LE mot de Syftême, dans le fens le plus étendu, fignifie l'arrangement

fur lequel tout eft formé de plufieurs parties. En politique, on entend par-là l'arrangement des mefures fouvent variées qu'un Etat prend, tant paur fes affaires internes qu'externes, dans le deffein toujours uniforme de fe conferver & de s'agrandir. Je n'ignore pas que tous les fyftêmes, soit philofophiques, foit autres, entraînent cet inconvénient d'obliger leurs auteurs à gêner la nature, & à faire entrer par force tous les objets de détail dans le plan général qu'ils ont conçu : mais je fais auffi que fe conduire fimplement au hafard, fans regle & fans deffein, fait tomber dans des inconvéniens mille fois plus grands encore. L'opinion qu'on adopte, le projet qu'on forme aujourd'hui, eft détruit par une autre opinion, par un autre projet qu'on prend le lendemain. Avec tout l'art du pilote, avec la bouffole & le gouvernail, un vaiffeau peut fe brifer contre un écueil; mais que fera-ce s'il vogue au gré des vents fans ces aides & ces fecours? Un gouvernement politique, qui ne fuit aucun fyftême, court encore plus de rifques car, comme chaque Etat a, par la fucceffion des temps, une fuite de maîtres qui dirigent fes affaires, lefquels n'ont pas les mêmes lumieres, les mêmes talens & les mêmes vues, que peut-il réfulter de cette diverfité de façons de gouverner, fi l'on n'a établi quelque regle, quelques points de vue fixe, pour diriger, pour guider tant de conducteurs différens ?

Après tout, on fuppofe toujours, ou que le fouverain eft prudent & habile lui-même, ou qu'il emploie des miniftres fages, qui favent fe plier aux circonftances des temps, fans néanmoins perdre entiérement de vue le fyftême fondamental de l'Etat. On fait bien que d'autres temps demandent d'autres foins; mais l'objet du bonheur d'un pays refte toujours le même, & c'eft à quoi on eft obligé de toujours revenir. Il eft aifé, par exemple, de voir que l'abaiffement de la maifon d'Autriche fait un des objets du fyftême politique de la France; cependant nous avons vu ces deux puif

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