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TONTINE, f. f.

LES ES Tontines ont pris leur nom de Laurent Tonti, de la ville de Naples, qui propofa le premier cette efpece de loterie en France, en l'année 1653. C'eft une forte de fociété viagere où ceux qui ont contribué à en former les fonds, fe fuccedent dans la jouiffance des rentes viageres qui la compofent, & héritent les uns des autres à mesure qu'il en meurt quelqu'un; en forte néanmoins qu'après la mort du dernier actionnaire, les rentes s'éteignent, & retournent au profit de celui qui a établi la Tontine; & qui eft refté garant des arrérages, c'est-à-dire, fuivant notre fyftême, au profit de l'Etat, qui feul peut fe rendre caution d'un fonds aufli confidérable, & qui feul auffi doit en retirer les avantages. En 1689 il fur établi une Tontine en France, qui confiftoit en 14,000,000 livres de rentes viageres, conftituées au denier quatorze, c'eft-à-dire, à dix pour cent, & qui devoient former un fonds de quatorze millions. Les claffes étoient au nombre de quatorze, qui chacune devoit être compofée de cent mille livres defdites rentes. Les actions étoient de trois cents livres chacune, dont l'intérêt devoit fe recevoir par chaque particulier à proportion de la claffe où fon âge le mettoit. Enfin cet intérêt devoit s'augmenter, & accroître pour les actionnaires, par la mort des affociés qui fe trouvoient dans la même claffe. Cette Tontine n'a jamais vu, à la vérité, fes claffes entiérement remplies, mais elle n'a pas laiffé que de fubfifter long-temps, auffi-bien qu'une feconde qui s'établit quelques années après; car jufqu'en 1726 toutes les claffes des deux Tontines avoient duré, & aucune n'étoit encore éteinte au profit du roi. Mais enfin cette même année fa majesté se réunit la treizieme claffe de la premiere, & la quatorzieme de la feconde, dont toutes les actions étoient tombées fur la tête de la veuve d'un chirurgien à Paris, morte le 24 janvier 1726, âgée de 96 ans. Elle n'avoit mis dans chacune de ces Tontines qu'un capital de trois cents livres, mais ayant furvécu à tous fes co-actionnaires dans l'une & l'autre de ces claffes, elle jouiffoit à fa mort de 73500 livres de rente à quoi montoit le fonds annuel de toutes les deux (a).

Une Tontine a donc ceci de commun avec les rentes viageres, que le capital ou l'enjeu eft perdu dans toutes les deux, mais elle en differe en ce que les intérêts qui font payés du capital de la Tontine, courent auffi long-temps qu'un feul des actionnaires fe trouve encore en vie, & que les rentes de ceux qui meurent accroiffent aux furvivans. L'avantage des Tontines fur les rentes viageres confifte principalement en ce qu'avec un

(a) Voyez le dictionnaire de Savary, 1183,

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petit capital l'actionnaire peut fe procurer un revenu confidérable lequel croiffant à mesure qu'il avance en âge, lui préfente la perfpective d'une vieilleffe heureufe & pleine d'aifance; un pere de famille peut de même mettre fes enfans à l'abri de l'indigence, fur-tout dans leur vieilleffe, en plaçant fur la tête de chacun un capital modique, &c. Ces avantages deviennent plus univerfels pour toutes les claffes des citoyens, lorfque la mife ou les actions ne font pas trop fortes. On en établit une à Amfterdam en l'année 1671, dont le fonds n'étoit que de cinquante mille florins, chaque action de deux cents cinquante florins, & la fomme entiere de la rente annuelle quatre mille florins, de maniere que les intérêts étoient comptés à huit pour cent. Divers particuliers prirent plus d'une action, en forte que le nombre des intéreffés ou actionnaires, montoit à cent quatre-vingthuit perfonnes, dont après cinquante-fept années, favoir, en 1738, il y en eut encore vingt en vie, qui tiroient alors chacun deux cents florins de rentes annuelles pour deux cents cinquante, pour cent de mife. M. Struyk a calculé l'accroiffement des rentes d'une Tontine de la maniere fuivante: chaque actionnaire a tiré,

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Les cent quatre-vingt-trois actionnaires étant morts fucceffivement dans la proportion fuivante,

En l'année 1671 il y avoit 183 perfonnes.

1676

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Ces réflexions fuffiront pour donner une idée des Tontines & des prin

cipes fur lesquels elles font fondées. Je ne puis m'empêcher de remarquer encore que les tables qui fervent à déterminer la durée apparente de la vie humaine, fervent encore à ceux qui affurent, moyennant une certaine prime, la vie de quelqu'un. Cette efpece de commerce ou d'affurance eft affez ufitée dans les pays, où de grandes charges font vénales. Un particulier veut acheter une charge confidérable, dont le produit peut, au bout de quelques années, lui rendre fon capital débourfé, & le mettre à l'aise pour le refte de fes jours; mais il a une famille nombreuse qu'il n'aimeroit point à fruftrer de l'héritage paternel. En ce cas, il fait affurer fa vie pour dix, pour quinze, pour vingt ans, &c. en payant une certaine prime, ou un prix accordé, à l'affureur, & en évaluant fa vie à une fomme fixée que celui-ci eft obligé de payer à fes héritiers, s'il meurt avant le terme prefcrit, où il pouvoit être remboursé du capital qu'il a rifqué, en achetant la charge. L'affureur, qui ne veut pas contracter purement au hafard, & rifquer fon argent fans calculer ses chances, & l'affuré, qui eft intéreffé à ne pas payer une prime trop forte, peuvent l'un & l'autre faire un usage avantageux de ces tables qui leur mettent devant les yeux toute la proportion de la mortalité générale. Inftitutions politiques du Baron

DE BIELFELdt.

TORCY, Habile Négociateur François.

Négociations de M. DE TORCY.

LE traité de Rifwick venoit de mettre fin à la guerre qui s'étoit élevée entre la France, l'Angleterre & la Hollande, au fujet de l'invafion du trône d'Angleterre, ufurpé par Guillaume de Naffau, prince d'Orange, fur le roi Jacques II, fon beau-pere. Le comte de Portland étoit paffé en France, en qualité d'ambafladeur de la Grande-Bretagne, & les foins de ce miniftre avoient parfaitement contribué à l'établiffement de la bonne intelligence entre fa majesté très-chrétienne & fa majefté britannique. Le feul événement capable, peut-être de la troubler, étoit la mort du roi d'Espagne. Il y avoit lieu de le prévoir comme prochain, les maladies de ce prince étant fréquentes, & fa foibleffe telle que chaque rechûte paroiffoit mortelle. Le roi Guillaume, prince habile & éclairé, ne pouvoit s'aveugler fur la révolution que ce grand événement produiroit en Europe. Il connoiffoit par conféquent Ja néceffité de prendre des mesures juftes & à temps, pour prévenir le renouvellement d'une guerre générale.

Ces circonftances jointes au défir fincere de maintenir le paix, déterminerent le roi de France à propofer en 1697 au roi d'Angleterre, un partage de la monarchie d'Espagne, à peu près dans l'efprit de celui que ce

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prince avoit fait bien des années auparavant avec l'empereur Léopold. Le marquis de Torcy fut chargé de la part du roi de France, de négocier cette affaire. Elle fut conduite avec toute l'ad effe & l'intelligence poflibles; malgré les intrigues de la reine d'Espagne & de l'empereur. Les Etats-généraux furent admis à ce partage, & le traité en fut figné à La Haye, le 11 octobre 1698. Selon ce partage, Monfieur le dauphin devoit avoir les royaumes de Naples & de Sicile, les places dépendantes de la couronne d'Espagne, fituées fur les côtes de Tofcane, le marquifat de Final & la province de Guipufcoa. Le prince électoral, qui avoit une prétention directe à la fucceffion, étoit défigné pour régner fur l'Espagne & les Indes. Les Pays-Bas devcient auffi lui appartenir. La fouveraineté du Milanez formoit le partage de l'archiduc, fecond fils de l'empereur. Comme il étoit effentiel que le roi catholique ignorât cet arrangement, les puiffances refpectives s'engagerent réciproquement à garder le plus grand fecret fur ce traité. Les chofes réuffirent au-delà même de ce qu'on efpéroit; mais un événement malheureux détruifit le fruit de toutes ces négociations; le prince de Baviere mourut, & le traité de partage s'anéantit.

Le roi d'Angleterre, inftruit de cette circonftance, donna ordre auffitôt à fon miniftre en France de s'informer des intentions du roi, fur le changement que cette mort apportoit aux mefures prifes pour la confervation du repos de l'Europe.

Sur la propofition que fit l'ambaffadeur d'Angleterre de recommencer un nouveau traité de partage, le roi de France y confen:it, mais à condition qu'on y feroit entrer l'empereur. En conféquence, il s'entama de nouvelles négociations, & le traité fut figné à Londres le 13 mai 1700. Outre les Etats qui avoient été accordés au dauphin dans le premier partage, on lui cédoit par le fecond, les duchés de Bar & de Lorraine, & le duc de Lorraine convenoit de recevoir en échange le duché de Milan. D'un autre côté, fi l'empereur foufcrivoit au traité, il étoit spécifié, que l'archiduc auroit pour fon partage l'Espagne, les Indes & les Pays-Bas. Un article féparé portoir, que l'empereur auroit le temps de trois mois pour délibérer; que s'il n'acceptoit pas le partage à l'expiration de ce terme, les alliés conviendroient entre eux du prince qu'ils jugeroient à propos de fubftituer à l'archiduc.

Cependant le roi de France avoit un parti confidérable en Espagne; la plus grande partie de la nation défiroit un prince de ce royaume pour la gouverner. Les miniftres, les confeillers-d'Etat, à l'exception de ceux qui étoient du parti de la reine, s'exprimoient comme le peuple. Le roi d'Espagne, au milieu de toutes ces rumeurs, gardoit le filence, & cependant confultoit, foit dans l'intérieur de fon royaume, foit au dehors, ceux qu'il croyoit les plus capables de lui donner des confeils conformes à la juftice, au bien de fes fujets, & par conféquent de mettre en repos fa confcience. Il s'adreffa à plufieurs théologiens & jurifconfultes, en Efpagne,

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à Naples & à différens évêques. Les avis furent uniformes. Aucun ne mit en doute que les princes de France n'euffent droit de lui fuccéder. Ce ne fut pas affez pour calmer l'agitation d'un monarque prêt de rendre compte à Dieu de fa conduite. Il voulut confulter encore le chef de l'églife. Le pape, avant de fe décider, voulut, fur une affaire auffi importante, prendre l'avis de quelques cardinaux : il en affembla trois diftingués par le mérite, la vertu & la capacité. Les fentimens du pape s'accorderent avec ceux de toute la nation espagnole; & le roi de France en ayant été informé, ne douta plus des intentions du roi d'Efpagne, en faveur d'un des princes de France. Toutefois fa majefté persista dans la résolution de s'en tenir aux engagemens qu'elle avoit pris & renouvellés par le fecond traité, quelque fujet qu'elle eut alors de douter de la bonne foi de fes alliés, que le retardement, les difficultés continuelles, la répugnance à convenir des mesures néceflaires pour l'exécution du traité, rendoient chaque jour plus fufpects.

Enfin, l'événement prévu depuis long-temps arriva. Charles II, roi d'Efpagne, mourut le premier novembre de l'année 1700, & fa mort caufa bientôt l'embrafement général de toute l'Europe. Par fon teftament, figné le 2 d'octobre précédent, il reconnut le droit de l'infante Marie-Thérefe fa fœur, reine de France, & mere du dauphin, & par conféquent, celui du dauphin, qui devoit être fon unique héritier, conformément aux loix de fes royaumes. Mais pour éviter l'alarme que l'Europe concevroit de l'union de tant d'Etats à la monarchie de France, dont le dauphin étoit le feul héritier préfomptif, Charles appelloit à la fucceffion le duc d'Anjou, fecond fils du dauphin, & le nommoit héritier de tous les royaumes & feigneuries, fans en excepter aucune partie & fans démembrement.

Le roi de France ayant reçu la nouvelle d'un événement si peu attendu, mais fi important à la famille royale, au bien-être du royaunie, & au repos général de l'Europe, affembla auffitôt fon confeil, pour entendre les avis, avant de prendre aucune réfolution. Mr. de Torcy, pour lors fecrétaire d'Etat, ayant le département des affaires étrangeres, fut présent aux délibérations. Il étoit plus aifé de prévoir, que de prévenir les fuites de la décifion dont il s'agiffoit. Le roi, par fes traités avec l'Angleterre & la Hollande, s'étoit engagé à rejeter toute difpofition que le roi d'Efpagne pourroit faire de fa monarchie, en faveur d'un prince de France, à quelque titre que l'acte en feroit fait. Sa majefté contrevenant à fes engagemens, s'attiroit le reproche de violer la parole facrée des rois, & la guerre étoit inévitable. D'un autre côté, il y avoit à confidérer que fi le roi refusoit d'accepter les difpofitions du teftament, ce même acte transféroit la fucceffion totale à l'archiduc; de forte que la maifon d'Autriche réuniffoit encore entre le pere & le fils, la puiffance de Charles-Quint, autrefois fi fatale à la France. Mr. de Torcy conclut que fi la guerre étoit inévitable, somme on ne pouvoit en douter, il falloit la faire pour foutenir le parti

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