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HERMIONE.

Hé bien à me venger n'est-il pas préparé?

Je ne sais.

Oreste me trahit?

CLEONE

HERMIONE.

Tu ne sais! Quoi done! Oreste encore:.

CLEONE.

Oreste vous adore :

Mais de mille remords son esprit combattu,
Croit tantôt son amour, et tantôt sa vertu.
Il respecte en Pyrrhus l'honneur du diadême,
Il respecte en Pyrrhus, Achille et Pyrrhus même.
Il craint les Grecs, il craint l'univers en courroux
Mais ils craint, dit-il, soi-même plus que tous;
Il voudrait en vainqueur vous apporter sa tête.
Le seul nom d'assassin l'épouvante et l'arrête.
Enfin il est entré, sans savoir dans son cœur
S'il en devait sortir coupable ou spectateur.

HERMIONE.

Non, non il les verra triompher sans obstacle ;
Il se gardera bien de troubler ce spectacle.
Je sais de quels remords son coutage est atteint.
Le lâche craint la mort, et c'est tout ce qu'il craint.
Quoi! sans qu'elle employât une seule prière,
Ma mère en sa faveur arma la Grèce entière;
Ses yeux, pour leur querelle, en dix ans de combats,
Virent perir vingt rois qu'ils ne connaissaient pas :
Et moi, je ne prétends que la mort d'un parjure,
Et je charge un amant du soin de mon injure,
Il peut me conquérir à ce prix sans danger;
Je me livre moi-même, et ne puis me venger!
Allons. C'est à moi seule à me rendre justice;
Que de cris de douleur le temple retentisse ;
De leur hymen fatal troublons l'événement;
Et qu'ils ne soient unis, s'il le peut, qu'un moment.
Je ne choisirai point dans ce désordre extrême:
Tout me sera Pyrrhus, fût-ce Oreste lui-même.
Je mourrai. Mais au moins ma mort me vengera;
Je ne mou rai pas seule, et quelqu'un me suivra.

SCENE III.

ORESTE, HERMIONE, CLÉONE.

OREST E.

Madame, c'en est fait, et vous êtes servie,
Pyrrhus rend à l'autel son infidelle vie.

Il est mort?

HERMIONE.

OREST E.

Il expire; et nos Grecs irrités.

Ont lavé dans son sang ses infidélités.
Je vous l'avais promis; et quoique mon courage
Se fit de ce complot une funeste image,

J'ai couru vers le temple, où nos Grecs dispersés
Se sont jusqu'à l'autel dans la foule glissés.
Pyrrhus m'a reconnu, mais sans changer de face;
Il semblait que ma vue excitât son audace;
Que tous les Grecs bravés en leur ambassadeur,
Dussent de son hymen relever la splendeur.
Enfin avec transport, prenant son diadême,
Sur le front d'Andromaque il l'a posé lui-même :
Je vous donne a-t-il dit, ma couronne et ma foi,
» Andromaque, régnez sur l'Epire et sur moi.
>> Je voue à votre fils une amitié de père;
» J'en atteste les dieux, je le jure à sa mère.
>> Pour tous mes ennemis je déclare les siens:
» Et je le reconnais pour le roi des Troyens.
A ces mots, qui du peuple attiraient le suffrage,
Nos Grecs n'ont répondu que par un cri de rage;
L'infidèle s'est vu partout envelopper,

Et je n'ai pu trouver de place pour frapper.
Chacun se disputait la gloire de l'abattre.

D.

Je l'ai vu dans leurs bras quelque temps se débattre,
Tout sanglant, à leurs coups vouloir se dérober;
Mais enfin à l'autel il est allé tomber.

Du peuple épouvanté j'ai traversé la presse,
Pour venir de ces lieux enlever ma princesse,
Et regagner le port, où bientôt nos amis
Viendront couverts du sang que je vous ai promis.

Qu'ont-ils fait?

HERMIONE.

ORESTE.

Pardonnez à leur impatience. Ils ont, je le vois bien, trahi votre vengeance. Vous vouliez que ma main portât les premiers coups: Qu'il sentit en mourant qu'il expirait pour vous. Mais c'est moi dont l'ardeur leur a servi d'exemple. Je les ai pour vous seule entraînés dans le temple, Madame; et vous pouvez justement vous flatter D'une mort que leurs bras n'ont fait qu'exécuter. Vous seule avez porté les coups...

HERMIONE.

Tais-toi, perfide,

Et n'impute qu'à toi ton lâche parricide.
Va faire chez tes Grecs adinirer ta fureur;
Va, je la désavoue, et tu me fais horreur.
Barbare, qu'as-tu fait? avec quelle furie

6

As-tu tranché le cours d'une si belle vio;
Avez-vous pu, cruels, l'immoler aujourd'hui,
Sans que tout votre sang se révoltât pour lui.
Mais parle. De son sort qui t'a rendu l'arbitre?
Pourquoi l'assassiner qu'a-t-il fait? à quel titre?
Qui te l'a dit

OREST E.

O dieux! Quoi, ne m'avez-vous pas, Vous-même, ici, tantôt, ordonné son trépas ?

HERMIONE.

Ah! fallait-il en croire une amante insensée?
Ne devais-tu pas lire au fond de ma pensée?
Et ne voyais-tu pis, dans mes emportemens,
Que mon cœur démentait ma bouche à tous momens?
Quand je l'aurais voulu, fallait-il y souscrire?
N'as-tu pas dû cent fois te le faire redire :
Toi-même, avant le coup, me venir consulter?
Y revenir encore, ou plutôt m'éviter?

Que ne me laissais-tu le soin de ma vengeance?
Qui t'amène en ces lieux où l'on fuit ta présence?
Voilà de ton amour le détestable fruit :

Tu m'apportais, cruel, le malheur qui te sut.
C'est toi dont l'ambassade à tous les deux fatale,
L'a fait pour son malheur pencher vers ma rivale.
Nous le verrions encor nous partager ses soins;
Il m'aimerait peut-être, il le feindrait du moins.
Adieu. Tu peux partir. Je demeure en Epire;
Je renonce à la Grèce, à Sparte, à son empire,
A toute ma famille, et c'est assez pour moi
Traitre, qu'elle ait produit un monstre tel que toi.

SCÈNE IV.

ORESTE seul.

Que vois-je? est-ce Hermione? et que viens-je d'entendre?
Pour qui coule le sang que je viens de répandre?
Je suis, si je l'en crois, un traître, un assassin.
Est-ce Pyrrhus qui meurt? ou suis-je Oreste enfin?
Quoi! j'étouffe en mon cœur la raison qui m'éclaire;
J'assassine à regret un roi que je révère;
Je vio e en un jour les droits des souverains,
Ceux des ambassadeurs, et tous ceux des humains,
Ceux même des autels où ma fureur l'assiége;
Je deviens parricide, assassin, sacrilege;
Pour qui? pour une ingrate, à qui je le promets,
Qui même, s'il ne meurt, ne me verra jamais,
Dont j'épouse la rage; et, quand je l'ai servie,
Elle me redema..de et son sang et sa vie!
Elle l'aime, et je suis un monstre furieux!
Je la vois pour jamais s'éloigner de mes yeux;

Et l'ingrate, en fuyant, me laisse, pour salaire,
Tous les noms odieux que j'ai pris pour lui plaire.

SCENE V ET DERNIERE.

ORESTE, PYLADE, Soldats d'Oreste.

PYLAD E.

Il faut partir, seigneur, sortons de ce palais,
Ou bien résolvons-nous de n'en sortir jamais.
Nos Grecs pour un moment en défendent la porte.
Tout le peuple assemblé nous poursuit à main forte.
Aux ordres d'Andromaque ici tout est soumis,
Ils la traitent en reine, et nous comme ennemis.
Andromaque elle-même, à Pyrrhus si rebelle,
Lui rend tous les devoirs d'une veuve fidelle,
Commande qu'on le venge, et peut-être qu'encor
Elle poursuit sur nous la vengeance d" or.
Allons, n'attendons pas que l'on nous

ɔnne,

Nos Grecs uous rejoindront; et tandis qu termione Tient encor le peuple autour d'elle arrêté,

Voilà notre chemin, marchons de ce côté.

ORES TE.

Non, non, c'est Hermione, ami, que je veux suivre,
A son dernier arrêt je ne puis plus survivre;
Partez: j'ai fait le crime, et je vais l'expier.

PY LAD E.

Hermione: seigneur, il la faut oublier.

Quoi! toujours l'instrument et l'objet de sa rage, Cherchez-vous chez les morts quelque nouvel outrage? Et, parce qu'elle meurt, faut-il que vous mouriez !

OREST E.

Elle meurt! Dieux ! qu'entends-je

PYLADE.

Eh quoi, vous l'ignoriez? En rentrant dans ces lieux nous l'avons rencontrée, Qui courait vers le temple, inquiète, égarée. Elle a trouvé Pyrrhus, porté par des soldats, Que son sang excitait à venger son trépas. Sans doute à cet objet sa rage s'est émue; Mais du haut de la porte enfin nous l'avons vue, Un poignard à la main, sur Pyrrhus se courber, Le.er les yeux au ciel, se frapper et tomber.

ORESTE.

Grace aux dieux, mon malheur passe mon espérance.
Oui, je te loue, ô ciel! de ta persévérance.
Appliqué sans relâche au soin de me punir,
Au comble des douleurs tu m'as fait parvenir.
Ta baine a pris plaisir à former ma misère:
J'étais né pour servir d'exemple à ta colère,
Pour être du malheur un modèle accompli.

Hé bien, je meurs content, et mon sort est rempli.
Où sont ces deux amans? Pour couronner ma joie,
Dans leur sang,
dans le mien, il faut que je me noie;
L'un en l'autre, en mourant, je veux les regarder.
Réunissons trois cœurs qui n'ont pu s'accorder.
Mais quelle épaisse nuit tout-à-coup m'environne?
De quel côté sortir? d'où vient que je frissoune?
Quelle horreur me saisit? Grace au ciel j'entrevois..
Dieux! quels ruisseaux de sang coulent autour de moi!

Ah! Seigneur!

PYLAD E.

OREST E.

Quoi! Pyrrhus, je te rencontre encore !

Trouverai-je partout un rival que j'abhorre?

Percé de tant de

Tiens, tiens,

Mais

ps, comment t'es-tu sauvé?

as dû coup que je t'ai réservé.

ཟླ

que Voise més yeux Hermione l'embrasse! Elle vient l'arracher au coup qui le menace! Dieux! quels affreux regards elle jet e sur moi! Quels démons, qu. Is serpens traiue-t-elle après soi! Hé bien! filles d'enfer, vos mains sont-elles prêtes? Pour qui sont ces serpens qui sifflent sur vos têtes? A qui destinez-vous l'appareil qui vous suit? Venez-vous m'enlever dans l'éternelle nuit? Venez, à vos fureurs Oreste s'abandonne. Mais non, retirez-vous., laissez faire Hermione; L'ingrate, mieux que vous, saura me déchirer, Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer.

PYLA DE.

Il perd le sentiment. Amis, le tems nous presse,
Ménageons les momens que ce transport nous laisse.
Sauvons-le. Nos efforts deviendraient impuissans
S'il reprenait ici sa rage avec ses sens.

FIN.

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