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ACTE SECOND.

SCENE PREMIÈRE.

ANTIGONE, HÉMON.

HÉMON.

QUOI! vous me refusez votre aimable présence,
Après un an entier de supplice et d'absence!
Ne m'avez-vous, Madame, appelé près de vous,
Que pour m'ôter sitôt un bien qui m'est si doux?

ANTIGONE.

Et voulez-vous sitôt que j'abandonne un frère?
Ne dois-je pas au temple accompagner ma mère?
Et dois-je préférer, au gré de vos souhaits,
Le soin de votre amour à celui de la paix?
HÉMON.

Madame, à mon bonheur c'est chercher trop d'obstacles;
Ils iront bien sans nous consulter les oracles.

Permettez que mon cœur, en voyant vos beaux yeux,
De l'état de son sort interroge ses dieux.

Puis-je leur demander, sans être téméraire,
S'ils ont toujours pour moi leur douceur ordinaire?
Souffrent-ils sans courroux mon ardente amitié ?
Et du mal qu'ils ont fait ont-ils quelque pitié ?
Durant le triste cours d'une absence cruelle,
Avez-vous souhaité que je fusse fidèle?

Songiez-vous que la mort menaçoit, loin de vous,
Un amant qui ne doit mourir qu'à vos genoux?
Ah! d'un si bel objet quand une ame est blessée,
Quand un coeur jusqu'à vous élève sa pensée,
Qu'il est doux d'adorer tant de divins appas !
Mais aussi que l'on souffre en ne les voyant pas !
Un moment, loin de vous me duroit une année:
J'aurois fini cent fois ma triste destinée,

Si je n'eusse songé, jusques à mon retour,
Que mon éloignement vous prouvoit mon amour;
le souvenir de mon obéissance

Et

que
Pourroit en ma faveur parler en mon absence;
Et que, pensant à moi, vous penseriez aussi
Qu'il faut aimer beaucoup pour obéir ainsi.

ANTIGONE.

Oui, je l'avois bien cru qu'une ame si fidèle
Trouveroit dans l'absence une peine cruelle;
Et, si mes sentiments se doivent découvrir,
Je souhaitois, Hémon, qu'elle vous fit souffrir,
Et qu'étant loin de moi, quelque ombre d'amertume
Vous fit trouver les jours plus longs que de coutume,
Mais ne vous plaignez pas; mon coeur chargé d'ennui
Ne vous souhaitoit rien qu'il n'éprouvât en lui,

Surtout depuis le temps que dure cette guerre,
que de

Et

gens armés vous couvrez cette terre. O dieux ! à quels tourments mon coeur s'est vu soumis, Voyant des deux côtés ses plus tendres amis ! Mille objets de douleur déchiroient mes entrailles; J'en voyois et dehors et dedans nos murailles:

Chaque assaut à mon cœur livroit mille combats, Et mille fois le jour je souffrois le trépas.

HÉMON.

Mais enfin, qu'ai-je fait en ce malheur extrême
Que ne m'ait ordonné ma princesse elle-même ?
J'ai suivi Polynice, et vous l'avez voulu;
Vous me l'avez prescrit par un ordre absolu.
Je lui vouai dès-lors une amitié sincère,
Je quittai mon pays, j'abandonnai mon père ;
Sur moi, par ce départ, j'attirai son courroux;
Et, pour tout dire enfin, je m'éloignai de vous.

ANTIGONE.

Je m'en souviens, Hémon, et je vous fais justice.
C'est moi que vous serviez en servant Polynice;
Il m'étoit cher alors comme il l'est aujourd'hui,
Et je prenois pour moi ce qu'on faisoit pour lui.
Nous nous aimions tous deux dès la plus tendre enfance,
Et j'avois sur son cœur une entière puissance;
Je trouvois à lui plaire une extrême douceur,
Et les chagrins du frère étoient ceux de la sœur.
Ah! si j'avois encor sur lui le même empire,
Il aimeroit la paix pour qui mon cœur soupire.
Notre commun malheur en seroit adouci;
Je le verrois, Hémon ; vous me verriez aussi.
HÉMON.

De cette affreuse guerre il abhorre l'image,
Je l'ai vu soupirer de douleur et de rage,
Lorsque, pour remonter au trône paternel,
On le força de prendre un chemin si cruel,

Espérons que le ciel, touché de nos misères,
Achevera bientôt de réunir les frères.

Puisse-t-il rétablir l'amitié dans leur coeur,
Et conserver l'amour dans celui de la soeur!

ANTIGONE.

Hélas! ne doutez point que ce dernier ouvrage
Ne lui soit plus aisé que de calmer leur rage,
Je les connois tous deux, et je répondrois bien
Que leur cœur, cher Hémon, est plus dur que le mien.
Mais les dieux quelquefois font de plus grands miracles.
SCÈNE II.

ANTIGONE, HÉMON, OLYMPE.

ANTIGONE.

Hé bien, apprendrons-nous ce qu'ont dit les oracles?

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Quel est donc ce grand mal que leur courroux annonce?

OLYMPE.

Prince, pour en juger, écoutez leur réponse :

<<< Thébains, pour n'avoir plus de guerres,
« Il faut, par un ordre fatal,

<<< Que le dernier du sang royal,

<< Par son trépas ensanglante vos terres. >>

ANTIGONE.

O dieux ! que vous a fait ce sang infortuné?
Et pourquoi tout entier l'avez vous condamné?
N'êtes-vous pas contents de la mort de mon père?
Tout notre sang doit-il sentir votre colère?

HÉMON.

Madame, cet arrêt ne vous regarde pas :
Votre vertu vous met à couvert du trépas.
Les dieux savent trop bien connoître l'innocence.

ANTIGONE.

Et ce n'est pas pour moi que je crains leur vengeance.
Mon innocence, Hémon, seroit un foible appui :
Fille d'OEdipe, il faut que je meure pour lui.
Je l'attends cette mort, et je l'attends sans plainte;
Et, s'il faut avouer le sujet de ma crainte,

C'est pour vous que je crains; oui, cher Hémon, pour vo
De ce sang malheureux vous sortez comme nous;
Et je ne vois que trop que le courroux céleste
Vous rendra, comme à nous, cet honneur bien funeste,
Et fera regretter aux princes des Thébains

De n'être pas sortis du dernier des humains.

HÉMON.

Peut-on se repentir d'un si grand avantage?
Un si noble trépas flatte trop mon courage;
Et du de ses rois il est beau d'être issu,

sang

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