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l'Europe. J'aurai occasion d'en parler encore, lorsque j'indiquerai les meilleures éditions qui ont été données du livre des Essais.

Après avoir surveillé la publication de la seconde édition de ses Essais, Montaigne retournant dans sa retraite (en 1588), passa par Blois, où étaient assemblés les États de la France, et qui devait être bientôt le théâtre des plus tragiques événemens. Rien n'annonce qu'il y vint par un motif politique. Il paraît pourtant qu'il avait été employé autrefois par la cour, dans quelque négociation assez délicate. C'est du moins ce que semble indiquer une confidence qu'il fit alors à De Thou, qui la rapporte dans son histoire. Montaigne, selon cet historien, prétendait qu'il avait tenté d'opérer un rapprochement entre le duc de Guise et le roi de Navarre (le père de Henri IV); que celui-là y paraissait très-disposé; mais que le roi n'avait voulu se prêter à aucune réconciliation. Si notre philosophe eut, en effet, quelques missions de cette espèce, il est assez étonnant qu'il n'en ait fait aucune mention dans ses Essais. Tant de réserve ne lui est pas ordinaire.

Le même motif qui l'avait autrefois éloigné de la perfide cour de Charles IX, je veux dire le spectacle des plus criminels attentats, le décida à quitter Blois, et à retourner dans sa retraite de Montaigne, d'où il ne devait plus sortir. Il y employa les quatre années qu'il lui était encore donné de vivre, à faire des corrections et des additions à l'ouvrage dont la composition avait fait le bonheur, le charme de sa vie.

Mais, an mois de septembre 1592, il fut attaqué d'une violente esquinancie, qui paralysa sa langue; et il mourut le 13 de ce même mois, sans avoir pu proférer une parole. Tout annonce qu'il vit s'approcher la mort avec courage. En vain s'était-il promis, comme on le voit en plusieurs chapitres des Essais, de continuer de jouer, en ce dernier moment, le rôle d'observateur. Nous ne pouvons connaître quelles furent alors ses pensées, ses méditations. Et c'est un regret pour la philosophie.

Montaigne, lorsqu'il mourut, n'avait pas encore atteint sa soixantième année. Quoique sa carrière n'ait pas été très-longue, il a vécu sous les règnes de six rois: François I, Henri II, François II, Charles IX, Henri III et Henri IV.

Cet homme qui nous a peint, avec tant de candeur, son ame, nous a donné aussi une idée de sa figure. Voici le portrait qu'il a tracé de lui-même : « l'ai la taille forte et ramassee, le visage non pas gras, mais plein, la complexion entre le iovial et le melancolique, moyennement sanguine et chaulde;

Unde rigent setis mihi crura, et pectora villis :

la santé forte et alegre, iusques bien avant en mou age, rarement troublee par les maladies (9). » C'était là à peu près la figure, la physionomie d'Horace; et il y a aussi bien des rapports entre leurs idées, leur

(9) Essais, L. II, c. XVII.

philosophie, et même dans la couleur de leur style. Montaigne eut plusieurs enfans, qu'il perdit dans leur âge le plus tendre: il n'avait conservé qu'une fille, qui, dans la suite, épousa, dit-on, un vicomte de Gamaches.

Voici les épitaphes qui furent gravées sur le magnifique tombeau que sa femme lui fit élever dans une église de Bordeaux.

D. O. M. S.

Michaeli Montano Petrocorensi Petri F. Grimundi. N. Remundi Pron. Equiti torquato, civi Romano, civitatis Biturigum Viviscorum ex-Majori, viro ad naturæ gloriam nato. Quojus morum suavitudo, ingenii acumen, extemporalis facundia, et incomparabile judicium supra humanam sortem æstimata sunt. Qui amicos usus reges maxumos, et terræ Galliæ primores viros, ipsos etiam sequiorum partium præstites, tamen etsi patriarum legum, et sacrorum avitorum retinentissimus, sine quojusquam offensa, sine palpo, aut pipulo, universis populatim gratus, utque antidhac semper advorsus omnes dolorum minacias monitam sapientiam labris et libris professus, ita in procinctu fati cum morbo pertinaciter inimico diutim validissime conluctatus, tandem dicta factis exæquando, polcræ vitæ polcram pausam cum Deo volente fecit.

Vixit ann. LIX. mens. VII. dieb. XI. obiit anno salutis CIɔ 15 VIIIC idib. septemb.

Francisca Chassanea ad luctum perpetuum heu relicta marito dolcissimo univira unijugo, et bene merenti mærens P. C.

Ηρέον, ὅστις ἰδὼν, ἠδ ̓ οὔνομα τοὐμὸν ἐρωτᾷς,

Μανθανε Μοντανός. Παύει θαμβοπαθεῖν.

Οὐκ ἐμὰ ταῦτα, δέμας, γένος ευγενές, όλβος ανολβος,
Προστασίαι, δυνάμεις, παίγνια θνητὰ τύχης.
Οὐρανόθεν κατέβην, θεῖον φυτόν, εἰς χθόνα Κελτῶν,
Οὐ σοφός Ελλήνων ὄγδοος, οὔτε τρίτος
Αυσονίων· αλλ' εἰς πάντων ἀντάξιος ἄλλων,
Τῆς τε βαθεῖ σοφίης, ἀνθεσί τ ̓ εὐεπίης.
ὃς καὶ χριςτοσεβεῖ ξυνώσα διδάγματι σκέψιν
Την Πυῤῥωνείην, Ελλάδα δ' εἷλε φθόνος,
Εἷλε καὶ Αὐσονίην, φθονερὴν δ ̓ ἔριν αὐτὸς ἐπισχών,
Τάξιν ἐπ ̓ Θὐρανίδων, πατρίδα μου, ἀνέβην. (*)

(*) M. de la Monnoye a rendu ainsi en vers latins, le sens de cette épitaphe :

Quisquis ades, nomenque rogas, lugere paratus,

Montani audito nomine, parce metu.

Nil jacet hic nostri, nec enim titulosque, genusque,
Fasces, corpus, opes, nostra vocanda puto.
Gallorum ad terras superis demissus ab oris
Non alter cecidi Chilo, Cato ve novus;
Ast omnes equans unus, quoscumque vetustas
Enumerat, celebres corde vel ore Sophos ;
Solius addictus jurare in dogmata Christi,
Cætera Pyrrhonis pendere lance sciens.
Jam mihi de sophia Latium, jam Græcia certent,
Ad Cœlum reducem lis nihil ista movet.

DE DIVERS AUTEURS (1)

SUR

LES ESSAIS DE MONTAIGNE.

I.

MONTAIGNE.

Iɛ ne veis iamais pere, pour teigneux ou bossé que feust son fils, qui laissast de l'advouer; non pourtant, s'il n'est du tout enyvré de cette affection, qu'il ne s'apperçoive de sa desfaillance; mais tant y a qu'il est sien: ainsi moy ie veoy mieulx que tout aultre que ce ne sont icy que resveries d'homme qui n'a gousté des sciences que la crouste premiere en son enfance, et n'en a retenu qu'un general et informe visage; un peu de chasque chose et rien du tout à la françoise...

Quoy qu'il en soit, veulx ie dire, et quelles que soient ces inepties, ie n'ay pas deliberé de les cacher; non plus qu'un

(1) J'aurais pu augmenter de cent autres noms, cette liste des auteurs qui ont bien ou mal jugé l'ouvrage de Montaigne. Je m'en suis tenu à des auteurs bien connus; et je les ai rangés dans un ordre à peu près chronologique, en commençant par MONTAIGNE, qui, dans presque tous ses chapitres, se juge lui-même, et souvent avec beaucoup de sévérité.

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