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fliction poisante, pleine de tranquillité d'esprit, ayant prins en payement mes commoditez naturelles et originelles, sans en rechercher d'aultres; si ie la compare, dis ie, toute, aux quatre annees qu'il m'a esté donné de iouyr de la doulce compaignie et societé de ce personnage, ce n'est que fumee, ce n'est qu'une nuict obscure et ennuyeuse. Depuis le iour que ie le perdis,

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Semper honoratum (sic dî voluistis!) habebo 28,

ie ne foys que traisner languissant; et les plaisirs mesmes qui s'offrent à moy, au lieu de me consoler, me redoublent le regret de sa perte : nous estions à moitié de tout, il me semble que ie luy desrobe sa part :

Nec fas esse ullâ me voluptate hîc frui

Decrevi, tantisper dum ille abest meus particeps 29.

l'estois desia si faict et accoustumé à estre deuxiesme partout, qu'il me semble n'estre plus qu'à demy : Illam meæ si partem animæ tulit Maturior vis, quid moror altera?

28 « Jour fatal que je dois pleurer, que je dois honorer à jamais, puisque telle a été, grands dieux, votre volonté suprême » ! Énéid. L. V, v.

49.

29 « Et je ne pense pas qu'aucun plaisir me soit permis, maintenant que je n'ai plus celui avec qui je devais tout partager ». Terent. Heautont. act. 1, v. 97. Montaigne a changé quelques mots pour pouvoir appliquer ce passage son sujet.

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Il n'est action ou imagination où ie ne le treuve à dire *15; comme si eust il bien faict à

moy

*16: car de mesme qu'il me surpassoit d'une distance infinie en toute aultre suffisance et vertu; aussi faisoit il au debvoir de l'amitié.

Quis desiderio sit pudor aut modus
Tam cari capitis 31 !

...O misero frater adempte mihi!
Omnia tecum unà perierunt gaudia nostra,
Quæ tuus in vitâ dulcis alebat amor.
Tu mea, tu moriens, fregisti commoda, frater;
Tecum unà tota est nostra sepulta anima :
Cuius ego interitu totâ de mente fugavi

Hæc studia, atque omnes delicias animi.

Alloquar? audiero nunquam tua verba loquentem?

30 «

Puisqu'un sort cruel m'a ravi trop tôt cette douce moitié de mon âme, qu'ai-je à faire de l'autre moitié, séparée de celle qui m'était si chère ? Le même jour nous a perdus tous deux ». Hor. od. 17. L. II, L. II, v. 5.

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une tête si chère ». Hor. od. 24. L. I, v. 1.

15 Où il ne me manque.

*16 Comme il eût certainement fait à mon égard.

Nunquam ego te, vitâ frater amabilior,

Aspiciam posthac? at certè semper amabo 32.

Mais oyons un peu parler ce garson de seize ans.

Parce que i'ay trouvé que cet ouvrage 17 a esté depuis mis en lumiere, et à mauvaise fin, par ceulx qui cherchent à troubler et changer l'estat de nostre police, sans se soucier s'ils l'amenderont, qu'ils ont meslé à d'aultres escripts de leur farine, ie me suis dedict de le loger icy. Et à fin que la memoire de

l'aucteur n'en soit interessee en l'endroict de ceulx qui n'ont peu cognoistre de prez ses opinions et ses actions, ie les advise que ce subiect feut traicté par luy en son enfance par maniere d'exercitation seulement, comme subiect vulgaire et tracassé en mille en

32 « O mon frère, que je suis malheureux de t'avoir perdu! Ta mort a dissipé mon bonheur. Avec toi se sont évanouis tous les plaisirs que me donnait ta douce amitié! Avec toi, mon âme est toute entière ensevelie. Depuis que tu m'as été ravi, j'ai dit adieu aux muses, à tout ce qui faisait le charme de ma vie !..... Ne pourrai-je donc plus te parler ni t'entendre! O toi qui m'étais plus cher que la vie, ô mon frère! je ne te verrai donc plus! Ah! du moins je t'aimerai toujours ». Catull. eleg. 67, v. 20, eleg. 69, v. 9.

*17 Montaigne parle du Traité de la Servitude volontaire, qu'il renonce à insérer ici, quoiqu'il l'ait promis en commençant le chapitre.

:

da

droicts des livres. Ie ne foys nul doubte qu'il ne creust ce qu'il escrivoit; car il estoit assez conscientieux pour ne mentir pas mesme en se iouant et sçay vantage que s'il eust eu à choisir, il eust mieulx aymé estre nay à Venise qu'à Sarlac; et avecques raison. Mais il avoit une aultre maxime souverainement empreinte en son ame, d'obeyr et de se soubmettre tresreligieuIl ne sement aux loix soubs lesquelles il estoit nay. feut iamais un meilleur citoyen, ny plus affectionné au repos de son païs, ny plus ennemy des remuements et nouvelletez de son temps; il eut bien plustost employé sa suffisance à les esteindre qu'à leur fournir de quoy. les esmouvoir davantage : il avoit son esprit moulé au patron d'aultres siecles que ceulx cy. eschange de cet ouvrage serieux, i'en substitueray un aultre, produict en cette mesme saison de son aage, plus gaillard et plus enioué *18.

Or en

*18 Il parle de 29 Sonnets d'Étienne de la Boëtie, qui se trouvaient autrefois dans le chapitre suivant.

CHAPITRE XXVIII.

Vingt et neuf sonnets d'Estienne de la Boëtie.

A MADAME De grammont, COMTESSE de guissen.

MADAME, ie ne vous offre rien du mien, ou parce qu'il est desia vostre, ou pour ce que ie n'y treuve rien digne de vous; mais i'ay voulu que ces vers, en quelque lieu qu'ils se veissent, portassent vostre nom en teste, pour l'honneur que ce leur sera d'avoir pour guide cette grande Corisande d'Andoins '. Ce present m'a semblé vous estre propre, d'autant qu'il est peu de dames en France qui iugent mieulx, et se servent plus à propos que vous, de la poësie; et puis, qu'il n'en est point qui la puissent rendre vifve et animee comme vous faictes par ces beaux et riches accords de quoy, parmy un million d'aultres beautez, nature vous a estrenee. Madame, ces vers meritent que vous les cherissiez; car vous serez de mon advis qu'il n'en est point sorty de Gascoigne qui eussent plus d'invention et de gentillesse, et qui tesmoignent estre

1 Andoins qu'on écrit aujourd'hui Andouins, était une baronnie du Béarn, près de Pau.

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