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gouvernement de Bourgogne ; dès le mois d'avril elle réunit autour d'elle, au château de Rouvre, les conseillers de son mari: Jean de Vergy, maréchal de Bourgogne; Antoine de Vergy son fils, Guy de la Tremoille, Jean de Neufchâtel, Guy de Pontailler, Jean de Vienne, les seigneurs d'Époisse, de Courtiambles, de Conches, de Pagny et d'autres; les baillis de la comté de Bourgogne furent aussi mandés; elle leur fit part des grandes dépenses où le Duc allait être engagé par la guerre que lui déclaraient les autres princes: ils furent d'avis de convoquer les États du duché et de la comté de Bourgogne.

Les États du duché accordèrent d'abord un subside de vingt mille francs payable en deux ans; il fallut bien s'en contenter: la province était fort épuisée par les frais d'une rude guerre, que le Duc avait été obligé de faire l'année précédente contre le seigneur de Blanmont. Ce seigneur avait surpris le château de Valexon dans la comté de Bourgogne, et de là ravageait la contrée; il avait fallu assiéger long-temps cette forteresse, et les dépenses avaient été considérables.

La duchesse alla ensuite à Dôle tenir les États de la Comté, qui donnèrent huit mille francs; le pays d'outre-Saône s'imposa trois mille quatre cent quarante-quatre francs 1. Ces sommes étaient loin de suffire; le Duc pressa les termes de paiement; à peine y avait-il de quoi rembourser les marchands à qui il avait emprunté, et retirer son argenterie qui était en gage; il fallut chercher d'autres ressources; le Duc manda les principaux bourgeois de Paris et des villes de France, et, alléguant la guerre avec les Anglais, il leur proposa l'établissement d'une forte taxe. Eux qui savaient toute la fausseté de ce prétexte se refusèrent à la proposition; alors il leur dit que ce ne serait qu'un emprunt qu'on chargerait les receveurs de restituer sur le montant des impôts. Ils répondirent que les villes n'étaient déjà que trop chargées, et qu'il devait rester encore de l'argent provenant de la réforme des finances 2. Le duc de Bourgogne, voyant combien il était dangereux de mécontenter les peuples dans un pareil moment, renonça à ce projet ; cependant on taxa, sans règle et sans justice, beaucoup de particuliers de Paris qu'on soupçonnait d'être favorables au parti d'Orléans 3.

1 Histoire de Bourgogne. 2 Le Religieux de Saint-Denis.

- 3 Juvénal.

C'était le prévôt de Paris qui conduisait toute l'affaire des finances du Duc; il lui suggéra encore un autre moyen, ce fut de retenir la moitié des gages et pensions de tous les officiers de justice et de finance du pays de Bourgogne, sauf à ne considérer ce sacrifice que comme un emprunt fait sur eux. Quant à la Flandre, rien ne lui fut demandé; il fallait toujours la ménager.

Ce manque d'argent donnait au duc de Bourgogne une grande envie de traiter, et il n'oubliait aucun moyen d'y parvenir : les négociations se continuaient toujours secrètement avec le duc de Bretagne, que les princes s'efforçaient, sans pouvoir y réussir, d'irriter contre le duc de Bourgogne. Ce prince pensait, avec raison, qu'il avait plus à gagner de ce côté, et ne se regardait point comme lié par le traité de Gien. En effet, il termina heureusement ses procès avec la comtesse de Penthièvre 1, et reçut même vingt mille écus pour abandonner le parti d'Orléans. Le connétable d'Albret eut aussi une somme d'argent considérable pour l'engager à servir la cause du duc de Bourgogne.

Dans des circonstances si difficiles, ce fut une joie de voir le roi recouvrer un instant de santé; on espéra que son autorité aurait plus d'effet lorsqu'il l'exercerait d'après son propre sens. Le duc de Bourgogne commença par lui faire écrire au duc de Berri : « Mon très-cher oncle, disait le roi, vous serez le très-bien-venu vous et tous ceux qui sont présentement dans votre alliance. Nous entendrons volontiers tout ce que vous aurez à nous proposer pour votre service; faites diligence et rendez-vous près de nous pour un si beau dessein; mais renvoyez d'abord vos hommes d'armes, qui ne pourraient servir qu'à la ruine de nos sujets. »

Le duc de Berri répondit respectueusement que lui et ses alliés ne désarmeraient point, tant que le duc de Bourgogne resterait armé. Alors le roi envoya, par toute la France, l'ordre à tous chevaliers, écuyers ou gens d'armes de mettre bas les armes, de quitter les forteresses ou châteaux dont ils se seraient emparés, et de ne plus maltraiter ses sujets; le tout sous peine de forfaiture. En même temps il était commandé de courir sus aux désobéissans comme gens coupables de lèse-majesté. Les menaces ne produisirent rien de plus que les invitations. Les troupes s'assemblaient de

↑ D'Argentré.

tous côtés, et l'on fut obligé de permettre à toute personne du royaume de défendre son bien et sa sûreté contre qui que ce fût, même contre les princes du sang royal 1.

Le désordre était déjà si grand, que le roi étant allé à la chasse dans la forêt de Villers-Coterets, les serviteurs du comte de Clermont refusèrent de le laisser entrer dans son propre château de Creil. Ils osèrent lui demander un ordre signé de leur maître, à qui le roi avait confié cette capitainerie. Une telle audace indigna tout le monde; le roi, dans sa faible raison, en fut très-irrité; il eut pourtant la bonté, sur les sollicitations de la comtesse de Clermont, de faire grâce aux serviteurs de son mari, mais il lui ôta cette capitainerie.

Les princes continuaient toujours à réunir leurs forces et à concerter toutes leurs actions. Ils se tinrent d'abord à Angers, puis à Poitiers. Le duc de Bourgogne ne se décourageait point dans son désir d'obtenir une paix si nécessaire; il se décida à écrire lui-même une lettre pleine de respect au duc de Berri, dont il était le neveu et le filleul. Il le conjurait de lui rendre son amitié et de revenir auprès du roi qui, dorénavant, ne se gouvernerait plus que par ses conseils. Le duc de Berri admit les députés qui portaient cette lettre, « Mon neveu, dit-il, ne peut manquer d'être bien con»seillé, il a pour lui l'Université, le corps de ville et les bourgeois » de Paris; mais je veux qu'il sache que je suis l'oncle du roi; mes » alliés sont ses cousins, et nous avons à lui parler pour le bien de >> son État. >>

Une seconde députation fut encore envoyée. Elle était formée du comte de la Marche, de l'évêque d'Auxerre, du grand prieur de Rhodes et de deux habiles hommes du conseil du roi, maître Gontier Col et le sire de Tignonville. Le duc de Berri les reçut courtoisement, s'informa des nouvelles du roi, de la reine, de leurs enfans; puis permit au sire de Tignonville d'exposer le sujet de son message devant les principaux seigneurs du parti d'Orléans. Il s'en acquitta avec beaucoup d'éloquence; il exposa les maux auxquels le royaume allait être en proie; comment le parti le plus faible ne manquerait pas d'appeler les étrangers; comment il n'y aurait pas même de sécurité pour le parti vainqueur; en quel état

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de faiblesse et d'incertitude tomberait l'autorité du roi; il montra que c'était lui manquer essentiellement que de lever ainsi des hommes de guerre, sans sa permission, pour se rendre devant lui à main armée. Il ajouta que le roi voulait bien attribuer cette faute aux mauvais conseils des flatteurs.

Puis s'adressant au duc de Berri en particulier, il lui rappela combien le roi avait d'attachement et de reconnaissance pour lui, comme le guide et le tuteur de sa jeunesse. Il dit que c'était à lui à servir d'arbitre dans ce différend que sa prudence règlerait tout; qu'on l'attendait pour s'en remettre à son jugement, et que ses cousins de Bourgogne désarmeraient dès qu'il aurait congédié ses troupes.

Le duc de Berri fit répondre par l'archevêque de Bourges; le discours se termina en annonçant que les princes allaient se rendre à Chartres, et que là ils donneraient à connaître leurs intentions; de telle sorte que, non seulement le roi et le duc de Guyenne, mais tout le monde rendrait justice à leurs intentions 1.

Les princes tardèrent peu à venir à Chartres avec leur armée, et le 2 de septembre, ils adressèrent au roi une lettre, dont ils envoyèrent copie aux bonnes villes du royaume et à l'Université de Paris; elle était conçue à peu près en ces termes : « Nous, ducs de Berri, d'Orléans, de Bourbon, comtes d'Alençon et d'Armagnac, vos très-humbles parens et sujets, en notre nom et au nom de nos adhérens comme ainsi soit que les droits de votre couronne, seigneurie et majesté royale sont si notablement institués en vous et vous en eux, et fondés en justice, puissance et obéissance de vos sujets, tellement que votre État et votre autorité resplendissent parmi tous les royaumes et seigneuries du monde; comme vous êtes consacré et oint par le saint-siége de Rome, appelé et tenu roi très-chrétien par toutes les nations chrétiennes : comme vous êtes merveilleusement renommé pour l'administration d'une vraie justice, exercée sans acception de personnes, envers le pauvre comme envers le riche, rendue à titre d'empereur dans votre royaume, sans connaître d'autre souveraineté que la majesté divine, si bien que, par votre puissance et votre sceptre royal, vous

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récompensez et gratifiez les bons, vous punissez les mauvais et corrigez les malfaiteurs, rendez à chacun ce qui est à lui, et tenez votre royaume paisible en suivant les nobles et saintes voies de vos prédécesseurs les rois de France; tellement que toutes les nations chrétiennes, voisines ou éloignées, voire même les mécréans, ont souvent recours par-devant vous et votre noble conseil, comme à la vraie fontaine de justice et de loyauté.

>> Cependant, notre très-redouté et souverain seigneur, en ce moment votre honneur, votre justice et l'état de votre seigneurie sont foulés et blessés; on ne vous laisse point seigneurier votre royaume, ni gouverner la chose publique en franchise et liberté, comme la raison le voudrait, comme le pensent tous les gens sages. C'est pour cela que nous ci-dessus nommés, nous sommes alliés et assemblés pour aller par devers vous, vous faire d'humbles remontrances, et nous informer au vrai de l'état de votre personne et de monseigneur de Guyenne, de la façon dont vous êtes détenus et démenés, et aussi du gouvernement de votre seigneurie et justice, de votre royaume et de la chose publique ; afin qu'après nous avoir ouïs, ainsi que ceux, s'il y en a, qui voudraient soutenir le contraire, vous puissiez, par l'avis, conseil et délibération de ceux de votre sang, des prud'hommes de votre conseil, et d'autres qu'il vous plaira appeler en si grand nombre que vous voudrez, pourvoir réellement à la sûreté; franchise et liberté de votre personne et de votre fils aîné. Car il faut que la seigneurie de ce royaume, l'autorité, la puissance de son exercice résident en vous franchement et librement, non dans aucun autre.

>> C'est pour obtenir ces conclusions, que nous voulons employer et exposer à votre service, nos personnes, notre avoir, nos amis et nos sujets, en un mot, tout ce que Dieu nous a donné et confié en ce monde. Ainsi nous résisterons à ceux qui voudraient faire quelque chose à l'encontre; et sauf le plaisir de Dieu, nous ne voulons pas nous départir les uns des autres, avant d'avoir remédié aux inconvéniens ci-dessus déclarés.

>> Nous sommes tenus, obligés, contraints à en user ainsi, par crainte et respect de Dieu notre Créateur, de qui procède votre seigneurie, pour satisfaire à la justice, et pour servir vous, notre royal, notre unique souverain et seigneur sur la terre, à qui nous sommes par-là, et aussi comme parens, tenus autant que nous

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