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geant Mondolphe, place d'Italie, aux terres qu'on nomme du Vicariat, voyant mettre le feu à une piece qui le regardoit, bien luy servit de faire la cane: car aultrement le coup, qui ne lui raza que le dessus de la teste, luy donnoit sans doubte dans l'estomach. Pour en dire le vray, ie ne croy pas que ces mouvements se feissent avecques discours: car quel iugement pouvez vous faire de la mire haulte ou basse en chose si soubdaine? et est bien plus aisé à croire que la fortune favorisa leur frayeur; et que ce seroit moyen une aultre fois aussi bien pour se iecter dans le coup, que pour l'eviter. Ie ne me puis deffendre, si le bruit esclatant d'une arquebusade vient à me frapper les aureilles à l'improuveu, en lieu où ie ne le deusse pas attendre, que ie n'en tressaille: ce que i̇'ay veu encores advenir à d'aultres qui valent mieulx que moy. Ny n'entendent les Stoïciens que l'ame de leur sage puisse resister aux premieres visions et fantasies qui luy surviennent; ains, comme à une subiection naturelle, consentent qu'il cede au grand bruit du ciel ou d'une ruine, pour exemple, iusques à ta pasleur et contraction, ainsin aux aultres passions, pourveu que son opinion demeure saulve et entiere, et que l'assiette de son discours n'en souffre atteinte ni alteration quelconque, et qu'il ne preste nul consentement à son effroy et souffrance. De celuy qui n'est pas sage, il en va de mesme en la premiere partie; mais tout aultrement en la seconde: car l'impression des passions ne demeure pas en luy superficielle, ains va penetrant iusques au siege de sa raison, l'infectant et la corrompant; il iuge selon icelles, et s'y conforme. Voyez bien disertement et plainement l'estat du sage stoïque :

Mens immota manet; lacrymæ volvuntur inanes. (1)

(1) Les pleurs ont beau couler, son ame est inflexible. Virg. Aeneid. 1. 4. v. 449.

Le sage peripateticien ne s'exempte pas des perturba tions, mais il les modere.

CHAPITRE XII I.

Cerimonie de l'entreveue des roys.

Il n'est subiect si vain qui ne merite un reng en cette rapsodie. A nos regles communes, ce seroit une notable discourtoisie, et à l'endroict d'un pareil, et plus à l'endroict d'un grand, de faillir à vous trouver chez vous quand il vous auroit adverty d'y debvoir venir: voire, adioustoit la royne de Navarre Marguerite à ce propos, que c'estoit incivilité à un gentilhomme de partir de sa maison, comme il se faict le plus souvent, pour aller au devant de celuy qui le vient trouver, pour grand qu'il soit; et qu'il est plus respectueux et civil de l'attendre pour le recevoir, ne feust que de peur de faillir sa route; et qu'il suffit de l'accompaigner à son partement. Pour moy i'oublie souvent l'un et l'aultre de ces vains offices; comme ie retranche en ma maison autant que ie puis de la cerimonie. Quelqu'un s'en offense qu'y feroy ie? ]} vault mieulx que ie l'offense pour une fois, que moy touts les iours; ce seroit une subiection continuelle. A quoy faire fuit on la servitude des courts, si on l'entraisne iusques en sa taniere? C'est aussi une regle commune en toutes assemblees, qu'il touche aux moindres de se trouver les premiers à l'assignation, d'autant qu'il est mieulx deu aux plus apparents de se faire attendre. Toutesfois à l'entreveue qui se dressa du pape Clement (a) et du roy François à Marseille, le roy, y ayant ordonné les apprests necessaires, s'esloingna de la ville, et donna loisir au pape

(a) Septieme du nom en 1533.

de deux ou trois iours pour son entree et refreschissement, avant qu'il le veinst trouver. Et de mesme à l'entree aussi du pape (a) et de l'empereur à Bouloigne, l'empereur donna moyen au pape d'y estre le premier, et y surveint aprez luy. C'est, disent ils, une cerimonie ordinaire aux abouchements de tels princes, que le plus grand soit avant les aultres au lieu assigné, voire avant celuy chez qui se faict l'assemblee; et le prennent de ce biais, que c'est à fin que cette apparence tesmoigne que c'est le plus grand que les moindres vont trouver, et le recherchent, non pas luy eulx.

Non seulement chasque païs, mais chasque cité, a sa civilité particuliere, et chasque vacation. I'y ay esté assez soigneusement dressé en mon enfance, et ay vescu en assez bonne compaignie, pour n'ignorer pas les loix de la nostre françoise, et en tiendrois eschole. l'aime à les ensuivre, mais non pas si couardement que ma vie en demeure contraincte: elles ont quelques formes penibles, lesquelles pourveu qu'on oublie par discretion, non par erreur, on n'en a pas moins de grace. l'ay veu souvent des hommes incivils par trop de civilité, et importuns de courtoisie.

C'est au demourant une tresutile science que la science de l'entregent. Elle est, comme la grace et la beauté, conciliatrice des premiers abords de la societé et familiarité; et par consequent nous ouvre la porte à nous instruire par les exemples d'aultruy, et à exploicter et produire nostre exemple, s'il a quelque chose d'instruisant et communicable.

(a) Du même pape Clément VII, et de Charles Quint, sur la fin de l'année 1532.

CHAPITRE XIV.

On est puny pour s'opiniastrer à une place sans

raison.

LA vaillance a ses limites, comme les aultres vertus; lesquels franchis, on se treuve dans le train du vice: en maniere que par chez elle on se peult rendre à la temerité, obstination et folie, qui n'en sçait bien les bornes, malaisees en verité à choisir sur leurs confins. De cette consideration est nee la coustume que nous avons aux guerres, de punir, voire de mort, ceulx qui s'opinias-trent à deffendre une place qui par les regles militaires ne peult estre soustenue. Aultrement, soubs l'esperance de l'impunité, il n'y auroit poullier qui n'arrestast une armee. Monsieur le connestable de Montmorency au siege de Pavie, ayant esté commis pour passer le Tesin, et se loger aux fauxbourgs saint Antoine, estant empesché d'une tour au bout du pont, qui s'opiniastra iusques à se faire battre, feit pendre tout ce qui estoit dedans ; et encores depuis accompaignant monsieur le dauphin au voyage delà les monts, ayant prins par force le chasteau de Villane, et tout ce qui estoit dedans ayant esté mis en pieces par la furie des soldats, horsmis le capitaine et l'enseigne, il les feit pendre et estrangler pour cette mesme raison: comme feit aussi le capitaine Martin du Bellay, lors gouverneur de Turin en cette mesme contree, le capitaine de S. Bony, le reste de ses gents ayant esté massacré à la prinse de la place. Mais d'autant iugement de la valeur et foiblesse du lieu se prend par l'estimation et contrepoids des forces qui l'assaillent (car tel s'opiniastreroit iustement contre deux couleuvrines, qui feroit l'enragé d'attendre trente canons), où se met

que

le

encores en compte la grandeur du prince conquerant, sa reputation, le respect qu'on luy doibt, il y a danger qu'on presse un peu la balance de ce costé là: et en advient par ces mesmes termes, que tels ont si grande opinion d'eulx et de leurs moyens, que ne leur semblant raisonnable qu'il y ait rien digne de leur faire teste, ils passent le coulteau partout où ils treuvent resistance, autant que fortune leur dure; comme il se veoid par les formes de sommation et desfi que les princes d'orient, et leurs successeurs qui sont encores, ont en usage, fiere, haultaine et pleine d'un commandement barbaresque. Et au quartier par où les Portugalois escornerent les Indes, ils trouverent des estats avecques cette loy universelle et inviolable, que tout ennemy vaincu du roy en presence, ou de son lieutenant, est hors de composition de rançon et de mercy. Ainsi surtout il se fault garder, qui peult, de tumber entre les mains d'un iuge ennemy, victorieux et armé.

CHAPITRE X V.

De la punition de la couardise.

l'oux aultrefois tenir à un prince et tresgrand capitaine, que pour lascheté de cœur un soldat ne pouvoit estre condemné à mort; luy estant, à table, faict recit du procez du seigneur de Vervins qui feut condemné à mort pour avoir rendu Bouloigne. A la verité c'est raison qu'on face grande difference entre les faultes qui viennent de nostre foiblesse, et celles qui viennent de nostre malice car en celles icy nous nous sommes bandez à nostre escient contre les regles de la raison que nature a empreintes en nous; et en celles

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